Pesticides : les États-Unis d'Amérique sont-ils irresponsables ?
À propos d'un article « scientifique »
Environmental Health a publié le 7 juin 2019 un article, en principe scientifique, « The USA lags behind other agricultural nations in banning harmful pesticides » (les USA à la traîne derrière d'autres nations agricoles pour l'interdiction de pesticides nocifs).
Ce titre claque comme un slogan de militants anti-pesticides.
De fait, l'auteur en est M. Nathan Donley, du Center for Biological Diversity, une organisation à but non lucratif états-unienne comptant 1,1 million de membres selon Wikipedia (en anglais) et œuvrant à la protection des espèces menacées, mais pas que... Le site Deniers for Hire (négateurs de science à louer) a une page sur M. Nathan Donley et affirme que le Center for Biological Diversity est un groupe qui utilise les plaintes en justice pour obtenir des règlements importants. Un prédateur...
Une recherche de « pesticides » sur son site produit près de 2.750 résultats, et « toxic pesticides » 1.270.
Que l'auteur soit affligé d'un biais de militantisme n'empêche pas l'article – fort long – d'être intéressant et, d'une certaine manière, instructif.
En voici le résumé :
« Contexte
Les États-Unis d'Amérique (USA), l'Union européenne (UE), le Brésil et la Chine sont quatre des plus grands producteurs et utilisateurs agricoles de pesticides agricoles au monde. La comparaison de l’inclination et de la capacité des différents organismes de réglementation à interdire ou à éliminer les pesticides qui ont le potentiel d'être les plus nocifs pour l’homme et l’environnement peut donner un aperçu de l’efficacité des lois et de la surveillance en matière de réglementation des pesticides de chaque pays.
Méthodes
Le statut d'homologation de plus de 500 pesticides agricoles a été identifié auxUSA, dans l'UE, au Brésil et en Chine et comparé entre les pays. La quantité de pesticides utilisée aux USA et bannis dans ces autres pays a été compilée et une régression linéaire a été utilisée pour identifier les tendances en matière d'utilisation.
Résultats
Aux USA, 72, 17 et 11 pesticides approuvés pour des applications agricoles en extérieur sont bannis ou en voie d'élimination complète dans l'UE, au Brésil et en Chine, respectivement. Parmi les pesticides utilisés dans l'agriculture américaine en 2016, 146 millions de kilogrammes étaient des pesticides bannis dans l'UE, 11,8 millions de kg étaient des pesticides bannis au Brésil et 18 millions de kg étaient des pesticides bannis en Chine. Les pesticides bannis dans l'UE représentent plus du quart de toutes les utilisations de pesticides agricoles aux États-Unis. La majorité des pesticides bannis dans au moins deux de ces trois pays n’a pas sensiblement diminué aux USA au cours des 25 dernières années et presque tous sont restés stables ou ont augmenté au cours des 10 dernières années.
Conclusions
De nombreux pesticides encore largement utilisés aux USA, à hauteur de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de millions de kilogrammes [dans le texte original, c'est des livres, mais la conversion en système métrique ne change pas le sens] par an, ont été bannis ou sont en cours d'élimination progressive dans l'UE, en Chine et au Brésil. Parmi les pesticides bannis dans au moins deux de ces pays, beaucoup ont été impliqués dans des intoxications aiguës aux pesticides aux USA et certains sont encore davantage limités par des États individuels. L’Agence de Protection de l'Environnement des États-Unis (US EPA) a pratiquement abandonné le recours aux annulations non volontaires au cours des dernières années, rendant l’annulation des pesticides aux USA en grande partie un exercice qui nécessite le consentement de l’industrie réglementée. »
Nous avons traduit « banned » par « banni », bien qu'« interdit » soit plus naturel. C'est que l'auteur est plus nuancé dans son texte :
« Aux fins de cette étude, un pesticide était considéré comme "banni" aux États-Unis et dans l'UE si l'agence de réglementation avait décidé d'interdire unilatéralement l'entrée du pesticide sur le marché, d'annuler son approbation ou de notifier à la Convention de Rotterdam que ce pesticide était banni. Un pesticide était considéré comme "non approuvé" si un détenteur de pesticide avait volontairement retiré sa demande, volontairement demandé que son enregistrement soit annulé, si son enregistrement a expiré ou si le pesticide n'a jamais été approuvé. Cela visait à séparer les mesures réglementaires prises pour protéger la santé humaine et l'environnement (bannis) de celles prises pour des raisons économiques ou autres (non approuvés). »
Cette binarité est artificielle : un détenteur de pesticide ne déposera pas une demande ou, ayant déposé une, la retirera s'il sait qu'elle n'aboutira pas pour des motifs toxicologiques ou écotoxicologiques. C'est d'ailleurs expliqué en détail dans le texte.
