Fongicides SDHI : nouvelle escalade dans le bombardement activiste
Nous avons déjà évoqué sur ce blog les fongicides SDHI, inhibiteurs d'une enzyme intervenant dans la respiration des cellules, la succinate déshydrogénase. Une équipe de chercheurs autour de M. Pierre Rustin a lancé une « alerte » dans Libération le 15 avril 2018, au motif que, en bref et sans forcer le trait, la chaîne respiratoire étant universelle ou quasi, nous serions menacés par une catastrophe sanitaire et environnementale. Il faut donc, à les en croire, appliquer sans délai le « principe de précaution »
L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) n'a pas cédé à l'appel à la panique, tout en prenant une série d'initiatives fort raisonnables.
L'affaire – dont la description des péripéties prendrait de longues heures – s'est envenimée et développée dans deux directions.
D'une part, les « lanceurs d'alerte » se sont associés – à moins qu'ils ne l'étaient déjà dès l'ouverture du contentieux – avec Générations Futures, Nous Voulons des Coquelicots et Pollinis, grands promoteurs de l'abolition de l'usage des pesticides... de synthèse, et, au-delà de ces associations, avec leurs soutiens dans le monde associatif, économique, médiatique et politique (dans l'ordre alphabétique). D'autre part, l'affaire est devenue – à moins que cela ne fût programmé dès le départ pour obtenir in fine l'abolition d'un système d'évaluation des risques fondé sur des preuves scientifiques – un bras de fer entre la mouvance anti-SDHI et l'ANSES.
Notons que, le glyphosate semblant condamné à disparaître du paysage français et peut-être européen pour le plus grand profit des pays exportateurs de denrées alimentaires, les fongicides SDHI constituent un épouvantail de choix pour cristalliser la poursuite de l'activisme anti-pesticides. Quand on voit un site internet en neuf langues, on ne peut que constater que des moyens importants ont été mis à disposition. Pourtant, la controverse est essentiellement sinon exclusivement franco-française.
Le dernier épisode en date s'est déployé au Monde avec deux articles :
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« Pesticides SDHI : 450 scientifiques appellent à appliquer le principe de précaution au plus vite » (texte complet et liste des signatures sur le site activiste ici) ; et
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« Après l’alerte des scientifiques, un recours en justice pour interdire les pesticides SDHI », avec en chapô : « Des associations demandent à l’Agence nationale sanitaire d’abroger l’autorisation de mise sur le marché de cette famille de fongicides particulièrement dangereuse. »
Timing particulièrement judicieux pour la tribune, mais c'est évidemment par le plus grand des hasards (ironie) : l’ANSES organise une réunion de dialogue portant notamment sur les SDHI le 22 janvier 2020 et l’Office Parlementaire d’Évaluation des Choix Scientifiques et Technologiques (OPECST) auditionne les deux parties le jeudi 23 janvier 2020 au Sénat.
Et timing également judicieux pour l'annonce d'un inéluctable recours en justice (sauf à considérer que l'ANSES ou le gouvernement ne se couche), mais ce n'est pas par le plus grand des hasards. Le Monde écrit en effet :
« La démarche des associations [Générations futures, FNE et Nous Voulons des Coquelicots] est soutenue par plusieurs parlementaires – les députés Delphine Batho (non inscrite) et Loïc Prudhomme (La France insoumise) ou encore le sénateur Joël Labbé (rattaché Rassemblement démocratique et social européen) – et par le biologiste Pierre Rustin, chercheur au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Avec plusieurs collègues de différents organismes de recherche, Pierre Rustin avait alerté l’Anses dès octobre 2017 des dangers de cette famille de fongicides. »
Avec de tels soutiens, l'annonce de la manœuvre ne pouvait que se faire à l'Assemblée Nationale... Générations Futures en livre une photo... copyrightée Joël Labbé sur laquelle on trouve... Joël Labbé. Cet homme a décidément des talents extraordinaires...
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Il n'est pas fait mystère de la coalition constituée entre une poignée de scientifiques, des entités activistes incorporées sous forme d'associations et des politiques fondamentalement adeptes de l'anarchie (quand on retient « insoumis » comme nom pour sa formation...) – avec des intérêts économiques en arrière-plan – pour monter une vaste opération de manipulation de l'opinion avec le concours de médias complices ou suivistes.
Mais 450 scientifiques ont signé... La vaste blague ! Nous ne nous lancerons pas, du moins à ce stade, dans une analyse sociologique. Lesquels sont de vrais spécialistes de la question ? Lesquels ont vérifié les faits et arguments avant d'apposer une signature, peut-être entre deux gorgées de café ?
(Source)
L'analyse de cette tribune – que nous publierons plus tard – est dévastatrice, tout comme l'analyse des agissements précédents. Ces signatures sont une insulte, selon le cas, à la science ou à la médecine. Pire : à la raison.
L'ANSES a répondu sur Twitter de manière laconique et produit un résumé mis à jour de ses activités. Rappelons à toutes fins utiles que, malgré l'alerte répercutée par l'ANSES auprès de ses homologues, la controverse reste essentiellement franco-française, y compris dans le monde de l'activisme.
(Source)
L'Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP) a apporté quelques réponses aux allégations sur Twitter.
(Source)
Dans son espace presse (hep, quand le rendrez-vous plus transparent et convivial ?), elle écrit dans « Demande d’interdiction des SDHI - Une lecture excessive du principe de précaution » :
« Suite à l’annonce d’une action en justice ciblant les produits à base de SDHI, l’UIPP déplore une action fondée sur une lecture résolument excessive du principe de précaution visant l’interdiction de ces produits sans respecter les dispositions réglementaires existantes. »
Personne ne devrait être dupe : le « principe de précaution » – mal compris – est instrumentalisé, tout comme le sera la justice, s'il se trouve des juges se laissant duper.
