Donner la parole aux agriculteurs
Onyaole Patience Koku*
Il faut toujours donner la parole aux agriculteurs.
C’est le message que j’ai livré le mois dernier lors d’un forum sur l’agriculture en Allemagne – et c’est le message que j’ai l’intention de répandre en tant que récipiendaire du prix Kleckner du Réseau Mondial d'Agriculteurs (Global Farmer Network) pour 2019.
C’est un si grand honneur ; j’ai peine à croire que j’aie même été considérée comme candidate possible pour ce prix. Dans mon monde de semis, de protection et de récolte, c’est la chose la plus proche d’un prix Nobel de la Paix.
Nommé en l'honneur de feu Dean Kleckner, le premier président de ce qui est aujourd'hui le Réseau Mondial d'Agriculteurs, ce prix vise à récompenser un agriculteur qui a fait preuve de leadership, de vision et de détermination dans la défense du droit des agriculteurs de choisir la technologie et les outils qui permettront d'améliorer la qualité, la quantité et la disponibilité des aliments dans le monde.
Au cours de l'année écoulée, j'ai voyagé à partir de mon pays, le Nigeria, pour promouvoir ces valeurs. J’ai également écrit des articles sur les raisons pour lesquelles les agriculteurs africains ont besoin des OGM, l’importance des produits de protection des plantes tels que le glyphosate et l'intérêt de raconter nos histoires sur les réseaux sociaux.
Derrière tout cela se cache une idée principale : toujours donner la parole aux agriculteurs.
Malheureusement, notre voix se perd souvent dans le bruit de la vie ordinaire. Nous sommes tellement occupés à cultiver des terres et à élever des familles que nous ne prenons pas toujours le temps de dialoguer avec le grand public. En tant qu'agricultrice qui produit à la fois du maïs semence et du maïs grains, je sais à quel point il peut être difficile de penser à autre chose.
S'ajoutant au défi, les consommateurs comprennent moins sur la production alimentaire qu’il y a une génération, en partie parce que moins d’entre eux sont directement impliqués dans la production, mais aussi parce que la science et la technologie deviennent de plus en plus sophistiquées chaque année.
Nous expliquons de moins en moins à un moment où nous avons tellement de choses à dire. Si nous ne racontons pas nos histoires – et ne défendons pas les outils dont nous avons besoin –, personne ne le fera. Mais c’est encore pire. Notre silence crée un vide que d’autres s'empressent de combler. Leurs paroles ne seront pas les nôtres et leurs intérêts entreront en conflit avec les nôtres. Ils vivent souvent dans des villes lointaines et mettent rarement les pieds dans de vraies fermes, mais ils sont déterminés à nous commander dans nos fermes.
Ils insisteront pour que nous fassions notre travail avec les technologies du 20e siècle. Ils nous interdiront l’accès à des produits qui protègent nos cultures des mauvaises herbes, des parasites et des maladies. Ils nous submergeront de communiqués de presse et de protestations.
Mais nous ne pouvons pas simplement nous défendre contre nos agresseurs. Nous devons également passer à l'offensive.
Nous pouvons diffuser les bonnes nouvelles concernant la biotechnologie. Nous pouvons décrire comment les OGM nous permettent de produire plus de nourriture sur moins de terres, nous aidant ainsi à nourrir la planète et à préserver l'environnement. Je suis particulièrement enthousiasmée par CRISPR, une méthode d’édition de gènes qui pourrait potentiellement déclencher une nouvelle Révolution Verte.
Nous pouvons dire la vérité sur la protection des cultures et sur son rôle vital dans le maintien de la santé de nos cultures et la propreté et la qualité de nos aliments. Au Nigeria, cette technologie nous permet de vaincre la double menace d'une mauvaise herbe appelée « aya aya » et d'un insecte au nom menaçant : « légionnaire d'automne ». Nous aspirons à faire du continent africain un grenier mondial, par opposition à un cas désespéré agricole – et la protection des plantes est essentielle à cette ambition.
Enfin, nous pouvons participer aux discussions sur l’agriculture et l’alimentation où qu’elles se déroulent : avec nos amis et nos parents, avec des personnes qui commencent des conversations en ligne et dans les centres de conférence où les puissants se rassemblent pour parler de l’agriculture.
Dean Kleckner savait utiliser sa voix. Il était devenu un ardent défenseur des agriculteurs qui souhaitaient le libre-échange et l'accès aux technologies modernes. Il avait également une vision pour une organisation qui amplifierait la voix des agriculteurs. Le Réseau Mondial d'Agriculteurs, dont je suis un fier membre, est son héritage. Le reste d'entre nous devraient apprendre de son exemple et suivre ses traces.
Je vais continuer à voyager et à écrire – et maintenant je le ferai en tant que récipiendaire d’un Prix Kleckner, en utilisant ma voix pour faire en sorte que les agriculteurs soient toujours entendus.
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* Onyaole Patience Koku
La ferme de Patience est située dans l’État de Kaduna au Nigeria. La ferme couvre 500 hectares de terres louées et produit deux cultures par an sous irrigation par pivot. On y cultive principalement du maïs semence pour Monsanto et du maïs grain pour de grandes entreprises de transformation des aliments au Nigeria, comme Flour Mills of Nigeria. Patience est titulaire d’un diplôme en sciences politiques et a plus de 20 ans d’expérience dans divers secteurs, dont la mode et l’agriculture. Elle a déjà démarré et exploité une ferme avicole de 12.000 poulets de chair par bande et fait du négoce (au niveau local et international) et du courtage pour ADM. Patience promeut l'accès aux technologies agricoles. Elle attend avec impatience la possibilité de cultiver des plantes génétiquement modifiées au Nigeria. Elle siège au conseil d'administration de plusieurs sociétés, dont 1 Hectare 1 Family Nigeria Ltd., une entreprise qui vise à faire cultiver 200.000 hectares de terres au cours des cinq prochaines années, améliorant les moyens de subsistance des petits exploitants agricoles en leur permettant d'accéder à la mécanisation, à l'innovation et à la technologie.
Source : https://globalfarmernetwork.org/2019/10/let-the-farmer-have-a-voice/