La fable du blé des pharaons sur Europe 1 : l'agriculture pour bobos
(Source)
L'inculture est sans limite... à moins que ce soit le cynisme qui s'autorise n'importe quoi pour meubler trois minutes d'antenne :
« La légende raconte que du blé retrouvé dans la tombe d’un pharaon, a été semé aux Etats-Unis. Il serait ultra-nourrissant et très peu chargé en gluten.
Il y en a Boisset en Haute-Loire dans la ferme de @Fanny_Agostini. »
Il s'agit du blé de Khorasan, Triticum turgidum ssp. turanicum, originaire d'une région du nord-est de l'Iran et ayant fait l'objet d'un formidable tapage économo-biolo-nutritio-bobologique avec la marque Kamut®.
Et d'une sorte de « Fanny à la ferme » par une ancienne diseuse de météo qui se décrit comme
« Compte certifiJournaliste engagée @Europe1 présentatrice ex #Thalassa Organisatrice du #ClimateBootCamp et Présidente de l'AMAP @Nextrabiotv Cofondatrice de l’ONG #LanDestini ».
Parmi les morceaux de bravoure, la « légende » devient quasiment un fait établi. Elle l'est selon le gazouillis suivant :
(Source)
Il faut une sacrée dose de naïveté, pour ne pas dire bêtise, pour croire que des graines aient pu germer après quelques millénaires dans un tombeau.
Le grain du blé de Korasan serait « trois fois plus gros que la moyenne ». En réalité, le poids de 1.000 grains dépasserait généralement, selon une étude autrichienne, 50 grammes et souvent 60 grammes. Pour le blé, on trouve des tables de doses de semis avec des poids de 1.000 grains allant de 35 à... 60 grammes. Mais la contrepartie est que la fraction qui devra être réservée pour les semis suivants sera d'un poids plus élevé.
Pour répondre au changement climatique, nous aurions aussi, selon Mme Fanny Agostini, la chance de disposer encore de « fabuleuses variétés anciennes qui demandent peu d'eau, sont plus résistantes aux maladies, plus nourrissantes et plus adaptées que les variétés contemporaines ; et la bonne nouvelle, c'est que chacun peut participer en se procurant des graines comme moi sur des plate-formes comme Graines de Troc ou des associations telles que Kokopelli... »
C'est à se demander comment la société dans son ensemble a pu être aussi crétine pour remplacer les « fabuleuses variétés anciennes » par de la camelote.
Trois minutes d'antenne, et trois publicités pour la marque Kamut®, pour Graines de Troc et pour Kokopelli.
Et, bien sûr, des louanges pour une forme d'agriculture qui plaît aux bobos biobios et une alimentation miraculeuse... « ultra-nourrissant »... Sur le site de Kamut, il y a une page « La nourriture comme médicament »...
Pour le « très peu chargé en gluten », il faut tout de même préciser que ce blé ne convient pas aux personnes atteintes de la maladie cœliaque, ni évidemment pour un régime sans gluten.
Quant à alimenter le monde, il y a deux approches possibles.
En premier lieu, déformation professionnelle du tenancier de ce blog oblige, les caractéristiques agronomiques. En bref, ce blé est très exigeant sur les conditions climatiques. Il ne tolère pas des températures du sol inférieures à -5°C. Sa tolérance à la sécheresse ainsi qu'aux maladies fongiques serait « limitée et/ou modeste » selon l'étude autrichienne. Voir aussi ici.
Pour la productivité, selon Wikipedia, version anglaise (ne comptez pas sur la française...), le rendement réel du blé de Khorasan de marque Kamut® serait de 11 à 13 quintaux/hectare – à notre sens dans le Montana et le Saskatchevan. Ce sont des régions plutôt sèches, peu productive. Ce rendement doit représenter environ le tiers de celui du blé tendre.
Dans l'essai en Autriche, on a obtenu pour la meilleure accession l'équivalent de 38,5 quintaux/hectare et 23, 4 quintaux/hectare (a priori en petites parcelles, donc avec un effet de bordure) en semis d'automne et de printemps, respectivement, soit 83 % et entre 60 et 66 % du rendement des témoins blé dur. Dans un essai en Italie, sur deux ans, le blé dur a rendu 33 quintaux/hectare, l'engrain 30 quintaux/hectare et le blé de Khorasan 28 quintaux/hectare.
En second lieu, le prix. La farine de blé tendre premier prix se trouve aux alentours de 0,50 €/kg, le blé de marque aux alentours de 0,90 €/kg. Pour le blé de Khorasan, comptez aux alentours de 7 €/kg...
En résumé, un bon produit avec des caractéristiques nutritionnelles intéressantes (mais cet article nous semble bien dithyrambique... et rien ne remplace une alimentation équilibrée et variée). Un produit maintenant diffusé dans le cadre d'un excellent programme de marketing (incluant la légende), pour un marché de niche.
« Empêchons l'oligopole de semenciers de mtr la main sr ntr nourriture La biodiversité c l'avenir de l'humanité » ? Avec un tel niveau de bêtise, on a du souci à se faire…
(Source)
Pour l'information de Madame – si elle veut bien sortir de sa bulle de préjugés –, il y a 73 entreprises de création variétale en France, très majoritairement des PME et des TPE, qui investissent en moyenne 13 % de leur chiffre d’affaires dans la recherche et le développement (moyenne des entreprises en France : 2 % !). Il y a aussi plus de 19.000 agriculteurs-multiplicateurs qui produisent les semences brutes et 255 entreprises qui assurent le nettoyage, le traitement, le conditionnement et la commercialisation des semences mises à la disposition des producteurs (agriculteurs, maraîchers et jardiniers amateurs). C'est ce qu'on appelle « l'oligopole de semenciers »...