« Semences paysannes » en Île-de-France : vive l'agriculture de nos grands-parents !
La France Agricole a publié un intéressant article, « Le changement sur le terrain demande cinq à dix ans » (réservé aux abonnés). Il est résumé comme suit :
« Depuis 2017, l’association Agrof’Île accompagne les producteurs dans l’expérimentation de variétés paysannes de blé tendre en Île-de-France. Si les filières se montent, le changement, sur le terrain, demande du temps. »
En bref, l’association Agrof’Île – Agroforesterie et Sols vivants en Île-de-France – se propose d’aider des agriculteurs à créer un mélange de variétés adapté précisément à leurs terres, à leurs pratiques, et à leurs circuits de commercialisation en proposant une cinquantaine de variété :
« Étoile de Choisy, Touzelle, ou encore Blé des Yvelines : depuis 2017, les agriculteurs de l’Île-de-France sont invités à puiser dans la collection de blés de l’association Agrof’Île pour trouver leur bonheur. »
Comment ? Étoile de Choisy, une « variété paysanne » ? C'est une obtention de l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) inscrite au catalogue en... 1950. Très diffusée, particulièrement en zone méridionale, elle n'avait pas bonne presse chez les meuniers.
Comment ? Touzelle ? Ce mot du sud de la France désigne un blé précoce dont l'épi est sans barbe. La Touzelle anone est une variété très ancienne. Dans Les meilleurs blés (1880) Henry de Vilmorin écrit :
« La Touzelle anone est très anciennement cultivée dans le midi de la France, en Provence surtout, et son nom semblerait indiquer qu'elle date de la domination romaine ; cependant elle est devenue assez rare aujourd'hui. C'est tout à fait une race méridionale, sans intérêt pour le centre ni le nord de la France où elle souffre du froid. »
Certes, il y a eu le changement climatique...
Comment ? Blé des Yvelines ? Aucune trace sur la toile autre qu'un poster d'Agrof'Île.
Bienheureux ce pays de cocagne qui peut se permettre d'allouer des terres à des variétés anciennes de blé – paysannes de quelque 100 ans d'âge ou de sélectionneur vieilles de 70 ans –, de renoncer au progrès génétique qui a été accompli depuis lors, et de verser dans un « c'était mieux avant » pourtant largement démenti.
Mais il n'y a pas que le progrès... La France Agricole rapporte :
« L’objectif, pour l’association, est d’aider chaque producteur à créer un mélange de variétés adapté précisément à ses terres, à ses pratiques, et à ses circuits de commercialisation. "Avec l’agroforesterie, les couverts, ou les associations de cultures, on entre dans des pratiques auxquelles les semences des catalogues n’ont pas été confrontées", estime Valentin Verret. »
Ces gens savent-ils ce qu'ils font ? Ont-ils une idée de l'instabilité des mélanges et de la rapidité de leur évolution ?
Dans le poster précité, on peut lire :
« Les “populations dynamiques”, sont constituées d’individus tous différents provenant l’origine d’un mélange de variétés. Le mélange est ressemé année après année. Sa composition évolue. Les plants les plus résistants sont conservés. Ces mélanges s’adaptent rapidement au terroir et aux fluctuations du climat grâce à son importante diversité génétique. Chaque mélange est unique, propre au paysan qui le cultive. »
Maman ! Un mélange de plantes de variétés homozygotes d'une espèce presque exclusivement autogame produirait en peu de temps des « populations dynamiques […] d'individus tous différents » ?
L'idéologie suit immédiatement :
« Les variétés modernes, contrairement à leurs cousines anciennes et paysannes ont été sélectionnées en condition de forte utilisation d’engrais et de protection chimique des cultures (fongicide et herbicide), et pour une utilisation en boulangerie industrielle. Le rendement et la facilité de transformation technologique ont été les principaux critères de sélection au détriment d’autres qualités. La diversité génétique des blés cultivés s’est énormément appauvrie. »
Sur une autre page, c'est, avec un intéressant conditionnel :
« Les variétés disponibles dans le catalogue officiel ont été sélectionnées dans des conditions de cultures idéales et sans facteur limitant (azote disponible, pas de concurrence des mauvaises herbes, protection anti-fongique), et pour répondre aux critères des filières dominantes. Aujourd’hui, ces variétés ne seraient pas les plus adaptées aux nouvelles pratiques agricoles liées au non travail du sol, aux couverts végétaux et à l’agroforesterie. »
C'est triste de voir ça. Et aussi que le département du Val-de-Marne contribue à ce projet. Nous pensons qu'il y a de meilleures utilisations pour l'argent public.
Mais il n'y a pas que le département... Dans l'article de la France Agricole :
« Attention : s’investir dans les semences paysannes demande du temps. Selon l’Inra et le Réseau Semences Paysannes, environ trois ans seraient ainsi nécessaires pour qu’une variété donnée se réadapte dans un nouveau terroir, avant de révéler son véritable potentiel. »
L'INRA ! Une variété comme Étoile de Choisy – une lignée pure – s'adapterait à un « nouveau terroir », alors qu'elle n'héberge aucune variabilité susceptible de faire évoluer le matériel génétique dans un sens ou un autre ? Un « nouveau terroir », alors qu'elle était largement diffusée ? Et une « réadaptation » en trois ans seulement ?
Au secours ! Lyssenko revient !
Il y a cependant des parcelles de vérité dans la suite :
« Et ce n’est pas tout. "Entre la multiplication des semences et l’adaptation des pratiques, ce changement sur le terrain demande cinq à dix ans", poursuit Valentin Verret. Ce n’est qu’avec l’expérimentation, par exemple, que l’on comprend que ces variétés exigent moins d’azote que leurs cousines plus courantes. "Si on les sème après luzerne, le relargage d’azote est trop important et on peut être certain que ça va verser", prévient-il. »
Toutefois, pour l'azote, on savait...
On fait donc de l'expérimentation... mais on se fait très, très cachottier sur les résultats :
« Les prix constatés [jusqu'à, paraît-il, 600 €/t] s’expliquent encore par les rendements. Les données demeurent rares, mais la productivité est évidemment en baisse par rapport aux semences commerciales. "Pour les semences paysannes, on parle souvent de 2 à 3 tonnes à l’hectare", reconnaît Valentin Verret. Des chiffres qui seraient à nuancer par le fait que les expérimentations ont longtemps été réservées à des terres difficiles. »
Ben voyons... c'est la faute à pas bon sol...
(Source)