Conversion au 100 % bio en Angleterre et au pays de Galles : plus de détails inconvenants
Un de nos billets précédents, « Angleterre et Pays de Galles tout bio : la cata ! – Ou : le bio ne sauvera pas la planète », traitait d'une étude qui avait retenu l'attention de quelques médias britanniques et suscité une attention fort limitée en France. À noter, à ce sujet, qu'Atlantico a interrogé M. Gil Rivière-Wekstein dans « Manger bio ou protéger l'environnement : cette étude qui montre qu'il va falloir choisir ».
Curieusement, les médias se sont assez peu intéressés au volet « gaz à effet de serre » et beaucoup plus à celui des conséquences sur l'approvisionnement alimentaire. Pour employer l'expression qui convient dans ce monde devenu plus chaotique et dangereux, il s'agit de la souveraineté alimentaire, un enjeu que les médias ont perçu, mais pas distinctement.
Il faut dire qu'il y a de quoi : « The greenhouse gas impacts of converting food production in England and Wales to organic methods » (les impacts en termes de gaz à effet de serre de la conversion de la production alimentaire aux méthodes biologiques en Angleterre et au Pays de Galles) de Laurence G. Smith et al. prédisait en effet une baisse de la production alimentaire totale exprimée tant en énergie métabolisable qu'en protéines comestibles pour l'homme de l'ordre de 40 %.
En fait, cet article scientifique reprenait les conclusions d'un autre, bien plus intéressant, « Modelling the production impacts of a widespread conversion to organic agriculture in England and Wales » (modélisation des impacts sur la production d'une conversion généralisée à l'agriculture biologique en Angleterre et au Pays de Galles) de Laurence G. Smith, Philip J. Jones, Guy J.D. Kirk, Bruce D. Pearce et Adrian G. Williams, publié dans Land Use Policy.
En voici le résumé (découpé pour faciliter la lecture) :
Points forts
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Les impacts de l’agriculture biologique à grande échelle sont évalués au moyen d'une modélisation de l’utilisation des terres.
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La production alimentaire en énergie métabolisable a atteint 64% de celle de l'agriculture conventionnelle.
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Les pertes de production seraient les plus importantes pour les céréales et le bétail monogastrique.
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Le stock de ruminants a augmenté et les rendements en légumes ont été similaires aux niveaux de référence conventionnels.
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Un scénario biologique nécessiterait une augmentation importante des importations de produits alimentaires ou un changement de régime alimentaire.
Résumé
Nous évaluons les impacts sur la production d'une conversion à 100 % en agriculture biologique en Angleterre et au Pays de Galles à l'aide d'un modèle de programmation linéaire à grande échelle. Le modèle comprend une gamme de structures agricoles typiques, étendues à toute la superficie disponible, dans le but de maximiser la production alimentaire. Les effets du sol et des précipitations, de l’offre/prélèvement d’azote (N) et de la demande en aliments pour le bétail sont pris en compte.
Les résultats révèlent des réductions importantes de la production de blé et d'orge, tandis que la production de céréales mineures telles que l'avoine et le seigle augmente.
La production de bétail monogastrique et de lait a également diminué considérablement, tandis que les effectifs de bovins et d'ovins ont augmenté.
La production de légumes était généralement comparable à celle de l'agriculture conventionnelle.
La réduction au minimum des surfaces fourragères pour la production de fertilité et/ou l'amélioration des taux de fixation de l'azote ont augmenté les disponibilités alimentaires provenant de l'agriculture biologique au niveau national.
La production alimentaire totale, en termes d'énergie métabolisable, représentait 64 % de celle de l'agriculture conventionnelle.
Cela nécessiterait une augmentation substantielle des importations de produits alimentaires, avec une expansion correspondante des terres agricoles cultivées à l'étranger.
Des changements importants dans le régime alimentaire et des réductions du gaspillage alimentaire seraient nécessaires pour compenser les impacts sur la production d'une conversion à 100% en agriculture biologique.
