Changement climatique : les asthmatiques polluent grave !
Ce titre est à dessein putaclic.
La vie d'un ou d'une asthmatique est déjà suffisamment compliquée, et il serait indécent de les stigmatiser. C'est pourtant ce que viennent de faire Allodocteurs et FranceTVInfo, répercutés par Yahoo !, avec « Asthmatiques, gare à votre empreinte carbone ! »
En chapô :
« Certains inhalateurs émettent des gaz à effet de serre et font grimper l’empreinte carbone des patients qui utilisent régulièrement ces traitements contre l’asthme ou d’autres maladies pulmonaires. »
En bref, après l'interdiction des chlorofluorocarbones (CFC) pour cause d'atteinte à la couche d'ozone, des inhalateurs utilisent des hydrofluorocarbures (HFC) – plus précisément des hydrofluoroalcanes – comme propulseurs de l’agent actif du médicament.
Difficile de trouver des indications précises. Contentons-nous donc de ceci : les gaz fluorés sont de puissants gaz à effet de serre – jusqu'à 23.000 fois l'effet du dioxyde de carbone. Leur utilisation est en augmentation, mais des mesures ont été prises en vue d'une réduction ; ils représentent 2 % des émissions de l'Union Européenne.
Les HFC sont principalement utilisés comme réfrigérants dans les réfrigérateurs, les appareils de conditionnement d'air et les pompes à chaleur, comme agents d'expansion pour les mousses, gaz propulseurs, etc. L'HFC le plus répandu est 1.430 fois plus puissant que le CO2 par unité de masse. Beaucoup de HFC ont une durée de résidence dans l'atmosphère courte, de 15 à 29 ans. Selon ce site, le HFC-134a – utilisé dans les inhalateurs – a une durée de résidence dans l'atmosphère de quelque 14 ans.
Une équipe britannique – Alexander J.K. Wilkinson, Rory Braggins, Ingeborg Steinbach et James Smith – vient de publier « Costs of switching to low global warming potential inhalers. An economic and carbon footprint analysis of NHS prescription data in England » (coûts du passage à des inhalateurs à faible potentiel de réchauffement de la planète. Une analyse économique et de l'empreinte carbone des données de prescription du NHS [service national de santé] en Angleterre) dans le British Medical Journal.
Prenons l'information pertinente du communiqué de presse de l'Université de Cambridge, « Switching to ‘green’ inhalers could reduce carbon emissions and cut costs, study suggests » (passer aux inhalateurs « verts » pourrait réduire les émissions de carbone et les coûts, selon une étude). Un titre précautionneux ! Mais :
« L'équipe a trouvé que l'empreinte carbone des inhalateurs à doseur était 10 à 37 fois supérieure à celle des inhalateurs à poudre sèche. Sur la base des prescriptions de 2017, le remplacement d'un inhalateur à doseur sur dix en Angleterre par un inhalateur équivalent à poudre sèche le moins cher pourrait permettre de réduire le coût des médicaments de 8,2 millions £ par an et de réduire les émissions d'équivalent en dioxyde de carbone de 58 kilotonnes, soit à peu près l'équivalent de 180.000 allers-retours entre Londres et Édimbourg.
Au niveau individuel, chaque inhalateur-doseur remplacé par un inhalateur à poudre sèche pourrait permettre d’économiser entre 150 et 400 kg de CO2 par an, ce qui est similaire à de nombreuses actions déjà entreprises par les particuliers soucieux de l’environnement, telles que l’isolation thermique des murs, le recyclage ou la réduction de la consommation de viande. »
Il y a plus de 5 millions d'asthmatiques au Royaume-Uni et, en 2017, on a prescrit quelque 50 millions d'inhalateurs, sept sur dix étant doseurs.
Chez nos voisins, la BBC a titré : « Asthma carbon footprint 'as big as eating meat' » (l'empreinte carbone de l'asthme est « aussi grande que la consommation de viande »).
En France, donc, Allodocteurs et FranceTVInfo ouvrent subtilement le ban avec :
« Les inhalateurs, pires que la viande rouge en matière d’impact écologique ? »
Comme la viande est déjà clouée au pilori, il est difficile de faire mieux en matière de culpabilisation des asthmatiques.
Nous ajouterons que ce genre d'études est fondamentalement fallacieux, sinon vicié : brûler du carbone fossile – notamment rouler en voiture, même électrique si l'électricité a été produite par une centrale à gaz, à fioul ou au charbon – augmente le stock de gaz à effet de serre pour une durée considérable. En simplifiant l'argument, l'hydrofluoroalcane propulseur utilisé aujourd'hui remplace celui qui fut utilisé il y a 14 ans ; sa contribution actuelle au réchauffement climatique dépend ainsi de la variation des quantités utilisées ; et elle est transitoire.
Si l'on veut réellement lutter contre le réchauffement climatique par la réduction de l'utilisation des HFC propulseurs, il y a bien d'autres pistes à explorer que celle qui malmène le confort, sinon la santé, de malades.
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