La Commission Européenne von der Leyen délivrera-t-elle sur les NBT (et d'autres innovations technologiques) ?
Un projet de document de la Commission Européenne portant sur un plan d'action sur l'alimentation a fuité. Des observateurs ont affirmé que la Commission prévoit d'établir une législation spéciale pour faciliter la production de plantes génétiquement éditées et envisage la possibilité de développer « un nouveau cadre adapté aux nouvelles techniques génomiques ».
Ils s'en sont réjouis... probablement à tort. Car le plan d'action relève des transports en tortillard... Hâtons-nous lentement en faisant, de préférence, du sur-place. Envisager une possibilité, en langage bruxellois, c'est ne s'engager à rien.
Le 8 novembre 2019, le Conseil « éducation, jeunesse, culture et sport » a adopté une décision
« invitant la Commission à soumettre une étude à la lumière de l'arrêt de la Cour de justice dans l'affaire C-528/16 concernant le statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit de l'Union, et une proposition, le cas échéant pour tenir compte des résultats de l'étude ».
Rappelons que dès lors qu'elle ne fait pas débat, un Conseil (ici « éducation, etc. ») peut adopter une décision relevant d'une autre formation (ici, « agriculture », peut-être curieusement car la question du génie génétique relève plutôt de la santé dans l'univers bruxellois).
Le Conseil – les États membres – a fixé le délai au 30 avril 2021... dans deux ans et demi.
La proposition de la Commission – si proposition il y aura – devra être accompagnée, selon la pratique habituelle, d'une étude d'impact. On imagine déjà les manœuvres et les controverses, bref, le carnage (comme ce fut le cas pour les perturbateurs endocriniens, où la DG Environnement s'était adressée aux chercheurs militants « anti »).
Tout cela ne respire pas l'enthousiasme... Et c'est encore pire quand on lit les considérants :
« (4) L'arrêt a apporté de la clarté sur le statut des nouvelles techniques de mutagénèse, mais a également soulevé des questions pratiques qui ont des conséquences pour les autorités nationales compétentes, l'industrie de l'Union, en particulier le secteur phytogénétique, la recherche et au-delà. Parmi ces questions figure la question de savoir comment assurer la conformité avec la directive 2001/18/CE lorsque les méthodes actuelles ne permettent pas de distinguer les produits obtenus à partir de nouvelles techniques de mutagénèse de ceux nés d'une mutation naturelle et comment assurer, dans pareille situation, l'égalité de traitement entre les produits importés et les produits originaires de l'Union.
(5) Le Conseil estime qu'une étude est nécessaire pour clarifier la situation, conformément à l'accord interinstitutionnel du 13 avril 2016 "Mieux légiférer", et en particulier son point 10 relatif à l'application des articles 225 et 241 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ».
Cette formulation laisse entendre que les États membres se contenteraient d'une « solution » a minima pour les produits qui ne se distinguent pas des produits naturels, une solution qui reviendrait à entériner le placement des nouvelles techniques génomiques dans le carcan des OGM (transgéniques).
Les optimistes considéreront que cette décision a minima était nécessaire pour la faire passer et que les véritables batailles auront lieu ultérieurement.
Et les pessimistes rétorqueront qu'il y a déjà toute une série d'études, notamment sur la question de la détection des produits végétaux alimentaires obtenus par les nouvelles techniques.
La messe n'est donc pas encore dite : on peut imaginer une Commission qui, consciente des enjeux scientifiques, technologiques, économiques, sanitaires et sociaux, bousculerait les États membres et engagerait « de vifs échanges » avec le Parlement Européen – vifs car, au vu de sa composition et de son fonctionnement – il ne faut pas s'attendre à des positions progressistes.
La Présidente Ursula von der Leyen a adressé à chaque commissaire désigné une « lettre de mission » qui donne un aperçu des principales politiques qu'elle entend développer.
Voici donc quelques éléments qui permettent de se faire une opinion de son orientation (nos traductions).
Voici le cadre général :
« Votre tâche au cours des cinq prochaines années consistera à faire en sorte que le secteur agricole continue à respecter ses engagements durables tout en l'aidant à s'adapter aux changements climatiques, démographiques et technologiques. Je souhaite également que vous vous concentriez sur une production alimentaire plus saine et plus durable. Ce sera une partie importante du Green Deal européen. »
Il y a le mot « technologiques »... tout n'est pas déjà perdu. Quoique... s'adapter aux changements technologiques peut aussi se faire en les refusant, ouvertement ou par le biais d'un parcours d'obstacles infranchissables.
