Lutter contre le mildiou avec des vapeurs d'huiles essentielles d'origan
Sévérité moyenne du mildiou évaluée après sporulation sur 6 plantes.
Bleu : témoin non traité ; rouge : traitements à l'origan.
Le tuyau nous a été livré par un article de la Tribune de Genève, « L’origan pour protéger la vigne contre le mildiou » (derrière un péage sur la toile).
Sans chichis ni triomphalisme – on est en Suisse. C'est tout juste si, après un chapô un tantinet accrocheur – « Découverte – Des chercheurs de Genève et de Changins (VD) ont découvert les étonnants effets de l’huile essentielle issue de cette plante » –, on s'est autorisé un « L'utilisation de l'huile essentielle d'origan pourrait permettre de réduire les pesticides » en légende de photo.
Des chercheurs de la Haute École du Paysage, d’Ingénierie et d’Architecture de Genève (HEPIA) et de la Haute École de Viticulture et Œnologie de Changins, Markus Rienth, Julien Crovadore, Sana Ghaffari et François Lefort ont publié dans Plos One « Oregano essential oil vapour prevents Plasmopara viticola infection in grapevine (Vitis Vinifera) and primes plant immunity mechanisms). » (la vapeur d'huile essentielle d'origan empêche l'infection de la vigne (Vitis vinifera) par Plasmopara viticola et stimule les mécanismes d'immunité de la plante).
En voici le résumé, que nous découpons comme d'habitude pour en faciliter la lecture :
« La réduction des fongicides de synthèse en agriculture est nécessaire pour garantir une production durable qui protège l’environnement et la santé des consommateurs.
Le mildiou causé par l'oomycète Plasmopara viticola est le principal agent pathogène de la viticulture dans le monde et est responsable de jusqu'à 60 % des traitements à base de pesticides. Des alternatives pour réduire les fongicides sont donc absolument nécessaires pour assurer la durabilité des écosystèmes viticoles, la santé du consommateur et l'acceptation du public.
Les huiles essentielles (HE) font partie des solutions de protection des plantes naturelles les plus prometteuses et ont démontré leurs propriétés antibactériennes, antivirales et antifongiques sur plusieurs cultures agricoles.
Cependant, l'efficacité des HE dépend en grande partie du moment choisi, de la méthode d'application et des interactions moléculaires entre l'hôte, l'agent pathogène et l'HE. Malgré l'efficacité prouvée des HE, les processus sous-jacents ne sont toujours pas compris et restent une boîte noire. Les objectifs de la présente étude étaient les suivants : a) évaluer si une fumigation continue d'une HE particulière peut lutter contre le mildiou, afin d'éviter les inconvénients d'une application directe ; b) décrypter les mécanismes moléculaires pouvant être déclenchés chez l'hôte et l'agent pathogène par l'application d'une HE et c) essayer de déterminer si les huiles essentielles répriment directement l’oomycète ou servent d’amorces de résistance des plantes.
Pour ce faire, une chambre climatique sur mesure a été construite, permettant une fumigation continue des vignes en pots avec différentes HE au cours d'expériences à long terme. La vigne (Vitis vinifera) cv Chasselas a été choisie en raison de sa forte sensibilité à Plasmopara viticola. Des boutures de vigne ont été infectées par P. viticola puis exposées à une fumigation continue de différentes HE, à différentes concentrations, pendant deux périodes d'application (24 heures et 10 jours). Les expériences ont été arrêtées lorsque des symptômes d'infection ont été clairement observés sur les feuilles des plantes témoins.
La physiologie de la plante (paramètres de photosynthèse et de taux de croissance) a été enregistrée et des feuilles ont été échantillonnées à différents moments pour une extraction ultérieure de l’ARN et une analyse transcriptomique.
De manière remarquable, le traitement à la vapeur d’Oregano vulgare pendant 24 heures après l’infection s’est avéré suffisant pour réduire le développement du mildiou de 95 %.
L'ARN total a été extrait des feuilles des traitements de 24 heures et 10 jours et utilisé pour un séquençage aléatoire du transcriptome entier (RNA-seq). Les séquences lues ont ensuite été cartographiées sur les génomes de V. vinifera et P. viticola. Moins de 1 % des lectures ont pu être cartographiées sur le génome de P. viticola à partir des échantillons traités, tandis que jusqu'à 30 % des lectures des témoins ont été cartographiées sur le génome de P. viticola, confirmant ainsi l'observation visuelle de l'absence de P. viticola sur les plantes traitées. En moyenne, 80 % des lectures ont pu être cartographiées sur le génome de V. vinifera pour l'analyse de l'expression différentielle, ce qui a donné 4.800 gènes modulés.
Les données transcriptomiques ont clairement montré que le traitement déclenchait le système immunitaire inné de la plante avec des gènes impliqués dans la synthèse et la signalisation de l'acide salicylique, de l’acide jasmonique et de l’éthylène, activant ainsi les protéines liées à la pathogenèse ainsi que la synthèse de la phytoalexine.
Ces résultats élucident pour la première fois les interactions HE-hôte-pathogène et indiquent que l'efficacité antifongique de l'HE est principalement due au déclenchement de voies de résistance à l'intérieur des plantes hôtes. Cela revêt une importance majeure pour la production et la recherche sur les biopesticides, les produits de stimulation des plantes et pour les stratégies de sélection pour la résistance. »
Nous contesterons le début, reflet d'une bien-pensance bien mal placée devenue envahissante. Tellement envahissante que même des chercheurs sérieux, ne cherchant pas à faire de l'esbroufe, ne peuvent l'éluder.
Précisons aussi que les « boutures » du résumé sont des plants racinés de deux ans.
Cet article reflète un travail de recherche de grande qualité.
Mais ne nous précipitons pas sur des conclusions hâtive, comme d'autres pourraient le faire, le laisser faire ou inciter à faire. D'autres ? Le communiqué de presse de l'HEPIA n'a pas été avare de promesses avec son titre, « L’huile essentielle d’origan au secours de la vigne » et son résumé :
« Deux chercheurs viennent de mettre en évidence une découverte permettant de contrôler le mildiou de la vigne grâce à des fumigations d'huile essentielle d’origan. Ces résultats prometteurs sont une excellente nouvelle pour la protection biologique de la vigne. »
La science a décidément un problème de communication.
Imaginons que l'on mette cela en pratique. Il n'est pas sûr que l'effet qui a été obtenu en chambre climatique puisse être reproduit en champ, avec des conditions agroclimatiques différentes (et variables).
Il faudrait des installations de fumigation capables de délivrer la dose nécessaire de vapeur, et ce, pendant un temps limité (les fumigations longues produisent une phytotoxicité), à des moments précis (ce qui implique une détermination du moment où la vigne est infectée ou susceptible de l'être) et de manière répétée pour contrer chaque menace.
Quelle serait la quantité d'huile essentielle requise, et par conséquent la surface de production d'origan nécessaire... et le prix ?
Enfin, on peut aussi s'interroger sur la sécurité sanitaire : les huiles essentielles ne sont pas anodines et il y a quelques soucis avec le carvacrol de l'huile essentielle d'origan.
(Source)