Glyphosate : information, mésinformation, désinformation et... occultation
Pas de glyphosate dans les urines d'agriculteurs bretons
Le journal qui plastronne en ce moment, étant « redevenu le premier quotidien national » (ça se discute... quelque 4.400 abonnements de plus que le Figaro en juillet 2019), a produit un article fidèle à la ligne éditoriale de sa rubrique Planète : « Le laboratoire d'analyses du Centre hospitalier de Vannes infiltré par des taupes de Monsanto ».
(Source)
Le journal dont la lecture tache les doigts a, quant à lui, titré : « Centre hospitalier de Vannes : incapable de mesurer le glyphosate dans les urines ».
Stooop ! Rembobinons ! C'est une vanne !
Oui, mais fondée sur une information qui n'aura retenu l'attention que du journal local, Ouest France, édition locale (3 septembre 2019), et des journaux agricoles : « Morbihan. Pas de glyphosate dans les urines des agriculteurs ».
En bref :
« Pour répondre aux pisseurs involontaires qui organisent un peu partout en France, des tests de glyphosate dans les urines, une vingtaine d’agriculteurs morbihannais ont eux aussi à leur tour, fait tester leurs urines. "Le résultat est négatif pour tout le monde", indique Franck Guehennec, président de la Fédération des syndicats d’exploitants agricoles du Morbihan (FDSEA 56). »
Voici, par exemple, de Vannes.maville d'Ouest-France (1er septembre 2019) :
« Ils étaient 50 pisseurs involontaires de glyphosate, un herbicide commercialisé, à s’être déplacés samedi, pour faire tester leurs urines. L’association régionale des Pisseurs involontaires de glyphosate (Pig bzh) créée en janvier 2019, était présente pour recueillir ces urines, sous la surveillance étroite d’une huissière de justice. "L’association a pour but de porter la campagne contre le glyphosate en Bretagne. Le fait est irréfutable. On est tous empoisonnés par les pesticides. On ne triche pas. Les tests ont montré qu’on a tous des taux très importants de glyphosate, plus ou moins en fonction des périodes d’épandages. Les enfants semblent plus impactés", constate Isabelle Georges, l’un des membres fondateurs de l’association. C’est la 18e pisserie organisée en Bretagne, dont huit dans le Morbihan. Les résultats seront connus dans un mois. »
On aura échappé à Monsanto, à l'OMS ou, dans le meilleur des cas, le CIRC et le « cancérogène probable », à la dose et à la comparaison avec l'eau potable... mais pas au message hystériquement anxiogène.
Pas une « pisserie » qui s'organise, comme on dit, dans l'un des quatre coins de l'hexagone qui ne soit médiatisée par la presse locale...
L'absence de glyphosate (plus précisément des tests négatifs à la limite de détection) chez les premiers concernés par l'exposition au glyphosate est pourtant une information importante au vu du tapage médiatique organisé par les organisateurs de l'action de masse médiatico-judiciaire. Mais nos médias regardent ailleurs...
« Le maire de Val-de-Reuil ne veut plus de traitement de pesticides à moins de 150 mètres de lieux de vie », nous a ainsi informé France 3 Normandie le 30 août 2019. En précisant tout de même dans la foulée que « [l]e préfet de l'Eure a réagi et saisi le tribunal administratif » et en équilibrant les élucubrations du maire par des déclarations d'un agriculteur.
Au niveau national, voici une « information » de la plus haute importance : « L’Allemagne va bannir le glyphosate en 2023, même si l’UE prolonge son autorisation », en accès libre dans le Monde (article produit avec l'AFP). En chapô :
« La ministre social-démocrate de l’environnement a annoncé l’interdiction progressive de l’herbicide produit par l’allemand Bayer, ex-Monsanto. L’autorisation européenne s’achève, elle, à la fin de 2022. »
Chapô bien sûr faux dans le journal dont même la date est fausse : le glyphosate est dans le domaine public et les principaux producteurs sont asiatiques...
Mais il y a aussi un détail qui aura échappé à l'auteur de ce morceau de Schadenfreude anti-glyphosate : il y aura des élections fédérales en 2021, en principe à l'automne. En admettant que la ministre Svenja Schulze ait gagné un arbitrage contre Mme Julia Glöckner, il ne s'agit d'un gain que pour ceux qui y croient. Bien sûr, au Monde... Mais, plus généralement, l'avenir du glyphosate paraît plutôt sombre en Europe.
Nous attendons maintenant une nouvelle ruée sur le glyphosate, la municipalité de Montréal (Canada) ayant décidé de l'interdire sur son territoire – au nom du « principe de précaution » – d'ici la fin de l'année.
Pas (encore) d'article, mais déjà un gazouillis (source)
Ouest-France avait écrit :
« Les agriculteurs n’ont pas suivi le protocole mis en place par les pisseurs involontaires. Ils sont allés à l’hôpital de Vannes pour pratiquer leurs examens. "Le test du CHU de Vannes est officiel et reconnu par l’État. Quelle est la fiabilité du test allemand, qui trouve 100 % de glyphosate dans tous les examens ?", s’interrogent les agriculteurs morbihannais. […] »
Bonne question ! Seuls parmi les médias de portée nationale, Atlantico s'y est intéressé dans « Tests de Biocheck : une fraude à grande échelle dans l’affaire des "pisseurs" de glyphosate ? », avec trois questions posées à M. Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS. Il y a certes un point d'interrogation de prudence dans le titre, mais le mot « fraude » n'est pas anodin.
