GlyFauxTests : l'infox de Libé
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Le titre de ce billet devait être quelque chose comme « Silence médiatique sur les GlyFauxTests »... et puis est tombé, le 30 décembre 2019, sur Libération, « Glyphosate dans les urines : la réponse qu’on cherche encore ». C'est de Mme Pauline Moullot et c'est censé être du CheckNews... c'est même censé être « Le meilleur de Checknews en 2019 »... tellement meilleur que l'articulet n'a été annoncé sur Twitter que le lendemain à 23h57...
Et c'est une infox ; pire, une arnaque.
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Rappelons brièvement les faits.
C'est parti de l'Ariège où sont jugés, pour des actes de délinquance, des « faucheurs volontaires » qui tentent vraisemblablement de faire valoir l'argument excusatoire de l'état de nécessité. S'est donc mise en place une « campagne glyphosate » avec des opérations massives de prélèvements d'urine suivies, pour les « pisseurs de glyphosate » qui le désirent, d'un dépôt de plainte contre « toute personne impliquée dans la distribution et la large diffusion dans l’environnement de molécules probablement cancérigène de glyphosate » pour « mise en danger de la vie d’autrui, tromperie aggravée, atteintes à l’environnement (destruction de la biodiversité, pollution des cours d’eau, des nappes phréatiques, des sols …) », « le cas échéant, en réunion ». Rien que ça... Selon le site, plus de 6.000 analyses d’urine ont été réalisées, et 5.500 plaintes ont été déposées ou sont sur le point de l’être.
Les analyses sont réalisées par le – sulfureux – laboratoire allemand BioCheck avec un test ELISA. La totalité des tests – ou quasi – sont positifs et produisent en moyenne une présence de quelque 1,2 microgramme de glyphosate par litre d'urine (matinale, donc concentrée). Rappelons que, pour une petite personne et en comptant large, cela représente quelque chose comme le 1/3000 de la dose jounalière admissible.
Ces résultats ont suscité des interrogations et des suspicions, surtout après l'innommable Envoyé Spécial du 17 janvier 2019 « Glyphosate : comment s'en sortir ? » La Fédération Départementale des Syndicats d'Exploitants Agricoles du Morbihan (FDSEA 56) a alors organisé des tests utilisant une autre méthode, plus fiable, la chromatographie en phase liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem, réalisés sur des agriculteurs ou proches de l'agriculture et effectués par le laboratoire d'analyse du CHU de Limoges (voir par exemple ici). Ces tests ont été négatifs. Mais une comparaison était impossible en l'absence de tests de BioCheck sur les mêmes prélèvements.
Deux journalistes du Mensuel du Morbihan ont procédé à ce double test et ont publié les résultats dans leur numéro de novembre 2019. À la mi-décembre 2019, la FDSEA du Finistère a publié les résultats d'un double test sur 11 prélèvements. Résultats conformes aux attentes des sceptiques : tous positifs pour BioCheck avec le test ELISA et négatifs pour Labocea de Brest avec la LC/MS-MS.
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Épilogue provisoire sur ce front : la FDSEA d'Ille-et-Villaine a introduit une action contre les « pisseurs involontaires » :
« Nous y dénonçons les procédés de communication mensongers de ce collectif ainsi que l’incitation au harcèlement et à la violence contre les agricultrices et les agriculteurs français. Il n’est plus acceptable ni supportable que de tels agissements et de telles manipulations de nos concitoyens restent impunis. »
D'une manière générale, les médias, si prompts à annoncer les « pisseries » et relayer leurs résultats, ont brillé par leur absence à propos des informations et résultats « gênants ». Citons les trois principales exceptions, en plus des quotidiens régionaux.
Le 5 septembre 2019, Atlantico a osé, certes avec un point d'interrogation superfétatoire, un « Tests de Biocheck : une fraude à grande échelle dans l’affaire des "pisseurs" de glyphosate ? ». Trois questions posées à l'éminent chercheur du CNRS Marcel Kuntz. Que dit-il ? En bref, que le test ELISA est susceptible de produire des faux-positifs et que la méthode LC/MS-MS est au contraire fiable. Le laboratoire public breton Labocea disait en substance la même chose dans le Télégramme du 3 novembre 2019 (parties pertinentes citées ici).
Serait-ce une réponse à M. Marcel Kuntz ? Le 14 septembre 2019, Mme Pauline Moullot produisait dans Libération un CheckNews intitulé « Les tests urinaires utilisés par les "pisseurs"» de glyphosate sont-ils fiables ? »
C'est un article intéressant pour qui sait lire. Nous noterons par exemple l'absence de réponse, ou les réponses évasives, de BioCheck sur des questions importantes... cela devrait au minimum mettre la puce à l'oreille d'un journaliste qui se respecte. Une lecture critique de l'ensemble montre toutefois, à notre sens, que l'on a voulu « sauver les meubles » pour les « pisseurs », BioCheck et le test Elisa :
« En résumé : si chaque méthode est fiable selon la littérature scientifique, le seul moyen de mettre un terme à la polémique entre la méthode Elisa des"pisseurs involontaires" et la chromatographie des agriculteurs de la FDSEA serait d’effectuer les deux méthodes sur un seul et même échantillon. Ce que tous les interlocuteurs interrogés dans le cadre de cet article recommandent. »
Ben non... le 4 septembre 2019, M. Robin Mesnage – un ancien de l'équipe Séralini de l'infameuse « étude » sur les rats – avait déjà voué le test ELISA – attention : sur l'urine – à la poubelle :
« J'ai testé le test ELISA glyphosate et les résultats ont fini à la poubelle. Il y a trop de composés qui interférent avec la détection du glyphosate, et plus les urines sont concentrés plus l'interférence est forte. Rien ne remplace la spectrométrie de masse. »
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Enfin, le 19 décembre 2019, Mme Géraldine Woessner publiait dans le Point un tonitruant et très argumenté « Preuve à l'appui : les glyphotests sont bidon ! »
Cela nous amène à ce nouvel article de CheckNews dans Libération. Posons d'emblée la question : est-ce une « réponse » à l'article de Mme Géraldine Woessner ? La troisième fois, au moins, que Libé vole au secours de la manip' recourant au laboratoire BioCheck.
