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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

« Arche de Noé » des semences du Svalbard : Agostini fait Fanny

10 Janvier 2020 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Activisme, #Semences

« Arche de Noé » des semences du Svalbard : Agostini fait Fanny

 

 

 

Non, l'image n'est pas de la Guerre des étoiles...

 

 

C'est un zéro pointé que mérite la « chronique » du 26 novembre 2019 de Mme Fanny Agostini sur Europe 1, « Les graines du Svalbard : un immense cimetière ! » En résumé (le texte complet n'a pas été mis en ligne) :

 

« La vernalisation, ce passage au froid, est nécessaire pour seulement certains végétaux. Certaines plantes, graines, ou céréales ont besoin d’être exposées au gel pour mûrir, pour donner des fruits ou pour donner des fleurs. C’est ce que fait le grand conservatoire mondial des semences de Svalbard en Norvège. Dans cette arche de Noé végétale, on préserve les patrimoines génétiques des végétaux en congelant des graines. »

 

Un résumé est vraiment cocasse, pour ne pas dire plus.

 

Ce « grand conservatoire mondial des semences » ne fait pas de vernalisation, mais de la conservation de semences. Et si on préserve, ce n'est pas un cimetière. Sauf que...

 

 

Mme Fanny Agostini a donc appris d'amis agriculteurs que « certaines plantes sont incapables de donner des fruits et des fleurs [dans cet ordre...] si elles n'ont pas été soumises à l'influence du froid ». N'est-ce pas un bon début pour tenir une chronique sur l'agriculture que d'apprendre des agriculteurs ? Elle a même appris que cela s'appelle la « ver-na-li-sa-tion » ! Enfin, comme elle passe ensuite aux semences – en parlant en plus de « gel » – elle s'emmêle un peu les pinceaux ; car la levée de la dormance d'une graine par le froid s'appelle la « stratification ».

 

Mais ce n'est que péché véniel.

 

« La plupart des graines sont sensibles au froid au point d'en mourir si elles y sont exposées trop longtemps. »

 

La chroniqueuse s'interroge donc sur « la pertinence d'avoir créé d'immenses frigos pour stocker des graines dans l'Archipel du Svalbard. » C'est que « ce conservatoire mondial en réalité est en train de périr »...

 

Serait-ce que les spécialistes de la conservation des ressources génétiques ex situ (en banque de gènes) seraient passés à côté d'un fait essentiel et qu'ils se seraient lancés dans une entreprise de très grande ampleur vouée ab initio à l'échec pour une raison qui serait accessible même à une chroniqueuse d'Europe 1 au charmant babil émis depuis sa « ferme » là-haut sur une montagne auvergnate ?

 

Bien sûr que non ! Au lieu de lancer une grandiose infox sur les ondes, il suffisait de consulter le site de la Réserve Mondiale de Semences du Svalbard ou Wikipedia pour apprendre deux choses : d'une part, les graines stockées à -18 °C peuvent se conserver très longtemps (notons qu'il en existe qui ne peuvent pas être séchées et ne supportent pas le froid – on les appelle « récalcitrantes ») ; d'autre part, les graines sont renouvelées périodiquement, bien avant que les pertes ne soient critiques.

 

Dans le permafrost de cet archipel situé au-delà du cercle polaire, on conserve donc près d'un million de doubles d'échantillons d'autres banques de gènes de par le monde – il en existe plus de 1.700. La Réserve serait, en langage informatique, un backup.

 

Elle a démontré sont utilité en relation avec la guerre en Syrie. C'est grâce aux doubles qu'il y avait entreposés que le Centre International de Recherche Agricole dans les Zones Arides (ICARDA) a pu reconstituer au Liban et au Maroc des collections, dites actives, des semences inaccessibles du fait de la guerre (voir par exemple ici et ici, ou encore ici). Notons aussi que les échantillons – ou « accessions » – entreposés restent sous le contrôle exclusif de l'entité qui les a envoyés.

 

Mais l'infox se poursuit par une envolée plutôt délirante :

 

« ...et pour vous dire la vérité, il s'agit plutôt d'un immense cimetière de graines, même si on essaie de nous faire croire le contraire […] On est en train de nous faire croire, tout va bien, pas d'inquiétudes à avoir en ce qui concerne l'appauvrissement de la biodiversité végétale et vivante, celle qui, entre parenthèses, nous permet de nous nourrir... On peut bien breveter à tout va, restreindre ce que nous mangeons à une poignée de variétés, car l'Arche de Noé végétale est bien au frais, au frigo, et à l'occasion on ressortira les graines quand on en aura besoin, en cas de coup dur, sauf que, ben, ça ne marchera pas comme ça. »

 

La grande théorie du complot est avancée... et ce n'est pas tout ! Après une intervention de son compère Matthieu Belliard, de Paris, qui évoque les conséquences du changement climatique :

 

« …et dans ce cas, ben, ce seront au mieux les boîtes de biotechnologie qui devront trouver des solutions très coûteuses pour ressusciter les graines congelées à partir de leurs gènes, un petit peu comme on tente de le faire avec les mammouths. »

 

Cela ressemble furieusement à une argumentation que l'on a entendue par ailleurs : ces conservatoires de semences – dont la désignation usuelle, « banques de gènes », « genebanks », se révèle aujourd'hui quelque peu malencontreuse – ne sont que des collections de gènes à la disposition des biotechnologistes. Inf'OGM nous livre un superbe récit, encore plus complotiste, avec « Svalbard : pour l’humanité ou pour les semenciers ? », par Mme Stenka Quillet et M. Clément Montfort, les réalisateurs de « La guerre des graines ».

