Fongicides SDHI : voilà l'étude, mais elle nous laisse sur notre faim
(Source – excellent fil)
Comme le rapporte Alerte Environnement dans « SDHI : Rustin en voie de séralinisation ? », une campagne médiatique – d'annonce de l'apocalypse – a été organisée pour coïncider avec la publication de « Evolutionarily conserved susceptibility of the mitochondrial respiratory chain to SDHI pesticides and its consequence on the impact of SDHIs on human cultured cells » (sensibilité conservée au cours de l'évolution de la chaîne respiratoire mitochondriale aux pesticides SDHI et sa conséquence sur l'impact des SDHI sur des cellules humaines en culture).
L'article, paru le 7 novembre 2019 dans PLOS One, est de Paule Bénit, Agathe Kahn, Dominique Chretien, Sylvie Bortoli, Laurence Huc, Manuel Schiff, Anne-Paule Gimenez-Roqueplo, Judith Favier, Pierre Gressens, Malgorzata Rak et Pierre Rustin.
C'est essentiellement l'équipe qui a mis le feu aux poudres le dimanche 15 avril 2018 par une tribune publiée dans Libération, « Une révolution urgente semble nécessaire dans l’usage des antifongiques », sur la base d'allégations étayées (enfin...) par un article déposé dans une archive, un article sans consistance scientifique.
Cette équipe s'est muée en bataillon de choc de la lutte contre les pesticides. Une lutte qui, comme chacun devrait le savoir, n'est pas dénuée d'arrière-pensées économiques et politiques (voir sur ce site « Fongicides SDHI : une alerte sans fondement sérieux mais activiste, à la Philippulus » et « Fongicides SDHI : pétages de câbles en série ! »).
Quiconque a des doutes sur la mutation d'une équipe de chercheurs en jihadistes anti-pesticides (et sur les moyens financiers dont ils disposent) peut visiter leur site.
On pouvait donc s'attendre à des propos violents – souvent au conditionnel d'ignorance des vrais faits –, voire à une escalade d'engagement. Nous avons été servis par une partie de la presse militante et servile, relayée par des médias suivistes.
Mais commençons par le commencement. Voici le résumé de l'article scientifique (nous découpons comme d'hab') ; il est repris du texte en français mis en ligne par les auteurs sur leur site militant, sans vérification de notre part de sa conformité au texte anglais, devenu référence) :
« Les Inhibiteurs de la Succinate DésHydrogénase (SDH) (SDHI) sont utilisés dans le monde entier pour limiter la prolifération de moisissures sur les plantes et leurs produits. Toutefois, la SDH, également appelé complexe II de la chaîne respiratoire, est un composant universel des mitochondries qui sont présentes dans quasi tous les organismes vivants. La SDH est restée particulièrement conservée au cours de l’évolution, et l’on peut légitimement s’interroger sur la spécificité des SDHI vis-à-vis des seules moisissures.
Ici, nous établissons d’abord que la SDH de l’homme, de l’abeille domestique, du ver de terre et des champignons sont toutes sensibles aux huit SDHI testés, avec toutefois des valeurs d’IC50 variables, généralement de l’ordre du micro-molaire. Nous avons ensuite observé que cinq des SDHI, principalement de la dernière génération, inhibent, outre la SDH, l'activité du complexe III de la chaîne respiratoire.
Puis, nous montrons que le glucose présent dans les milieux de culture cellulaire masque totalement l'effet délétère des SDHI. En effet, le glucose métabolisé par la glycolyse va fournir suffisamment d'ATP et de pouvoir réducteur (NADPH) pour les enzymes antioxydantes et ainsi permettre la croissance de cellules déficientes en chaîne respiratoire. En revanche, lorsque la glutamine est la principale source de carbone au lieu du glucose, la présence de SDHI entraîne une mort cellulaire dépendante du temps. Ce processus est considérablement accéléré pour des fibroblastes provenant de patients atteints de maladies neurologiques ou neurodégénératives dues à une altération de la chaîne respiratoire (encéphalopathie due à un déficit partiel de SDH) et/ou à une hypersensibilité aux stress oxydatifs (ataxie de Friedreich, forme héréditaire de la maladie d'Alzheimer). »
Passons à la conclusion :
« Tout d'abord, ces travaux établissent que, à l'instar de la molécule précédente, la carboxine [16], tout les SDHI testés inhibent la SDH et cela chez toutes les espèces étudiées, mais avec une efficacité variable. De plus, les SDHI de nouvelle génération contenant un fragment méthyl-pyrazol (Fig 3) inhibent également le complexe III de la chaîne respiratoire. Ce manque de spécificité constitue un problème majeur compte tenu de l'utilisation généralisée actuelle de ces SDHI. Bien que ce manque de sélectivité (CII + CIII) puisse être la source de l'efficacité des SDHI de dernière génération, il pourrait également constituer un risque supplémentaire pour les organismes exposés. Notre étude a ensuite établi que les conditions standards utilisées pour tester la toxicité éventuelle des SDHI (ainsi que de tout autre pesticide ciblant les mitochondries, les mitochondriotoxiques) peuvent masquer un effet toxique potentiel. Par conséquent, nous recommandons de modifier d’urgence les tests réglementaires [dans le texte anglais : "nous recommandons des tests..."] pour la détermination de la toxicité des molécules et l’utilisation du milieu de croissance MitoMax dans lequel la glutamine est la seule source de carbone.
Enfin, nous montrons qu'un défaut mitochondrial préexistant, tel qu'un dysfonctionnement partiel de la SDH ou une hypersensibilité aux attaques oxydatives (FRDA, FAD), augmente la sensibilité aux SDHI, suggérant un risque particulier pour les individus présentant un tel dysfonctionnement.