Le gros morceau du portefeuille de M. Janusz Wojciechowsk est évidemment la politique agricole commune. Et après ? Nous extrairons ceci :
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Je souhaite que vous contribuiez à la nouvelle stratégie "De la ferme à la fourchette" pour une alimentation durable, en examinant comment le secteur agroalimentaire peut améliorer la durabilité de la production alimentaire tout au long de la chaîne alimentaire, y compris par la production biologique.
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Dans le cadre de notre ambition zéro pollution, vous devez vous assurer que l'agriculture et la production alimentaire contribuent à nos objectifs en matière de climat, d'environnement et de biodiversité, notamment en réduisant l'utilisation de pesticides, d'engrais et de produits chimiques en Europe et au-delà. »
Parmi les points plus spécifiques il y a ceci :
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La protection de l'environnement mondial et de la biodiversité doit rapprocher le monde. Je veux que vous veilliez à ce que l'Europe ouvre la voie à un accord ambitieux lors de la Conférence des Parties à la Convention sur la diversité biologique de 2020. Pour ce faire, nous devons utiliser tous les outils et les moyens diplomatiques à notre disposition.
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Vous dirigerez la réalisation de notre ambition zéro pollution. Cela nécessitera une approche globale en ce qui concerne la qualité de l'air et de l'eau, les produits chimiques dangereux, les émissions, les pesticides et les perturbateurs endocriniens.
Un « accord ambitieux » ? Dans quel sens s'agissant du Protocole de Carthagène sur la prévention des risques biotechnologiques ? Des « OGM » ?
Et voir les mots « pesticides » et « perturbateurs endocriniens » dans cette feuille de route suscite des frissons... il y aura peut-être de la bagarre au sein de la Commission (comme il y en eut sur les perturbateurs endocriniens).
Dans la Commission Jean-Claude Juncker, les questions d'OGM étaient dans le portefeuille de M. Vytenis Andriukaitis, Commissaire à la Santé et la Sécurité Alimentaire. La sécurité alimentaire ne passe pas dans un autre portefeuille. Voici les missions de Mme Stella Kyriakides sous ce point :
« Vos travaux sur la sécurité alimentaire, le bien-être des animaux et la santé des végétaux joueront un rôle important dans la concrétisation du Green Deal européen.
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Je veux que vous dirigiez une nouvelle stratégie "de la Ferme à la Fourchette" pour une alimentation durable. Cela couvrira toutes les étapes de la chaîne alimentaire, de la production à la consommation, et contribuera aux objectifs de notre économie circulaire. Elle devrait associer réglementation, campagnes de communication et de sensibilisation et obtenir l'adhésion totale des acteurs locaux, régionaux et sectoriels, ainsi que des États membres et des institutions européennes.
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Dans le cadre de notre ambition zéro pollution et de la stratégie "de la Ferme à la Fourchette", je veux que vous travailliez à la protection de la santé des végétaux, à la réduction de la dépendance aux pesticides et à la promotion de solutions de remplacement à faible risque et non chimiques. Vous devez aider à protéger les citoyens de l'exposition aux perturbateurs endocriniens.
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Une partie de votre travail consistera à améliorer l'information des consommateurs, notamment en cherchant des moyens de répondre aux demandes d'informations plus complètes et plus visibles, en particulier sur la santé et la durabilité des produits alimentaires.
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La santé et le bien-être des animaux constituent un impératif moral, sanitaire et économique. Vous vous assurerez que l'Europe est équipée pour prévenir et lutter contre les maladies animales pouvant être transmises. Vous devrez également veiller à l'application de la législation en matière de bien-être animal, revoir notre stratégie actuelle et promouvoir les normes européennes à l'échelle mondiale.
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Je souhaite que vous vous concentriez sur la mise en œuvre et l'application de la législation détaillée dans les domaines de la sécurité alimentaire et de la santé des animaux et des végétaux. Les audits constitueront un outil crucial à cet égard, notamment pour garantir que les importations de produits alimentaires respectent nos normes de sécurité.
