Amazonie : l'illettrisme scientifique au plus haut niveau de l'État
Le Président de la République Emmanuel Macron a cru bon... rectificatif : a mis le feu dans les relations diplomatiques entre la France et le Brésil par un gazouillis.
Remarquez : en annulant une rencontre avec notre ministre des affaires étrangères Yvon Le Drian pour aller se faire coiffer, le président Jair Bolsonaro a fait un de ces affronts à la France qui, en d'autres temps, aurait provoqué l'envoi de quelques destroyers.
« Notre maison brûle. Littéralement. L’Amazonie, le poumon de notre planète qui produit 20% de notre oxygène, est en feu. C’est une crise internationale. Membres du G7, rendez-vous dans deux jours pour parler de cette urgence. #ActForTheAmazon »
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Volontaire ? Ça se discute. Ce gazouillis n'évoque pas le Brésil, mais l'amalgame est vite fait entre l'Amazonie et le principal pays qui l'abrite.
On peut penser que susciter des réactions ulcérées du côté du Brésil, en particulier du président Jair Bolsonaro, aura permis de lâcher à bon compte l'accord de libre-échange entre l'Union Européenne et le Mercosur, et de s'offrir un regain de popularité en France.
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La presse rapporte le 23 août 2019 (par exemple FranceInfo avec AFP) :
« "Compte tenu de l'attitude du Brésil ces dernières semaines, le président de la République ne peut que constater que le président Bolsonaro lui a menti lors du Sommet (du G20, ndlr) d'Osaka", a déclaré l'Elysée. "Les décisions et propos du Brésil ces dernières semaines montrent bien que le président Bolsonaro a décidé de ne pas respecter ses engagements climatiques ni de s’engager en matière de biodiversité", a-t-elle ajouté. "Dans ces conditions, la France s’oppose à l’accord Mercosur en l’état." »
C'est une accusation grave, et surtout personnelle. Et le président Jair Bolsonaro a raison d'accuser en retour le président Emmanuel Macron de vouloir « instrumentaliser » le sujet « pour des gains politiques personnels ».
Quoi qu'il en soit, le Journal du Dimanche résume :
« En bloquant l'accord avec le Mercosur, Emmanuel Macron envoie un signal écologiste avant les municipales tout en apaisant sa majorité et le monde agricole. »
En soi, ce genre de manœuvre politicienne – qui, de plus, irrite d'autres membres de l'Union Européenne et doit en réjouir d'autres encore – est aussi une atteinte à notre démocratie, et à la démocratie de l'Union Européenne.
Tout se passe comme si le Président de la République privilégiait ses intérêts partisans au détriment des intérêts supérieurs de la Nation et de l'Union. L'opportunisme clanique domine le souci du long terme.
Avec la légendaire pointe d'« en même temps » signifiée ici par « Dans ces conditions, la France s’oppose à l’accord Mercosur en l’état ».
Peut-être penserez-vous que l'accord – négocié pendant une vingtaine d'années par l'Union Européenne, les États membres ayant été régulièrement informés de l'état d'avancement des travaux – est mauvais (le Président Emmanuel Macron l'avait trouvé bon il y a quelques semaines...) ? Peut-être y êtes-vous opposés parce que vous craignez d'être, vous et votre filière, dans le camp des perdants ? C'est votre droit.
Mais la France serait largement bénéficiaire de l'accord. À l'heure actuelle, elle exporte quelque 6 milliards d’euros de biens (2016), beaucoup taxés à hauteur de 20 à 35 %) et 3 milliards d’euros de services (2015) vers le Mercosur, des produits à haute valeur ajoutée et haut niveau d'emploi, et importe quelque 3 milliards d’euros de biens (2016), essentiellement des matières premières comme le soja, le café ou le minerai de fer.
