Initiative citoyenne européenne anti-pesticides : Ouest France, RTL, le Télégramme, 20 Minutes, où est votre déontologie ?
Le 20 octobre 2019, nous vous avions informé d'un nouvel assaut contre les pesticides* (*de synthèse) dans « Une nouvelle "initiative citoyenne européenne" : "Sauvons les abeilles et les agriculteurs" ».
Rappelons qu'une initiative citoyenne européenne (ICE) peut être lancée par sept citoyens de pays différents de l'Union Européenne et permet d'interpeller la Commission Européenne si elle recueille au moins un million de signatures validées émanant des États membres en conformité avec des quotas minimums (55.500 pour la France).
L'initiative en question avait pour titre « Sauvons les abeilles et les agriculteurs » (site en anglais). En voici le « texte officiel » :
« Sujet :
Afin de protéger les abeilles et la santé humaine, nous appelons la Commission européenne à proposer des actes juridiques pour éliminer progressivement les pesticides de synthèse d’ici 2035, pour restaurer la biodiversité et pour soutenir les agriculteurs en transition.
Objectifs principaux:
Diminuer de 80% l’usage des pesticides de synthèse dans l'agriculture de l'UE d'ici 2030, en commençant par les plus dangereux, puis éliminer complètement ces pesticides de synthèse d'ici 2035; restaurer des écosystèmes naturels dans les zones agricoles afin que l'agriculture devienne un vecteur de récupération de la biodiversité; réformer l'agriculture en donnant la priorité à une agriculture à petite échelle, diversifiée et durable, en soutenant une augmentation rapide des pratiques agro-écologiques et biologiques et en permettant une formation et une recherche indépendantes centrées sur les agriculteurs en matière d'agriculture sans pesticides et sans OGM. »
Sans surprise, la petite entreprise Générations Future, financée en partie par un biobusiness qui profite largement de l'échange de services, est de la partie. M. François Veillerette, présentement directeur et porte-parole de GF et « [f]igure importante du mouvement anti-pesticides en France » selon le dossier de presse de GF, est du reste un des sept citoyens initiants.
Sans surprise non plus, GF vend sa camelote sous la marque habituelle de son fond de commerce, « Signez l’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) : pour la fin des pesticides de synthèse dans l’UE ». Mais rassurez-vous pour l'honnêteté de la démarche, le titre officiel de l'ICE apparaît dans le texte.
La collecte de signatures a débuté le 25 novembre 2019.
À Bruxelles, le lancement de l'initiative a bien joué sur la corde sensible des pauvres zabeilles... En France, Générations Futures, etc. jouent la carte de la frousse des pesticides.
Bien sûr avec le concours bienveillant de médias prompts à sauter dans le train du militantisme anti-pesticides. Enfin... tout compte fait, ils n'ont pas été nombreux.
L'AFP en a peut-être rebuté bon nombre. En effet, elle a produit une dépêche honnête et équilibrée – qu'Actu-Orange a mis en ligne sous le titre : « Lancement d'une pétition européenne pour interdire les pesticides de synthèse ».
En donnant aussi la parole à Mme Eugenia Pommaret, directrice générale de l'Union des Industries de la Protection des Plantes (UIPP), elle pointait explicitement les faiblesses de l'initiative :
« "Je ne pense pas que cette initiative avec cette focalisation sur les pesticides de synthèse apporte quoi que ce soit comme solution. Avoir un débat sur l'amélioration du profil des produits, sur l'amélioration des évaluations, c'est déjà en cours au niveau européen et c'est tout à fait légitime. Mais on ne peut pas faire une distinction entre pesticides de synthèse ou naturels, a priori", a pour sa part réagi Eugenia Pommaret, directrice de l'UIPP, qui représente les industriels producteurs de produits phytosanitaires, à l'AFP.