La différence entre les deux textes est-elle fortuite (une relique d'un texte antérieur) ou délibérée ? À vous de juger. Nous penchons pour la première hypothèse.
Entre le résumé et les conclusions, il y a la description des travaux conduits in vitro, soit sur des mitochondries isolées (champignon Botrytis cinerea, abeille Apis mellifera, ver de terre Lumbricus terrestris), soit sur des cellules isolées de fibroblastes humains prélevées sur des contrôles sains et trois patients présentant soit une encéphalopathie due à un déficit en SDH, soit une ataxie de Friedreich (FRDA), soit une maladie familiale d’Alzheimer (FAD).
Nos pérégrinations sur la toile ne nous ont pas mené à des hurlements sur les travaux et leurs résultats. Le travail réalisé n'est pas comparable à la fameuse étude sur les rats. La « séralinisation » évoquée par Alerte Environnement porte essentiellement sur la stratégie de communication, pas sur la qualité du travail scientifique.
Il n'en demeure pas moins que c'est de l'in vitro, de surcroît dans des conditions très particulières puisqu'une partie de l'étude a été réalisée sur des mitochondries extraites des cellules. Et il y a loin de l'in vitro à l'in vivo.
Les auteurs ont reconnu ce fait dans la conclusion – « ce manque de sélectivité [...] pourrait également constituer un risque supplémentaire pour les organismes exposés » –, mais également dans le texte (sur suggestion d'un des pairs réviseurs) :
« […] Bien sûr, il est extrêmement dangereux de comparer les valeurs de IC50 obtenues in vitro dans des conditions de laboratoire avec les concentrations de SDHI pouvant résulter de l'application de ces pesticides sur des cultures. On peut cependant déterminer de manière fiable la concentration de SDHI à la sortie des buses de diffusion. Dans le cas du bixafen, elle est d’environ 0,6 à 1,8 mM selon les recommandations distribuées aux agriculteurs, ce qui correspond à un nuage de nébulisation de 75-125 g/ ha de bixafen. L’exposition finale dépend de nombreux facteurs difficiles à maîtriser, notamment les conditions d’épandage, la nature du sol, son couvert végétal, etc. Du point de vue réglementaire, la DJA, par exemple pour le boscalid et le bixafen, est de 0,04 et 0,02 mg / kg / jour, respectivement (voir légende Fig 3). Pour un adulte moyen (60 kg / volume sanguin 5 l), cela correspond à une concentration sanguine d'environ 1,40 et 0,58 µM.
C'est un peu capillotracté.
Passer de la DJA à la concentration sanguine suppose que l'intégralité de la substance soit absorbée (et que l'on ait ingéré la totalité de la DJA). Pour qu'elle ait un effet, la substance doit ensuite passer dans les cellules. La concentration sanguine est-elle suffisante pour délivrer une dose suffisante à chaque cellule cible ? Dans les cellules, la substance doit passer dans les mitochondries, elle doit aussi y rester suffisamment longtemps pour faire son œuvre.
Dans leurs expériences, les auteurs ont fait faire trempette à leurs mitochondries ou cellules pendant une dizaine de jours (voir par exemple l'image cidessous).
Notons que selon le tableau 1, l'IC50 (la quantité de substance (inhibiteur) nécessaire pour inhiber à moitié un processus biologique donné) la plus basse pour les cellules humaines est de 4,8±0,2 µM pour le boscalide et de 0,34±0,12 µM pour le bixafen.
Mais tout de même : les auteurs ont sans doute identifié un danger, mais ils sont très loin d'avoir identifié un risque.
Un danger qui serait plus grand en l'absence de glucose, chez des patients atteints de certaines maladies neurologiques ou neurodégénératives.
(Source)
Notez que les intervalles de temps en abscisse sont irréguliers… un peu curieux...
Et c'est là que l'on entre dans le domaine de la communication et de la gesticulation. Ce sera pour un autre billet.
Mais on notera que l'Agence Nationale de Sécurité Sanitaire de l’Alimentation, de l’Environnement et du Travail (ANSES) a promptement réagi – chapeau bas ! – avec « Point sur les SDHI ». En résumé :
« Suite à la publication le 7 novembre d’un article dans la revue scientifique PLOS One évoquant la toxicité de fongicides SDHI sur des cellules cultivées in vitro, l’Anses rappelle qu’elle poursuit ses travaux concernant de potentiels effets de ces substances sur la santé en conditions réelles d’exposition, en coopération avec d’autres institutions scientifiques de recherche et d’expertise. »
Et, plus précisément sur l'article de P. Bénit et al. :
« L’évaluation scientifique des risques repose en effet sur l’ensemble des connaissances disponibles : données sur les mécanismes d’action, données expérimentales de toxicité sur cellules (in vitro) et animaux (in vivo) notamment. L’article publié hier apporte des données nouvelles obtenues dans des conditions expérimentales sur des lignées cellulaires. En tout état de cause, il est hasardeux de comparer les valeurs d’IC 50[1] obtenues in vitro dans des conditions de laboratoire avec les concentrations de SDHI qui pourraient résulter des applications des pesticides sur les cultures, comme le soulignent les auteurs dans leur article.
Ces données d’intérêt vont donc être examinées par les collectifs d’experts scientifiques que l’Anses mobilise pour prendre en compte toutes les études récentes sur les SDHI, dont les résultats de l’expertise collective de l’Inserm, de façon à actualiser son avis du 14 janvier 2019.
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[1] Concentrations inhibant, pour la moitié des cellules en culture, les fonctions biologiques étudiées. »