Le fait est que – les éléments rassemblés par Mme Géraldine Woessner étant accablants et la réfutation impossible, on utilise la ficelle bien éprouvée de la création du doute : « Glyphosate dans les urines : la réponse qu’on cherche encore »...
C'est un articulet de deux paragraphes qui plante le décor dans le premier. En principe !
Le lecteur est abusé quasiment dès le départ : « […] la polémique agite les pro et anti-pesticides » ! Comment peut-on parler de « polémique », et en plus entre des camps définis par les sentiments envers les pesticides, quand la question porte notamment sur un invraisemblable 100 % de positifs sur plus de 6.000 prélèvements ?
Ensuite, on évoque « Les tests urinaires pratiqués sur des journalistes... » – sans autre précision (elle vient par la suite pour qui sait lire) –, mais dans une question hautement trompeuse : « ...n’ont-ils pas en fait mesuré des résidus de lessive ? » Cela revient à jeter la suspicion sur les tests LC/MS-MS (négatifs), alors qu'elle avait plané sur les tests ELISA de BioCheck (systématiquement positifs) !
Oups ! Il n'est pas sûr que le lecteur lambda comprenne que le « débat » porte sur des tests différents mis en œuvre par des laboratoires différents. Il faut en effet de la sagacité pour le déduire de « utiliser une méthode inefficace » (voir ci-après).
Les doubles tests de la FDSEA du Finistère et la plainte de la FDSEA de l'Ille-et-Vilaine sont passés sous silence ! Cela permet de minimiser la nature du « débat » et l'importance des preuves qui s'accumulent contre la manipulation médiatique – et de la tentative de manipulation judiciaire – de l'opération « pisseurs involontaires de glyphosate ».
Et voici le clou du NewsChecking :
« […] Pro et anti [pesticides...] se renvoient la balle, chaque camp accusant l’autre de fausser les tests ou d’utiliser une méthode inefficace.
Sauf que si nos recherches prouvent que le glyphosate peut être détecté de manière fiable, impossible d’expliquer de telles différences entre deux labos en l’absence d’une étude officielle et de tests sur des échantillons croisés. Et même si deux journalistes du Mensuel du Morbihan ont fait le test, et obtenu des résultats opposés suivant les labos utilisés, rien n’explique non plus pourquoi. Seule une réponse de l’agence sanitaire, à défaut du lancement d’une étude officielle, permettrait de clore enfin le débat.
Ben voyons ! Les résultats ne me conviennent pas ? Il faut de nouvelles études... curieusement « de l'agence sanitaire ». D'habitude on exige des études « indépendantes »... mais, là, ce qui est en cause, ce sont les analyses « indépendantes » du laboratoire « indépendant » BioCheck.
Et quand le verdict, prévisible et implacable, tombera, si jamais, on mettra en cause l'indépendance de l'agence... Ainsi va le militantisme...
En fait, l'ANSES a déjà répondu en partie à la « polémique », le 29 octobre 2019, avec « Glyphosate : l’Anses fait le point sur les données de surveillance » :
« Enquêtes de surveillance des populations
La concentration de glyphosate dans les urines a été analysée dans deux études épidémiologiques menées en France, l’une portant sur une cohorte des femmes enceintes utilisatrices d’herbicides (étude PELAGIE de l’Inserm sur la période 2002-2006) et l’autre sur des femmes enceintes (étude ELFE de Santé publique France sur l’année 2011).
Le glyphosate et l’AMPA ont été retrouvés respectivement dans 43 % et 36 % des échantillons urinaires collectés chez les femmes de l’étude PELAGIE [Ma note : sur 47 femmes enceintes]. Les concentrations urinaires observées varient entre 0,07 et 0,76 µg/L et pour l’AMPA entre 0,06 µg/L et 1,22 µg/L. Le glyphosate a été quantifié dans l’étude ELFE dans 0,3% des échantillons, mais d’autres données issues d’études publiées dans la littérature scientifique, ainsi que de prélèvements réalisés par des associations, rapportent des niveaux de concentration urinaire de glyphosate du même ordre de grandeur, autour de 1 µg/L. Ces quantités de glyphosate de l’ordre de 1 µg/L dans les urines, correspondent à une exposition par voir orale inférieure à 1% de la dose journalière admissible.
Des résultats complémentaires de surveillance du glyphosate dans les urines de la population générale seront disponibles en 2020 (étude ESTEBAN de Santé publique France) et viendront compléter ces résultats.
Post scriptum
Rendons à César... Le #glyFAUXtest, auquel nous souhaitons prospérité tant que la polémique sévit, est une invention de M. Rémy Dumery.