Arrêté « antipesticides » de Langouët : c'est encore plus grave !
Dans un précédent billet, nous avions conclu que notre démocratie était en danger pour trois raisons :
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parce qu'une fraction non négligeable de la classe politique soutient une action municipale qui constitue un défi à l'ordonnancement des pouvoirs dans notre démocratie ;
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parce qu'il y a confluence, sinon collusion, « de l'indigence intellectuelle et civique de bien des membres de la classe politique, du manque de scrupules d'un activisme pour qui la fin justifie les moyens et du manque de discernement de la plupart des médias » ;
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parce qu'il y a un manque de réponse efficace, voire de réponse tout court, à cette situation.
Nous étions à mille lieues de penser que cette affaire – dont le fond a été qualifié par l'AFP d'« action de désobéissance civile de la part de l’élu breton et d’une vingtaine d’autres maires français » – était encore plus grave.
C'est que le Président de la République Emmanuel Macron – que les médias ne cessent de qualifier de « Chef de l'État », du titre officiellement porté par le maréchal Pétain lorsqu'il était à la tête du régime de Vichy – a cru bon de commenter longuement l'actualité.
Mais auparavant, voici quelques compléments à notre billet.
L'arrêté interdisant l'utilisation de pesticides à moins de 150 mètres des parcelles cadastrales contenant des locaux d'habitation ou professionnels s'applique – évidemment – aux seuls produits de synthèse, « à l'exception des produits à faible risque qui ne font pas l'objet de classement et des produits autorisés en agriculture biologique ».
Mais comme l'ont noté les auteurs de ce texte dans leur considérant 19, ce serait admissible car
« [...] le principe d'égalité devant la loi ne s'oppose pas à la promulgation de normes n'autorisant des épandages dans des zones déterminées qu'avec des produits autorisés en agriculture biologique (Conseil constitutionnel, décision n°2018-771 DC du 25 octobre 2018, considérant n°24) ».
C'est en application des thèses, maintenant indurées, qui veulent que « de synthèse », c'est mal et dangereux et « biologique », bien et inoffensif...
On appréciera donc la perspicacité des auteurs qui ont cru bon d'ajouter le considérant suivant :
« l7 - Considérant que la détermination des distances à respecter pour les opérations d'épandage doit prendre en compte le fait que les effets toxiques des substances qualifiées de perturbateurs endocriniens et ceux des nanoparticules se manifestent même à une faible dose d'exposition. »
Dites par exemple : « huile de neem »... chut...
Et, d'une manière plus générale, dites « moustiques ». Cette interdiction dans les 150 mètres tombe du reste très bien pour le moustique tigre et les maladies qu'il véhicule (et qui ne tarderont pas à se propager en France si on n'y prend garde) – dengue, chikungunya, zika... : c'est en gros son rayon d'action.
Mais il y a plus fondamental :
« 20 - Considérant que plus de la moitié des habitants de la commune appartiennent à des catégories socio-professionnelles possédant un niveau d'informations élevé sur les risques encourus, et que l'absence de prise immédiate de mesures de précaution par l'autorité municipale serait de nature à entraîner des troubles à l'ordre public. »
Ce que cela signifie, c'est qu'une entité activiste – y compris le maire d'une commune – peut tout simplement faire du tapage sur un sujet particulier, susciter la « bonne » opinion (dite) publique pour légitimer un arrêté municipal.
On pourra aussi se sentir choqué par la référence à « des catégories socio-professionnelles possédant un niveau d'informations élevé [...] » Pour faire court – et vulgaire – on flatte les bobos et on méprise les ploucs...
Le Président de la République Emmanuel Macron a cru bon de commenter assez longuement cette affaire dans un entretien accordé à Konbini le 24 août 2019.
(Source – c'est à partir de 3:16)
La mine réjouie et se frottant les mains à l'annonce de la question de M. Daniel Cueff, il n'a pas pu résister à sa propension à faire du « en même temps » :
Côté pile :
« D'abord, le préfet fait son métier. Il y a des lois, il doit les faire respecter, donc je serai toujours derrière les préfets qui font respecter les lois. […] la solution n'est pas de prendre un arrêté qui n'est pas conforme à la loi, c'est de mobiliser pour changer la loi [...] »
Côté face :
"Donc Monsieur le maire, il a raison sur ses motivations […] Donc je le soutiens dans ses intentions, mais je ne peux pas être d'accord quand on ne respecte pas la loi, c'est normal, et ça, on va le changer vite. »
Et sur la tranche :
« Donc c'est à nous de réussir maintenant à changer la loi, d'avoir aussi des discussions avec les agriculteurs, les producteurs, pour que ça leur permette de fonctionner parce que tout ça, ça a un coût pour eux, ça veut dire qu'ils doivent mieux encadrer les choses. »
C'est là une déclaration ambiguë, et du reste incorrecte puisque l'objectif réel est de produire un nouvel arrêté relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants, celui du 4 mai 2017 ayant été partiellement annulé par le Conseil d'État par une décision du 26 juin 2019.
Visiblement, il s'est agi de contenter et de flatter tout le monde, avec une concession – répétée –pour, en définitive, les maires qui font de la résistance contre les instances décisionnelles nationales... à moins que le Président de la République n'envisage de modifier la loi pour permettre des arrêtés municipaux.
Soyons clairs : il ne s'agit pas que de pesticides épandus par des agriculteurs à proximité de lieux de vie : tout sujet acquiert une légitimité morale dès lors que le Président de la République Emmanuel Macron considère que le maire (ou un autre édile ayant pouvoir de décision) « a raison sur ses motivations » et que par conséquent lui, Président, […] le soutien[t] dans ses intentions. »
Nous sommes là sur une pente glissante, extrêmement dangereuse.
Ne faisons pas de comparaison avec une situation politique française hypothétique : il suffit de se tourner, par exemple, vers l'Italie de M. Matteo Salvini.
Ajoutons que l'affaire étant sub judice avec une décision devant intervenir sous peu, ces propos relativistes sont fort malvenus.
Qu'en ont retenu les médias et qu'ont-il communiqué comme message dans les titres ? Par exemple, de FranceInfo ou encore du Monde (avec AFP) : « Arrêté anti-pesticides : Macron "soutient" le maire breton "dans ses intentions" ».
Il est inutile de gloser sur l'impéritie journalistique. Mais on doit s'interroger sur l'attitude du Président de la République – et sans nul doute aussi la compétence et l'éthique de ses conseillers en communication.
N'était-il pas prévisible, alors que le contexte médiatique est parfaitement clair, que des propos du Président on allait extraire son soutien à un maire « dans ses intentions » qui s'est livré selon l'AFP à une « action de désobéissance civile » ?
Volontaire ou pas volontaire ? Dans les deux cas notre démocratie a mal.