Mais regardons aussi les choses calmement : l'accord signé le 28 juin 2019 doit être approuvé par le Conseil de l'Union Européenne à l'unanimité... et il y a déjà des signes de refus. Il doit être ratifié par le Parlement Européen... ce ne sera pas une mince affaire vu sa nouvelle composition. Et il doit être ratifié par l'ensemble des parlements nationaux (et régionaux dans certains pays) dans l'Union Européenne et les quatre États membres du Mercosur.
Et puis, avant tout cela, il faudra traduire des centaines de pages...
Alors, manœuvre (sachant par ailleurs que le Président Emmanuel Macron ne semble pas être un fana de Twitter), pas manœuvre et donc bourde ? Et si c'était bien une manœuvre, politicienne franco-française ou pour créer une ambiance pour le G7 ?
Passons brièvement sur la photo...
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Commençons par le plus grave, maintenant largement révélé par des médias qui ne pouvaient sans doute pas faire autrement.
Tous les feux répertoriés ne sont pas des feux de forêts, liés à la déforestation, mais peuvent correspondre à une pratique agricole sur des terres cultivées ou exploitées pour l'élevage (écobuage).
La plupart des forêts brûlent ou sont sujettes à incendie, pour des causes naturelles ou de par la main de l'homme – agriculteur pratiquant le brûlis, ou individu pyromane ou encore inconscient et imprudent.
La forêt amazonienne – au sens large... il faudrait plutôt dire des forêts amazoniennes – n'est pas la seule concernée en zones équatoriale et tropicales.
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Le Président Emmanuel Macron l'a enfin compris... en prenant soin de ne pas chagriner l'Indonésie et la Malaisie...
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Or, une fois la flambée anti-Bolsonaro lancée, on s'est rapidement aperçu, d'une part, que la forêt amazonienne brûle aussi dans d'autres pays – notamment en Bolivie où les surfaces concernées sont plus importantes qu'au Brésil (mais M. Evo Morales ne suscite pas la même antipathie que M. Jair Bolsonaro...). D'autre part que les feux de l'Amazonie brésilienne sont, en nombre et en intensité, à un niveau certes plus élevé que d'habitude, mais pour autant seulement que « habitude » signifie la période 2006-2016.
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(Source : gazouillis précédent et cet article)
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Tout se passe comme si « on » a exploité une situation se prêtant à une dramatisation. Ce « on », ce peut être l'Élysée qui aura entrevu un « coup » de politique politicienne nationale (flatter la sensibilité « écolo »... les municipales approchent et c'est un comportement habituel) et internationale (se profiler comme le Superman « sauvant » la planète. Mais ce « on » peut aussi être un élément extérieur qui aura instrumentalisé le Président... quelqu'un a bien dû l'alerter sur les feux dans l'Amazonie
Mais la mise en accusation du président Jair Bolsonaro tombe aussi à l'eau pour une autre raison : dans le cas des défrichements, qui ne constituent qu'une partie des feux, le feu est normalement mis une fois que l'on a coupé les arbres, pour détruire la végétation restante. L'exploitation des arbres a eu lieu avant son arrivée au pouvoir.
Cette expression consacrée en fait hurler d'aucuns. Ne serait-ce que parce que les poumons absorbent de l'oxygène et rejettent du gaz carbonique, alors que l'Amazonie est censée faire l'inverse. En plus, c'est faux.
Notre atmosphère (air sec) est composée de 78,087 % de diazote, 20,95 % de dioxygène, 0,93 % d'argon, 0,04 % de dioxyde de carbone et des traces d'autres gaz. L'Amazonie produirait donc, en gros, 4 % de l'oxygène de l'atmosphère... qui devrait disparaître ailleurs puisque sa présence dans l'atmosphère est stable. Ah bon...
Elle devrait le faire avec les 0,04 % de dioxyde de carbone de l'air (en fait, l'oxygène produit par la photosynthèse provient de l'eau, mais le rapport oxygène/gaz carbonique est égal à 1). C'est très fort. Antoine Laurent Lavoisier, ci-devant de Lavoisier, doit se retourner dans sa tombe...