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Vous devriez travailler avec les États membres pour élaborer une stratégie comportant des mesures concrètes contre la fraude alimentaire, en vous inspirant des travaux de l'Office Européen de Lutte Antifraude dans ce domaine.
Que la première vice-présidence soit attribuée à un « Green Deal » est éloquent sur les ambitions de l'Union Européenne :
« La protection de notre planète et de notre environnement partagé est la tâche essentielle de notre génération. Il s'agit d'une obligation morale, humaine et politique urgente, dont les Européens nous ont résolument fait savoir qu'ils souhaitaient que leur Union remplisse. C'est aussi un impératif économique à long terme : ceux qui agissent les premiers et le plus rapidement seront ceux qui saisiront les opportunités de la transition écologique.
Le Green Deal européen devrait devenir la marque de fabrique de l’Europe. Notre engagement à devenir le premier continent au monde climatiquement neutre est au cœur de cet engagement. Cela nécessitera une ambition collective, un leadership politique et une transition juste pour les plus touchés. »
Pour une telle ambition, la Présidente de la Commission veut son Green Deal dans un délai de... 100 jours ! On rêve !
Nos amis énergéticiens suivront ces travaux avec intérêt s'agissant de l'objectif de réduction des gaz à effet de serre pour 2030... dans dix ans... objectif passé d'un trait de plume de 40 à 50 %... La Parlement Européen vient d'articuler un chiffre de 55 %. Qui dit mieux ?
Quant à notre domaine de prédilection, voici deux éléments du programme :
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L'Europe doit être le leader mondial en matière de protection de la biodiversité. Vous veillerez à intégrer les priorités de la biodiversité dans tous les domaines politiques, notamment le commerce, l'industrie, l'agriculture et les affaires maritimes. Pour ce faire, vous coordonnerez les travaux sur la Stratégie en Matière de Biodiversité pour 2030.
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Vous serez responsable de la coordination des travaux de la Commission sur notre ambition de zero pollution. Cela nécessitera une approche globale en ce qui concerne la pollution de l'air, de l'eau et du bruit par les transports, l'agriculture et la production alimentaire, la qualité de l'eau, les produits chimiques dangereux et d'autres domaines clés.
Au-delà du climat – et des « problèmes mondiaux les plus urgents » – et du numérique, l'horizon de Mme Ursula von der Leyen est bouché...
« Le meilleur investissement dans notre avenir est dans nos jeunes, nos innovateurs et nos chercheurs. L'éducation, la recherche et l'innovation seront essentiels pour notre compétitivité et de notre capacité à mener la transition vers une économie climatiquement neutre et une nouvelle ère numérique. Il s'agit de doter les gens des connaissances, de l'expérience de vie et des compétences dont ils ont besoin pour s'épanouir. Notre science, recherche et innovation de classe mondiale peut nous aider à trouver des solutions européennes aux problèmes mondiaux les plus urgents.
En coopérant à travers les langues, les frontières et les disciplines, nous pouvons collectivement répondre aux défis sociétaux et aux pénuries de compétences qui existent actuellement. La culture et le sport seront également des outils importants pour améliorer notre bien-être mental et physique et créer des emplois et de la croissance. »
Notons incidemment que la feuille de route de Mme Kadri Simson (énergie – Lettonie) inclut la « poursuite de la sortie en cours du nucléaire ». La schizophrénie politicienne est à l'œuvre ici : on veut la neutralité carbone et on exclut le seul moyen efficace de disposer d'une énergie (très largement) décarbonée qui soit disponible à la demande et pilotable.
Question à mille euros : que signifie : « Le gaz aura un rôle à jouer dans la transition vers une économie neutre en carbone, notamment par la capture et le stockage du carbone » ? On peut craindre, comme réponse, l'illettrisme et l'obscurantisme en matière de science et de technologie, la déconnexion des réalités et la course vers l'obsolescence et la décadence de l'Union Européenne.
Tout cela n'est guère enthousiasmant. Les acteurs de la recherche & développement et de la filière variétale et semencière feraient bien de réfléchir à leurs stratégies et, notamment, à la localisation de leurs activités.
Plus pertinent que jamais, l'avis de M. Ludger Weß : « Chercheurs en biologie végétale, barrez-vous ! »