L'UIPP a aussi produit une lettre ouverte que nous jugeons peu utile, voire maladroite. DNS toute manière, si elle n'est pas communiquée personnellement à chaque signataire, elle ne sera pas lue par les premiers intéressés :
« La notion de précaution renvoie à l’idée de prudence. Il serait irresponsable de vouloir détourner ce principe constitutionnel à des fins militantes ou idéologiques. Nul ne peut invoquer le principe de précaution et en contester ensuite le résultat, comme dans le cas des fongicides SDHI. »
Ben si ! Et c'est ce que font les « lanceurs d'alerte » et leurs amis et ce qu'ont commencé à faire des « associations » sur le plan judiciaire.
La réponse la plus ferme est venue du Collectif Sauvons les Fruits et Légumes de France.
C'est une lettre ouverte au Premier Ministre Édouard Philippe et au Ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, publiée sous le titre : « Fongicides SDHI : Une incroyable manipulation de l’opinion publique et un agribashing permanent ». En titre : « La cellule Demeter de la gendarmerie doit se saisir de ce dossier » :
« Derrière le joli titre et la façade scientifique se cache en réalité une opération de manipulation de l’opinion publique parfaitement coordonnée par un lobby qui n’a de cesse de dénoncer… les lobbies.
[…]
Cette pression n’est pas nouvelle mais elle doit aujourd’hui être dénoncée avec force car elle remet en cause nos autorités sanitaires et l’esprit de responsabilité des agriculteurs français. Sur le fond, que dit l’ANSES ? Après avoir étudié le dossier des SDHI en analysant soigneusement les arguments de ces scientifiques donneurs d’alerte, l’agence sanitaire estime qu’il n’y a pas lieu de retirer ces fongicides. "Les experts ont conclu à l’absence de signal d’alerte" affirme l’ANSES. Quand on connait la prudence de l’autorité sanitaire, c’est un message qu’il faut accepter d’entendre. Que disent les chercheurs eux-mêmes au fait ? "Il est extrêmement dangereux de comparer les valeurs […] obtenues in vitro dans des conditions de laboratoire avec les concentrations de SDHI pouvant résulter de l’application de ces pesticides sur des cultures" écrivent-ils dans une étude scientifique. C’est donc bien une opération de manipulation qui cherche à déstabiliser l’ANSES en exigeant la démission de son directeur et la dissolution de l’agence (rien de moins !) à laquelle nous avons affaire. […]
[…]
C’est pour cette raison que la cellule Demeter devrait enquêter à ce qui ressemble à une coalition anti-SDHI qui rassemble scientifiques, militants, ONG et partis politiques pour tenter une incroyable manipulation de l’opinion publique que nous dénonçons. »
Fort judicieusement, cette lettre utilise le conditionnel dans le paragraphe cité en dernier. Le recours au dispositif Demeter est en effet à double tranchant. D'un côté il permettrait d'en savoir plus, notamment sur les intérêts économiques qui financent les actions anti-SHDI ; de l'autre il confirmerait ces pauvres associations dans leur posture de martyrs.
Mais ce serait là une information digne d'être portée à l'attention du public, non ? Nous attendons un titre du style « Les producteurs de fruits et légumes veulent museler les lanceurs d'alerte accusés d'"agribashing" »... Qu'importe, pourvu que l'article fasse état des faits et allégations mis en avant par le collectif.
À l'heure où nous écrivons, la presse suiviste ne semble pas avoir été très réveillée. Serait-ce que ce genre de manœuvre commence à fatiguer ?
Mme Émilie Torgemen a produit un article de bonne facture saboté par la titraille, « Fongicides SDHI : l’ombre d’un nouveau scandale sanitaire ».
Le lecteur a pourtant droit à la position de l'ANSES :
« Ce n'est pas l'avis de l'Anses. "Certaines parties prenantes souhaitent la fin des pesticides, c'est un choix de société, tacle Roger Genet, son directeur général. Pour notre part, nous sommes un corps d'expertise scientifique indépendant. Or je le répète il n'y a pas d'élément qui montre le lien entre cette famille de produits et quelque pathologie que ce soit dans les conditions d'utilisation autorisées et dans l'état actuel de la science. […] Pour retirer des autorisations de mise sur le marché, il faut un risque imminent pour la santé et/ou l'environnement." »
Mais il a aussi droit à une observation de M. Pierre Rustin :
« En laboratoire les effets sont terrifiants. Mais étant donné le fonctionnement très complexe des maladies mitochondriales, on ne peut pas dire s'il y aura finalement peu d'impact à l'usage de SDHI ou, au contraire, si l'on va au-devant d'une catastrophe sanitaire, reconnaît le scientifique. Il s'agit d'un cas d'école dans l'application du principe de précaution. »
Qu'ont-ils écrit dans leur tribune ?
« [...] ces données laissent prévoir le risque additionnel chez l’homme d’une catastrophe sanitaire liée à leur usage. […] Ce déni des données scientifiques [par l'ANSES] déjà existantes intervient alors que celles-ci placent objectivement les SDHI très haut dans l’échelle de la toxicité des pesticides [...] »
Décidément, on ne sort pas de la gesticulation médiatique... « les effets sont terrifiants »... Mais on se garde d'être précis quand il s'agit de recueillir des signatures...
Pouvez-vous nous expliquer le lien avec les SHDI, Presses Sciences Po ?
(Source)