« L’Amazonie absorbe 14% du CO2 mondial. La perte du premier poumon de la planète est un problème mondial. Aucun pays ne peut dire que ça le concerne seul. #ActForAmazon »
peut-on lire dans un autre gazouillis. Et, sauf erreur, on l'a aussi entendu dans l'entretien accordé à Mme Anne-Sophie Lapix pour le journal de 20 heures de France 2 du 26 août 2019.
Aurait-on compris à l'Élysée que l'affirmation précédente était une ânerie – peut-être dénichée chez M. Leonardo Di Caprio ? Si oui, ce fut pour proférer une bœuferie ! Elle semble provenir du Fonds Mondial pour la Nature (WWF), qui trouve aussi que l'Amazonie concentre « grâce au fleuve Amazone et à ses affluents, 20% de l'eau douce non gelée » (ça nous fait de belles jambes... cette eau se retrouve majoritairement à la mer).
Si l'on comprend bien, l'Amazonie devrait absorber tout le CO2 atmosphérique en sept ans... Même si on ramenait cette déclaration aux émissions anthropiques, ce ne serait pas encore juste (un conditionnel conditionné ici par l'extraordinaire dispersion des chiffres que l'on trouve dans la littérature).
En fait, une forêt à l'équilibre a un bilan O2 – CO2 nul (voir aussi ici, de notre ami Anton Suwalki). En bref, le gaz carbonique absorbé et stocké par un arbre en croissance est restitué à l'atmosphère avec la décomposition de la matière organique de l'arbre en décomposition. Le bilan ne peut être positif que si le carbone est stocké à long terme et accumulé, par exemple dans un sol dont le taux d'humus croît, ou par entraînement dans la mer et stockage au fond, ou encore sous la forme de bois d'œuvre (jusqu'à ce qu'il pourrisse ou soit brûlé).
Bilan pour l'Amazonie ? Les études se suivent et ne se ressemblent pas ! Une bonne source pour un résumé est « Tropical forests are a net carbon source based on aboveground measurements of gain and loss » (les forêts tropicales sont une source nette de carbone selon des mesures de gain et de perte en surface) :
« Les forêts tropicales sont-elles une source nette ou un puits net de dioxyde de carbone atmosphérique ? Aussi fondamentale que soit la question, il n’y a toujours pas d’accord sur la réponse. Différentes études suggèrent qu’il s’agit d’un puits important ou d’une source modeste. »
Cette étude trouve que ces forêts sont une source de 425,2 ± 92,0 Tg C an-1 (Tg = téragramme – admirez la précision...), soit 0,4252 gigatonnes de carbone ou en gros 1,6 gigatonnes de CO2.
Voici encore un tableau déniché dans un rapport de la référence absolue, le GIEC. Les forêts brésiliennes, selon une étude, seraient (ou auraient été) un puits de carbone pour 0,733 gigatonnes de CO2. À comparer aux quelque 36,15 gigatonnes d'émissions fossiles en 2013 et 36,8 gigatonnes en 2017.
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Curieusement – ou peut-être pas – nous n'avons pas trouvé ce chiffre dans la publication référencée.
On ne peut qu'être effaré par cette situation. Elle peut somme toute paraître anecdotique pour la partie qui relève de la science (pour la partie « politique », on sombre dans une querelle de cour d'école – pour le dernier épisode, à l'heure où nous écrivons, voir par exemple ici).
Mais elle est révélatrice d'une grande carence au sommet de l'État. Tout comme, sur des sujets autrement importants, l'obsession anti-pesticides et surtout anti-glyphosate, ou encore les illusions dans le domaine de l'énergie.
L'illettrisme scientifique à l'Élysée ne date pas d'hier. Le Président François Hollande n'a-t-il pas attribué aux changements climatiques une responsabilité dans les tremblements de terre et tsunamis ?
Et qu'en serait-il si – d'aventure – les Verts Yannick Jadot et Julien Bayou arrivaient au pouvoir ? Des problèmes de géométrie niveau école primaire…