Laissez les Africains décider de ce qui est le mieux pour l'Afrique !
Onyaole Patience Koku*
Cette déclaration m'est venue à l’esprit : « Laissez les Africains décider de ce qui est le mieux pour l’Afrique ! »
Un « expert » européen avait émis un point de vue différent. À son avis, les agriculteurs africains n’ont pas besoin de technologies de pointe, car nous ne comprenons pas les risques. Il veut que les non-Africains décident de ce qui convient le mieux à l'Afrique.
La scène s'est déroulée à CRISPRcon 2019, un forum organisé le mois dernier aux Pays-Bas par Wageningen University and Research et le Centre de Politique Keystone. Je participais à un panel pour discuter de l’agriculture, de la science, de la société et de l’avenir de l’édition de gènes – et je n'ai pas pu rester silencieuse à ce moment-là ni plus tard sur les réseaux sociaux.
Pourquoi un Européen m'a-t-il fait la leçon sur ce dont les agriculteurs africains ont besoin ou non ?
Ma note: C'est à 25:00 (en réponse à une intervention commençant à 23:00) et c'est suivi par une salve d'applaudissements fort mérités et bienvenus. Et une nouvelle salve à 29:50.
En tant qu'agricultrice africaine qui produit du maïs de semence au Nigeria, je sais qu'il existe de nombreuses opinions sur les défis de l'agriculture africaine. Nous sommes confrontés à de nombreux problèmes, mais je peux affirmer avec une certitude absolue que le manque d’accès à la technologie est l’un de ceux qui peuvent être relevés.
C'est ancré dans mes tripes.
Les Français ont une expression : l’esprit de l’escalier. Elle décrit quelque chose que nous avons tous ressenti : trouver une excellente réplique un peu trop tard, par exemple lorsque vous passez la porte, descendez l'escalier et quittez le bâtiment. Au Nigeria, nous disons : « je n’irai pas chercher ma réponse ».
Sur le plateau, j'ai expérimenté le contraire : ma réponse est arrivée à point. Alors que mon co-panéliste finissait de parler, satisfait de son ignorance, une pensée me traversa l'esprit. J'ai parlé presque avant même de savoir ce que j'allais dire.
« Laissez les Africains décider de ce qui est le mieux pour l’Afrique ! »
Je suis disposée à écouter des suggestions utiles sur l’agriculture, peu importe qui les prononce. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles j’avais hâte de participer à CRISPRcon 2019. Des conférences comme celle-là sont toujours un bon moyen d’en apprendre davantage sur les meilleures pratiques et les nouvelles idées.
Cependant, nous devons également séparer le bon grain de l'ivraie – et cela signifie reconnaître les mauvaises idées lorsque nous les entendons.
Beaucoup de gens dans les pays développés ont l'habitude de considérer l'Afrique comme une sorte d'enfant qui ne peut pas parler pour lui-même. Cela est particulièrement vrai chez les Européens qui ont encore l’esprit des colonisateurs. Comme des parents, ils sont prêts et disposés à prendre des décisions pour nous parce qu’ils ne pensent pas que nous pouvons les prendre pour nous-mêmes.
Patience inspectant un de ses champs de maïs au Nigeria.
C’est essentiellement ce que mon co-panéliste a dit : les Africains sont incapables de prendre des décisions en connaissance de cause. Nous sommes trop ignorants pour comprendre les risques associés aux nouvelles technologies.
En tant qu’Africaine, cependant, je connais mieux les dangers de la négligence technologique. Tandis que le reste du monde connaît des progrès matériels remarquables, mon continent continue d'être à la traîne dans presque toutes les catégories de l'épanouissement humain, en particulier la production alimentaire. Pour les Africains, la malnutrition fait partie de la vie ordinaire.
Combien d'Européens peuvent dire ce genre de chose ? Le PIB par habitant des Pays-Bas est beaucoup plus élevé que le PIB par habitant du Nigeria, selon la Banque Mondiale. On peut dire sans se tromper que la plupart des Néerlandais n’ont aucune idée de ce qu’est vraiment vivre sans accès aux technologies qu’ils tiennent pour acquises.
Je suis fascinée par les technologies d’édition des gènes telles que CRISPR car elles peuvent aider les agriculteurs comme moi à produire plus et mieux. Pourtant, les applications potentielles vont bien au-delà de l'agriculture et incluent la santé de base.
Ma fille porte un gène de la drépanocytose, dont beaucoup d’Africains noirs héritent. Elle ne souffre pas des symptômes de la maladie, Dieu merci ! Mais nous sommes impatients de savoir comment les technologies d’édition des gènes peuvent minimiser les effets néfastes de cette maladie.
Je suis convaincue que les Européens ne s'opposeraient jamais à un traitement médical vital. Et même s’ils peuvent se payer le luxe insensé de refuser des OGM à leurs agriculteurs, ils ont rarement à s’inquiéter de la source de leur prochain repas. Les Européens ne s’inquiètent pas des pénuries alimentaires; ils se torturent sur le gaspillage alimentaire.
Les choses sont différentes ici en Afrique : nous avons besoin de technologies sûres et éprouvées qui nous aideront à faire des choses simples, telles que des cultures capables de résister aux mauvaises herbes et aux insectes nuisibles, ainsi que des technologies plus avancées et spéculatives qui nous aideront à vaincre la drépanocytose.
Que l’Afrique ne soit pas gênée par les opinions des autres, mais au contraire que ses agriculteurs et ses citoyens décident de ce qui est le mieux pour l’Afrique !
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* Onyaole Patience Koku
La ferme de Patience est située dans l’État de Kaduna au Nigeria. La ferme couvre 500 hectares de terres louées et produit deux cultures par an sous irrigation par pivot. On y cultive principalement du maïs semence pour Monsanto et du maïs grain pour de grandes entreprises de transformation des aliments au Nigeria, comme Flour Mills of Nigeria. Patience est titulaire d’un diplôme en sciences politiques et a plus de 20 ans d’expérience dans divers secteurs, dont la mode et l’agriculture. Elle a déjà démarré et exploité une ferme avicole de 12.000 poulets de chair par bande et fait du négoce (au niveau local et international) et du courtage pour ADM. Patience promeut l'accès aux technologies agricoles. Elle attend avec impatience la possibilité de cultiver des plantes génétiquement modifiées au Nigeria. Elle siège au conseil d'administration de plusieurs sociétés, dont 1 Hectare 1 Family Nigeria Ltd., une entreprise qui vise à faire cultiver 200.000 hectares de terres au cours des cinq prochaines années, améliorant les moyens de subsistance des petits exploitants agricoles en leur permettant d'accéder à la mécanisation, à l'innovation et à la technologie.
Source : https://globalfarmernetwork.org/2019/07/let-africans-decide-what-is-best-for-africa/
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