Donnons encore la parole aux auteurs :
« Une approche de modélisation a été adoptée, capable de prendre en compte les différences de rendement entre les productions conventionnelle et biologique, ainsi que la variation de rendement due aux conditions environnementales locales, tout comme les contraintes d'approvisionnement imposées par les disponibilités en azote, la nécessité de maintenir des rotations culturales rationnelles sur le plan agronomique, et les disponibilités en aliments pour le bétail. Une approche multi-scénarios a été adoptée pour explorer l'impact de la variation des hypothèses sous-jacentes à ces contraintes. En outre, un cadre pour une alimentation saine mis au point au Royaume-Uni a été utilisé pour évaluer la capacité d'une agriculture domestique entièrement biologique à répondre aux besoins nutritionnels optimaux de l'homme (c.-à-d. Eatwell Plate, Macdiarmid et al., 2011). »
Le mode opératoire a été illustré par le graphique suivant :
L'Optimal Land Use Model (OLUM) applique une série de variables à un maillage territorial de 5 kilomètres de côté sur la base de données existantes.
Neuf types d'exploitations agricoles sont utilisés, avec une première ventilation en fonction des productions (land base). Des land classes ont été définies en fonction des types de sols et des précipitations. Voici ce que cela donne pour ce dernier facteur :
Les rendements potentiels ont aussi été estimés en fonction des dynamiques de l'azote en agriculture biologique pour une série de rotations typiques (ci-dessous).
Nous n'irons pas plus loin dans la description du mode opératoire, en particulier dans la description des contraintes qui ont été appliquées au modèle pour refléter au mieux les réalités de l'activité agricole. Les brèves indications ci-dessus montrent que le travail qui a été réalisé n'est pas une simple extrapolation de données existantes, et qu'il a été possible de produire des scénarios, et donc des résultats différents.
Ces résultats sont illustrés par les graphiques qui suivent.
Sans surprise, les variations ne sont pas les mêmes d'une région à l'autre. On peut du reste se demander si certaines régions seraient capables d'encaisser les diminutions de rendement.
En résumé, voici ce que cela donne (on appréciera vivement les intervalles de confiance pour les rendements).
Dans leur partie « discussion », les auteurs notent qu'ils ont obtenu des résultats similaires à ceux de Jones and Crane (2009), qui ont utilisé une approche méthodologique différente, avec toutefois quelques divergences. Cela suggère que les estimations sont robustes et, par conséquent, réalistes.
Ils décrivent aussi des éléments de réflexion sur les conséquences d'une conversion au bio à 100 % et les moyens d'y parvenir. Ce n'est pas inintéressant, mais reste très théorique. Le modèle comporte évidemment un certain nombre de limitations comme le maintien, dans ses grandes lignes, du paysage agricole actuel. Il est en effet impossible de prédire l'évolution de l'est agricole vers plus d'élevage, et de l'ouest herbager vers plus de cultures. Le modèle est aussi axé sur la maximisation des productions, et non des revenus pour les producteurs. Etc.
Pour certains éléments – comme l'assouplissement des règles de l'agriculture biologique présentée comme une hypothèse d'évolution – on peut penser que c'est une douce illusion (quoique... la Soil Association nous semble plus pragmatique que nos idéologues nationaux). En résumé :
« Les résultats suggèrent qu’une conversion généralisée à l’agriculture biologique aurait des incidences majeures sur l’approvisionnement en produits alimentaires nationaux, c’est-à-dire non seulement en fournissant moins de produits alimentaires que l’agriculture conventionnelle, mais également en fournissant un autre assortiment de produits alimentaires. Bien que l'agriculture conventionnelle n'atteigne en aucun cas un équilibre parfait entre l'offre et la demande des consommateurs nationaux, elle fournit une quantité beaucoup plus importante d'aliments pour soutenir les régimes alimentaires nationaux en Angleterre et au Pays de Galles. De toute évidence, sans mesures de correction, cela constituerait un obstacle majeur à l'expansion à grande échelle de l'agriculture biologique, c'est-à-dire que les consommateurs réagiraient négativement à la pénurie de blé, de lait, de porc et de volaille, et aux prix plus élevés qui en résulteraient, que les politiciens ne voudraient pas soutenir un système agricole qui entraînerait une augmentation des importations de produits alimentaires et que les agriculteurs ne voudraient pas produire des cultures telles que les légumineuses et céréales mineures, qui étaient déjà surapprovisionnées dans un scénario biologique. »
Et en conclusion :
« En résumé, les résultats de notre étude suggèrent que l’impact d’une conversion totale à l’agriculture biologique sur la production alimentaire en Angleterre et au Pays de Galles serait grave. »
C'est un understatement, un euphémisme…