Dans les Échos, Mme Chloé Morin veut « en finir avec la fiction de l'agribashing »... en faisant de l'agribashing
Il est des lectures qu'il vaut mieux entreprendre calé dans un fauteuil avec accoudoirs pour ne pas tomber à la renverse. Tel est le cas de « Pour en finir avec la fiction de l'agribashing », une tribune parue dans les Échos sous la plume de Mme Chloé Morin, directrice de l’Observatoire de l’Opinion à la Fondation Jean-Jaurès.
Une fiction ? Le chapô se révèle somme toute prometteur :
« Poussé par le syndicat agricole FNSEA, puis opportunément endossé par un pouvoir exécutif soucieux de démentir les accusations de "président des villes", l'agribashing laisse croire qu'il existe un désamour entre nos agriculteurs et l'opinion. Rien n'est plus faux, analyse ici Chloé Morin. »
On succombe, certes, d'entrée au cliché, au discours convenu des salons où l'on cause – peu nombreuses sont en effet les références de la FNSEA à l'agribashing, et Mme Christiane Lambert regrette que ce terme soit utilisé à toutes les sauces. Mais on s'attend à voir une analyse de la bonne opinion qu'a le public des agriculteurs et, en conséquence, une réfutation des attaques portées contre l'agriculture qui nous nourrit. Cette bonne opinion est bien évoquée, avec une référence à un récent sondage Odoxa, dans le premier méandre d'un texte filandreux dont l'objectif est tout autre..
Mais in cauda venenum, et la queue est longue... Le propos est tout autre, un agribashing pur porc :
« Il faut le dire, nommer les choses pour ce qu'elles sont : l'agribashing est un slogan, une campagne de communication jouant du ressort de la victimisation afin d'étouffer tout débat sur l'avenir de notre modèle agricole, d'éteindre toute contestation vis-à-vis des méthodes employées par certains agriculteurs - en particulier l'usage de pesticides. Désormais, lorsque vous militez contre la souffrance animale, vous être un affreux "agribasher". Lorsque vous militez pour la suppression des pesticides : "agribasher !". »
On ne s'étonnera donc pas de voir ce propos repris par des entités militantes.
(Source – Mme Catherine Helayel est secrétaire régionale du Parti Animaliste pour l'Île-de France)
(Source)
Idem pour des militants munis d'une carte de presse.
(Source)
La tribune appelait pourtant, après un sophisme de l'appel à la pitié, à prendre de la hauteur :
« Cela suppose d'ouvrir le débat, pas de jeter des anathèmes. D'exprimer une forme d'exigence et de tenir un discours de vérité. Pas d'éteindre toute discussion à l'aide d'une stratégie de victimisation. »
Mais dans quel monde vit l'auteure ? Comment peut-on croire – penser – qu'un terme, un slogan, suffise dans un pays où règne la liberté d'expression pour « étouffer tout débat [...] éteindre toute contestation » ?
Il s'agit là d'une sorte de victimisation à rebours, si commune dans le « camp du bien », dans le monde des lobbies qui prétendent faire du « plaidoyer ». Elle est contredite par les faits. Il n'est qu'à voir la place qu'occupe la critique de l'agriculture qui nous nourrit dans les médias, particulièrement sur les chaînes du service public et les chaînes qui prétendent faire de l'information continue ; les défenseurs de cette agriculture et même ceux qui jettent un regard nuancé sur la filière agricole et alimentaire ont toutes les peines à se faire entendre dans ces médias.
L'auteure voit aussi le monde sur le mode manichéen :
« Chacun se voit sommé de soutenir les victimes désignées, il faut choisir son camp : vous êtes pour, sans critique possible, ou contre les agriculteurs. La nuance n'est plus permise. »
Tout cela pour aboutir à une revendication, un « débat […] essentiel, fondamental […] sur l'avenir de notre mode de consommation et de production alimentaire ».
Mais la conclusion du débat est déjà gravée dans le marbre :
« L'exigence exprimée à l'égard d'un modèle économique qui doit changer de paradigme - produire une alimentation locale, de qualité, respectueuse de l'environnement et rémunératrice pour les exploitants - est caricaturée comme une trahison, celle de ces milliers d'agriculteurs qui souffrent voire se suicident au travail. »
Il faut aussi aller – et « accompagner » les agriculteurs, en bref, les tenir par la main ou leur mettre une bride au cou –
« vers un modèle plus durable, plus conforme aux attentes nouvelles des consommateurs - une nourriture respectueuse de la santé, des animaux, de l'environnement, de nos traditions aussi.
Passons sur l'alignement de sophismes, cet ignoble appel à la pitié et l'instrumentalisation de la détresse et du malheur. Ce qui est caricaturé ici par implication, c'est le « modèle économique », paré de tous les défauts. Ce qui est étalé ici, c'est l'agribashing dans toute sa splendeur.
C'est, à vrai dire, le discours à la mode. Mais il est temps de dire : « Ya basta ! ».
Dans un échange de gazouillis surréaliste avec Mme Géraldine Woessner, l'auteure a défendu ses thèses en prétendant plaider pour la nuance.
(Source)
C'est difficile à avaler quand on se voit confronté à une forme de koulakisation :
« Ce slogan-éteignoir sert uniquement les partisans du statu quo, ceux qui ont intérêt à ne rien changer, les quelques grands exploitants qui sont démesurément avantagés par le système actuel de financement de la PAC. »
Le fil précité se poursuit :
« Non, le slogan empêche de critiquer les agriculteurs/leurs méthodes. C’est là notre désaccord je pense. Moi je pense qu’une campagne de com qui révèle une part du réel mais en cache une autre. pas de débat possible si l’on doit à chaque foi prouver que l’on aime les agriculteurs »
On en reste au pouvoir magique d'un slogan. Mais il y a aussi une réflexion qui devrait susciter chez l'auteure... la réflexion : que dire de la possibilité de débattre quand on est confronté à « une campagne de com qui révèle une part du réel », une part infime – celle des accidents, des abus, etc. en matière, notamment, de bien-être animal et de pesticides ? Une com' qui mêle mensonges et vérités dans les proportions du fameux pâté d'alouette, ou du glyphosate dans les urines des « pisseurs » escroqués ?
Le dernier mot est revenu dans ce fil (à l'heure où nous écrivons) à Mme Géraldine Woessner.
« Il ne s'agit pas là de contradiction, juste de poser les faits. Et c'est justement ce qui est impossible, dans ce débat. Depuis trop longtemps. Les faits sont des ennemis, le réel un désagrément qu'il faut tordre...
Ceux qui parlent par slogan sont ceux qui abusent du terme infâmant d'"agriculture productiviste", sans avoir la moindre idée des pratiques qu'il recouvre. C'est insupportable pour des armées d'agriculteurs honnêtes qui se sentent harcelés. "Agribashés", donc. Et ils ont raison. »
Mme Géraldine Woessner a raison.