"L'esprit du règlement européen c'est qu'il ne fait pas de distinction entre produits de synthèse et naturel, mais entre les produits de base à faible risques et les autres. Si un produit de synthèse est à faible risque il ne doit pas être écarté au profit d'un produit naturel qui n'est pas à faible risque", a ajouté la représentante de l'UIPP. »
C'est du simple bon sens. Et cela met, une fois de plus, le doigt sur les incohérences du mouvement anti-pesticides et pro-agriculture biologique, ainsi que, implicitement, la manœuvre de soutien au biobusiness.
La lecture des commentaires est assez intéressante. Nombreux sont ceux qui ne sont pas dupes et qui entendent le faire savoir.
Ouest France, se fondant aussi sur l'AFP a titré : « Une pétition européenne pour interdire les pesticides de synthèse d'ici à 15 ans ». Mais il a zappé la déclaration de Mme Eugenia Pommaret... tout en gardant la déclaration finale de Mme Nadine Lauverjat, de Générations Futures :
« […] l’exemple français des 3 000 fermes Dephy engagées dans des pratiques économes en pesticides montre que [réduire de 50 % l’utilisation des produits phytopharmaceutiques d’ici 2025] est possible. »
C'est au mieux inexact. Mais des faits non conformes à l'idéologie et nuisibles au fond de commerce, chez les activistes, on n'en a cure...
Chez RTL et le Télégramme, les titres sont neutres et les textes courts : « Environnement : lancement d'une pétition européenne pour interdire les pesticides en 2035 » et « Une pétition européenne est lancée pour interdire les pesticides de synthèse ». Mais on aura pris bien soin de mettre les liens vers les sites où l'on peut signer...
(Source : article de RTL)
Enfin, 20 Minutes, sous un titre qui est déjà une invite à signer, « Un million de signatures à trouver pour tenter de sortir l’Europe des pesticides » – le « de synthèses » passe à la trappe – a produit son propre article sous la signature de M. Fabrice Pouliquen.
Avec force citations de protagonistes de l'action : dans l'ordre d'apparition M. Alain Chabrolle, vice-président de France Nature Environnement (FNE) ; M. Arnaud Apoteker, directeur général de Justices Pesticides ; et évidemment l'inévitable François Veillerette.
En bref, un infomercial, un article qui a fait l'article pour l'initiative. Avec insistance. Aucune tentative d'y placer des opinions du « camp d'en face ». L'auteur de l'article ne pouvait pourtant guère ignorer les propos de Mme Eugenia Pommaret diffusés par l'AFP...
Retenons aussi ce paragraphe :
« En revanche, cette ICE initiée en 2017 [« Stop glyphosate »] demandait que les herbicides à base de glyphosate soient interdits, ainsi (déjà) que soit fixé, à l’échelle de l’UE, des objectifs obligatoires de réductions de l’utilisation des pesticides. Sur ces deux volets, les associations environnementales avaient été renvoyées dans les cordes par Bruxelles. "Tout de même, précise Arnaud Apoteker, le 27 novembre 2017, la Commission européenne n’a renouvelé l’autorisation du glyphosate 'que' pour cinq ans, contre 15 ans habituellement. Notre ICE a sans doute contribué à ce changement." »
M. Arnaud Apoteker connaît sans doute l'historique de la prise de décision sur le glyphosate et le bras de fer entre la Commission Européenne – qui entendait faire prendre la décision par les États membres – et les États membres – qui se sont ingéniés à rester dans la zone grise de la règle sur les majorités requises de manière à refiler la patate chaude à la Commission. Mais que ne ferait-on pas pour s'attribuer les mérites dans une issue supposée heureuse...
...et pour vendre sa camelote. Là aussi, les commentaires sont éclairants. On peut penser que 20 Minutes a un lectorat plutôt populaire. Et le moins que l'on puisse dire est que l'écart se creuse entre cette France et la frange qui peut rêver d'une agriculture prétendument sans pesticides, en réalité « bio ».