À vrai dire, des éléments de réponse ont déjà été donnés par le passé. Dans « Biocheckons le laboratoire Biocheck… », nous avions évoqué les éléments apportés par M. Gil Rivière-Wekstein dans « BioCheck, un laboratoire aux curieuses analyses », puis dans « Glyphosate dans les urines : Libération vole au secours du laboratoire BioCheck », et par M. Jakez Gwenan dans « [ma concierge » a dit] "que BioCheck c'était le grand laboratoire allemand pour le glyphosate" ». Nous avions aussi apporté un complément.
Des éléments, selon une formule consacrée, sans appel !
Recours à un laboratoire fondé par une militante anti-OGM et anti-pesticides patentée, un laboratoire dont des résultats ont déjà été invalidés ; résultats curieux car positifs à 100 % ou presque et contrastant avec les données issues d'autres laboratoires ; résultats non fiables du fait des failles dans le protocole (la présence d'un huissier lors du prélèvement, c'est de la frime) ; résultats non valables en biologie médicale (et en conséquence, a priori, sur le plan judiciaire) car obtenus par un laboratoire non accrédité ; et, selon le fournisseur du test Elisa, « [c]omme pour toute technique d'analyse (GC, HPLC, etc.), les résultats positifs appelant une action réglementaire devraient être confirmés par une méthode alternative. »
Et c'est précisément une méthose alternative – plus fiable – qui a été utilisé par le Centre Hospitalier de Vannes.
Alors ? Atlantico demande :
« Cette question est désormais éminemment politique. Qu'en sera-t-il des démarches judiciaires mises en œuvre à la suite des tests de BioCheck ? »
M. Marcel Kuntz répond :
« Le scientifique que je suis est tenté de recommander à la justice de classer ces plaintes sans suite. Mais je vais résister à cette tentation, car je n’ai aucune légitimité à dire ce que la justice doit faire… Elle pourra, seule, constater que ces plaintes sont une tentative d’instrumentaliser l’autorité judiciaire dans le cadre d’une entreprise politique. En effet la question du glyphosate a toujours été politique. Si des activistes anti-pesticides ont procédé à ces "détections" du glyphosate, cela participe à la longue campagne visant à faire interdire cet herbicide et tous les "pesticides" (sont uniquement visés, par idéologie, ceux de "synthèse", en ignorant les pesticides utilisés en agriculture biologique). Ces activistes tentent d’imposer par la peur leur vision politique de l’agriculture, essentiellement anti-capitaliste et anti-moderne. Certes l’agriculture a généré des pollutions, mais il ne faut pas nier la capacité des agriculteurs à réduire leur impact environnemental, ce qu’ils font depuis des décennies. »
Il n'y a pas que les « anti-anti-pesticides ». Sur Twitter, Mac Lesggy écrit :
« Il est effectivement temps de se poser la question de la validité des tests de Biocheck. A-t-on assisté à une fraude à grande échelle dans l’affaire des "pisseurs de #glyphosate" ? »
La question est évidemment complexe car il faut déterminer qui, au départ, savait que l'opération était techniquement et juridiquement branlante et qui, par la suite, en savait suffisamment pour en toute logique arrêter les frais. Comme nous le montrent les médias, l'opération se poursuit pourtant...
Sur le plan technique, il y a eu une réponse de M. Robin Mesnage, un ancien de l'équipe Séralini, une circonstance qui renforce sa crédibilité :
« J'ai testé le test ELISA glyphosate et les résultats ont fini à la poubelle. Il y a trop de composés qui interférent avec la détection du glyphosate, et plus les urines sont concentrés plus l'interférence est forte. Rien ne remplace la spectrométrie de masse. »
(Source)
On peut certainement regretter que l'exploitation médiatique des résultats des analyses sur les agriculteurs n'ait pas été à la hauteur. Il ne suffit pas de lancer une invitation à un point presse – en plus dans une ferme où ces gens de la ville et des rédactions pourraient salir leurs chaussures.
Mais tout de même, que font tous ces journalistes si friands de scandales ? Il y a pourtant là du lourd !
Hep, les Stéphane et Stéphane ! Hep, Coralie ! Hep, Gaël !
Hep, Élise ! Non, pas Élise : elle a utilisé les services de Biocheck pour son infâme Envoyé Spécial de janvier 2019... Mais peut-être que M. Djamel Debbouze ou Mme Julie Gayet pourraient-ils se manifester et protester parce qu'on les a pris pour des billes...
(Source)
En avril déjà, trois agriculteurs du Calvados avaient fait tester leur urine par le CHU de Limoges et par la technique recommandée par M. Robin Mesnage (chromatographie et spectromètre de masse en tandem).
Résultat selon Réussir (qui a la bonne idée de mettre les résultats du CHU de Limoges en fac similé et de rappeler ce que Biocheck et les organisateurs de l'opération « pisseurs » prétendent avoir trouvé) :
« Pas de glyphosate détectable dans l’urine de trois agriculteurs
Dans un contexte d’agribashing, les trois agriculteurs ont souhaité tester leur urine. La FDSEA 14 a porté la démarche. Dans le Calvados, le mouvement "des pisseurs volontaires" avait reçu un certain écho. La moyenne pour le Calvados est de 1,14 ng/millilitre (35 résultats). A l’échelle française, la moyenne est de 1.06 ng/millilitre. "Nous avons un taux de présence glyphosate et AMPA non détectable inférieur à 0,4 ng/millilitre", expliquent les trois membres de la FDSEA 14.
Ce résultat les interroge. "Comment se fait-il que 3 agriculteurs utilisateurs de glyphosate aient un taux 4 fois inférieur à des citoyens non utilisateurs et de plus avertis sur ce sujet ?" »