GIEC, génétique, amélioration des plantes et biotechnologies
La lecture du résumé à l'intention des décideurs du rapport du GIEC sur le changement climatique et les terres émergées ravira sans nul doute les prophètes de l'apocalypse, les marchands de mauvaises nouvelles de la médiasphère et certains groupes d'intérêts qui y trouveront de quoi faire couler vers eux des flots de subventions et autres prébendes. Pour le rationaliste, elle est crispante et consternante.
Voici par exemple le dernier paragraphe mis en gras (notre traduction) :
« D 3. Des réductions rapides des émissions anthropiques de GES dans tous les secteurs, à la suite d'ambitieuses mesures d'atténuation, permettent de réduire les impacts négatifs du changement climatique sur les écosystèmes terrestres et les systèmes alimentaires (niveau de confiance moyen). Retarder les mesures d'atténuation des changements climatiques et d'adaptation à travers les secteurs entraînerait des impacts de plus en plus négatifs sur les terres et réduirait les perspectives de développement durable (confiance moyenne). {Encadré SPM.1, Figure SPM.2, 2.5, 2.7, 5.2, 6.2, 6.4, 7.2, 7.3.1, 7.4.7, 7.4.8, 7.5.6; Encadré inter-chapitres 9 au Chapitre 6, Encadré inter-chapitres 10 au Chapitre 7}
En bref, plus on réduit, plus c'est mieux (mais avec un niveau de confiance simplement moyen). Plus on attend, plus ce sera pire (idem)... Voilà les décideurs bien avisés.
Nous nous intéresserons dans ce billet à un volet particulier des « mesures […] d'adaptation » – qui jouent aussi un rôle, mais probablement moindre, dans l'atténuation : la génétique, l'amélioration des plantes et les biotechnologies.
Point n'est besoin d'un grand dessin : elles sont indispensables pour une adaptation constante aux changements des conditions agro-climatiques et économiques de la production agricole, changements du reste pas nécessairement liés aux changements climatiques (au pluriel – il n'y a pas que l'augmentation de la température et la sécheresse).
Disons-le d'emblée : on reste sur sa faim.
Le tableau de la page 28 du résumé visualise les effets des différentes actions sur l'atténuation et l'adaptation, la lutte contre la désertification et la dégradation des terres, et la sécurité alimentaire.
On peut considérer que la génétique, l'amélioration des plantes et les biotechnologies figurent implicitement dans la première ligne, « augmentation de la productivité ».
Mais pourquoi l'agro-foresterie arrive-t-elle en deuxième position ? L'effet d'un classement selon le nombre de cases en bleu foncé peut-être. Mais aussi les biais inhérents à cet exercice, qui se fonde sur des études scientifiques publiées dans des revues à comité de lecture et ignore les écrits des praticiens, par exemple de vulgarisation. L'agro-foresterie est bien plus « sexy » que la gestion des terres (en gros deux fois plus de publications pour la première selon une recherche sur Google Scholar avec « climate » et « agroforestry »), mais moins que la gestion des animaux (2,5 fois moins de publications).
On peut aussi s'étonner des évaluations. L'agro-foresterie serait plus performante que la gestion des terres pour l'atténuation, alors qu'elle en fait partie intégrante et qu'elle ne déploie ses effets qu'à moyen ou long terme. De même, la gestion des animaux serait plus coûteuse que l'agro-foresterie, alors que celle-ci nécessite des investissements non négligeables.
...mais ce tableau n'est pas dans le résumé, mais dans le chapitre 5 (page 84).
La modification de l'assortiment variétal arrive en deuxième position avec un effet limité pour l'atténuation et très fort pour l'adaptation.
Les nouvelles races animales auraient un effet limité tant sur l'atténuation que sur l'adaptation. Admettons...
On peut aussi considérer que nos sujets sont implicitement contenus dans la gestion intégrée des ravageurs (qui implique des variétés résistantes à des parasites et maladies) et l'évolution des monocultures vers une diversification spécifique (il faudra bien améliorer les performances des espèces aujourd'hui secondaires).
Dans le chapitre 5 (sécurité alimentaire), sous « 5.7.5.1 – Impacts et adaptation », il y a deux paragraphes dédiés :
« Génétique des cultures et du bétail (disponibilité et utilisation des aliments). Les progrès en matière de sélection végétale sont essentiels pour renforcer la sécurité alimentaire face aux changements climatiques de nombreuses cultures, y compris les fruits et les légumes, ainsi que les produits de base. Des améliorations génétiques sont nécessaires pour créer des cultures et du bétail capables de réduire les émissions de gaz à effet de serre, d'accroître la résistance à la sécheresse et à la chaleur (riz, par exemple) et d'améliorer la sécurité nutritionnelle et alimentaire (Nankishore et Farrell 2016 ; Kole et al. 2015). Bon nombre de ces caractéristiques existent déjà dans les variétés traditionnelles, y compris les cultures orphelines et les races autochtones, et des recherches sont donc nécessaires pour récupérer ces variétés et évaluer leur potentiel d'adaptation et d'atténuation.