 

Hors concours – et sans nul doute inspirateur de cette chronique critiquée ici – M. Pierre-Henri Gouyon, qu'Europe 1 nous recommande d'écouter... Nous le recommandons aussi pour votre édification : quand l'idéologie sociopolitique pollue l'espace des sciences, un avatar du lyssenkisme n'est pas loin...

 

 

Non, Monsanto, Syngenta, etc. ne sont pas actionnaires de « ce machin »...

 

 

Mais revenons à Mme Fanny Agostini :

 

« ...sans blague, une raison supplémentaire ce matin de promouvoir la diversité des semences paysannes qui, elles seules, peuvent garantir la pérennité d'un patrimoine dont nous avons et dont nous aurons tous à l'avenir besoin. »

 

Ce mythe des « semences paysannes » a la vie dure ! N'y a-t-il pas des amis agriculteurs pour faire un peu de vulgarisation sur les vraies réalités de l'agriculture, celle qui nous nourrit, s'entend ? Faut-il vraiment conseiller de prendre contact avec des spécialistes de la question ? M. Michel Chauvet par exemple, auteur d'une monumentale Encyclopédie des plantes alimentaires et impliqué dans le temps dans les ressources génétiques... nous n'aurons pas l'impudence de recommander le Groupement National Interprofessionnel des Semences et Plants (GNIS), ce serait comme recommander un bon médecin à un adepte des charlataneries pseudo-médicales.

 

Les curieux liront avec intérêt « Myths and Realities of the Svalbard Global Seed Vault: An Interview with Cary Fowler » (mythes et réalités de la Réserve Mondiale de Semences du Svalbard : un entretien avec Cary Fowler – traduction du texte intégral à venir) sur le blog des Seedsavers, les homologues états-uniens de nos adeptes de semences paysannes.

 

Cary a évolué d'un bord à l'autre, du militantisme à la construction d'un système aussi structuré que possible pour les ressources génétiques. Il a joué un rôle clé dans l'établissement de la Réserve. Et voici ce qu'il a notamment dit à propos des théories conspirationistes qui ont inspiré cette « chronique » :

 

« Je connais les théories du complot et les "préoccupations" qui ont fait surface à propos de cette installation plutôt emblématique mais généralement non accessible au public, construite près du pôle Nord. C'était probablement inévitable. Avec tristesse, je mets cela au compte du cynisme que tant de gens ressentent de nos jours à propos de presque toute tentative de faire quelque chose de bien et de grand. "Si c'est dans l'actualité, sous forme positive, et que les gouvernements sont impliqués*, il doit y avoir quelque chose de sinistre dans les coulisses dont ILS ne nous parlent pas." C'est ce que certaines personnes ressentent. Et puis elles abandonnent leur scepticisme et acceptent sans se poser des questions les choses les plus farfelues qu'elles trouvent sur Internet. Parce que beaucoup de gens n'aiment pas Monsanto, les théories liées à Monsanto sont particulièrement persistantes, bien que l'entreprise n'ait eu aucune implication. »

 

__________

 

* Ma note : on peut ajouter ici la Fondation Bill Gates et les autres donateurs, dont des entreprises du domaine des variétés et des semences.

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C
Quand la chronique de la fermière est annoncée, je change de station, souvent pour une radio étrangère, moins polluée par les pubs! Y-a-t-il moyen de localiser la fameuse ferme, ce serait déontologiquement souhaitable. Quand aux pubs diffusées par ces radios, les grandes surfaces et autres discounters passent au moins quinze annonces à l'heure lors des coupures, donc pour avoir une image écolo et continuer à recevoir la manne publicitaire il faut surtout pas les vexer et diffuser une gentillette chronique éclo-bobo, même mensongère.
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S
@ Clément d'Alsace le samedi 11 janvier 2020 à 18:54<br /> <br /> Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre commentaire.<br /> <br /> C'est vite vu, je n'écoute pas Europe 1.<br /> <br /> Quant aux annonceurs, ils se lancent tous ou presque dans le discours écolo-bobo (et local). C'est affligeant.<br /> <br /> La réponse à votre question vous est donnée par M. François Tursan, que je remercie également. Vous aurez vu que c'est une "ferme pédagogique"...
F
"... sa ferme pédagogique installée à Boisset en Haute-Loire."<br /> <br /> "... ONG environnementale LanDestini, qu'elle a fondée avec son mari"<br /> Etudes: "classe préparatoire en science politique et lettres" C'est tout.<br /> <br /> "Fanny Agostini est co-fondatrice du « Climate Bootcamp », une session de formation annuelle se déroulant depuis 2015 en septembre à La Bourboule et réunissant les plus grands scientifiques, des journalistes et des personnalités publiques pour former les leaders d'opinions aux enjeux de protection de la biosphère. L2.Depuis 2015, 140 journalistes ont été formés et des personnalités comme Marion Cotillard, Pierre Rabhi, Nicolas Hulot, Jean Imbert et les Shaka Ponk sont venus assister à cette formation. Parmi les journalistes, Bérangère Bonte, la directrice adjointe d'Europe 1, Léa Salamé ou encore Isabelle Morini-Bosc et Flavie Flament ont fait le Climate Bootcamp."<br /> "Elle est en couple depuis 2015 avec le Franco-Américain Henri Landes, ancien conseiller environnement du président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone et chargé d'un cours, en tant que vacataire, sur le développement durable à Sciences Po Paris."<br /> <br /> https://fr.wikipedia.org/wiki/Fanny_Agostini