La sélection assistée par la phénomique semble être un outil prometteur pour décrypter la réactivité au stress des espèces végétales et animales (Papageorgiou 2017 ; Kole et al. 2015 ; Lopes et al. 2015 ; Boettcher et al. 2015). Initialement découvert chez les bactéries et les archées, CRISPR-Cas9 est un système immunitaire adaptatif présent chez les procaryotes. Depuis 2013, il est utilisé comme outil d'édition du génome chez les plantes. Les systèmes CRISPR sont principalement utilisés pour améliorer les rendements, la biofortification, la tolérance aux stress biotiques et abiotiques, le riz (Oryza sativa) étant la culture la plus étudiée (Gao 2018 ; Ricroch et al. 2017). »
Il y a d'autres références à notre sujet dans ce chapitre. C'est le cas par exemple dans « 5.3.1 – Défis et opportunités » :
« Avec les changements climatiques actuels et prévus (températures plus élevées, changements dans les précipitations, inondations et événements extrêmes), l’adaptation nécessitera à la fois des solutions technologiques (par exemple, la récupération et l’amélioration de cultures orphelines, de nouveaux cultivars issus de la sélection ou de la biotechnologie) et non technologiques (par exemple, le marché, la gestion des terres, les changements de régime alimentaire). [...] »
Mais ces références ne sont pas toujours judicieuses ! C'est le cas de la partie « 5.3.3.1 – Productions végétales »
« L'adaptation implique également l'utilisation des ressources génétiques actuelles ainsi que des programmes de sélection tant pour les cultures que pour le bétail. Plus de variétés de plantes résistantes à la sécheresse, aux inondations et à la chaleur (Atlin et al. 2017 ; Mickelbart et al. 2015 ; Singh et al. 2017) et amélioration de l'efficacité de l'utilisation des éléments nutritifs et de l'eau, y compris de la surabondance ainsi que de la qualité de l'eau (comme la salinité) (Bond et al. 2018) sont des aspects à prendre en compte dans la conception des mesures d'adaptation. La disponibilité et l’adoption de ces variétés sont une voie d’adaptation possible et peuvent être facilitées par une nouvelle politique de sensibilisation et de renforcement des capacités. »
Non, il ne s'agit pas d'« une voie d’adaptation possible », mais absolument indispensable.
Les messages sont là, avec un impair pour un mot, mais pourquoi ces nécessaires « progrès en matière de sélection végétale [qui] sont essentiels » ne sont-ils pas mentionnés explicitement dans le résumé à l'intention des décideurs ?
Pour le volet végétal, il n'y a qu'une référence évasive, au paragraphe B6.1, dans une énumération de « pratiques contribuant à l’adaptation et à l’atténuation des changements climatiques sur les terres cultivées » ; il y est question, de manière erronée, de « l’utilisation de variétés et d'améliorations génétiques pour la tolérance à la chaleur et à la sécheresse » – erronée car il y a bien d'autres facteurs liés aux changements climatiques. « Pour le bétail, les options incluent […] l'utilisation de races et l'amélioration génétique. »
En conclusion de la partie « 5.6.4.1 – Agro-écologie », il y a cette phrase lapidaire :
« Les critiques de l'agro-écologie se réfèrent à son exclusion [refus] explicite de la biotechnologie moderne (Kershen 2013) et à l'hypothèse selon laquelle les petits exploitants agricoles constituent une unité uniforme sans hétérogénéité du point de vue du pouvoir (et donc de genre) (Neira et Montiel 2013 ; Siliprandi et Zuluaga Sánchez 2014). »
Il suffisait d'un tout petit effort pour marquer le point : trouver quelques références dans la littérature pour affirmer que nous avons besoin et de l'agro-écologie – définie sur un mode opérationnel et rationnel et non vaporeux et ésotérique – et de la biotechnologie moderne.
Mais cela aurait probablement heurté quelques sensibilités...
Ces deux jets de l'éponge sont regrettables.
Ils le sont d'autant plus que les activités d'amélioration des plantes et des animaux – quelles que soient les méthodes employées – s'inscrivent dans le terme long s'agissant du travail effectif et aussi, malheureusement dans de nombreux pays, des procédures d'autorisation et des travaux de sensibilisation et de vulgarisation.
Et que l'ostracisation de la biotechnologie implicitement actée par une partie 5.6.4.1 proprement hallucinante est une catastrophe pour ceux qui en sont victimes.