Mais nous admettrons volontiers que dans une étude de ce genre, il faille faire des choix.
En revanche, on ne peut que critiquer l'emploi du seul « banned » dans des circonstances où il aurait convenu d'évoquer toutes les causes possibles d'une absence d'autorisation d'utiliser, dans l'Union Européenne, au Brésil ou en Chine, un produit phytosanitaire autorisé aux États-Unis d'Amérique.
Et il va de soi qu'une étude véritablement informative aurait aussi dû considérer les usages autorisés ainsi que les conditions d'utilisation, et plus généralement l'ensemble des circonstances.
Le cas des néonicotinoïdes est à cet égard illustratif : ils ont été interdits dans l'Union Européenne pour les usages en extérieur pour des motifs essentiellement politiciens, alors même que la substitution des traitements de semences par des traitements aériens risque d'être plus nuisible sur le plan écologique.
La complexité et les arcanes de la décision administrative de retrait d'une AMM sont amplement décrites dans le texte.
« Dans le cadre de la FIFRA [la législation], le retrait à l'initiative de l’US-EPA est un processus qui prend beaucoup de temps. Il requiert des ressources considérables de la part de l’agence et de multiples étapes visant à garantir, avant tout, que le secteur agricole ne subira pas de préjudice injustifié. […] Par la suite, le titulaire peut demander à être entendu par un juge de droit administratif et interjeter appel de cette décision devant une commission d’appel […] Pendant la procédure d'appel, l'approbation du pesticide reste en place et il peut continuer à être utilisé. »
En fait, les procédures européennes ne sont guère plus rapides. La différence, s'agissant des résultats, tient davantage à l'état d'esprit, les décisions européennes étant fondées sur un large recours à la « précaution ».
On peut dès lors considérer que le résumé est malhonnête. En tout cas, la conclusion de l'article – l'allégation de déficiences dans la législation sur les pesticides – n'est pas étayée par la description des la situation faite dans le texte de l'article.
La critique portée contre l'Agence de Protection de l'Environnement des États-Unis (US EPA) explicitement dans le titre est en première analyse injustifiée. Il aurait aussi fallu analyser les raisons précises des différences de statut d'une substance phytopharmaceutique pour tirer la conclusion, au mieux d'une lenteur dans les décision, sinon d'un laxisme.
La critique est implicite dans le résumé : l'EPA « a pratiquement abandonné le recours aux annulations non volontaires au cours des dernières années ». C'est au mieux fielleux.
Mais c'est évidemment une critique qui vient à point quand on sait que l'EPA , en dépit des gesticulations militantes, vient de délivrer un brevet de bonne conduite au glyphosate.
C'est fielleux car l'auteur explique dans le texte que la voie de la coopération avec les détenteurs d'autorisations est préférée pour éviter les recours en justice. C'est la voie de l'efficacité – comme en témoigne aussi le graphique ci-dessous – et non du laxisme, et c'est aussi un témoignage du sens des responsabilités des détenteurs d'AMM.
Le Figaro, se fondant sur une dépêche de l'AFP – toujours dans les bons coups quand il s'agit de s'en prendre aux pesticides –, titre le 7 juin 2019, jour de la mise en ligne de l'article scientifique : « Plus d’un quart des pesticides utilisés aux États-Unis sont interdits dans l’UE ».
Il aura précédé le Monde, qui s'est fait plus mesuré sur Internet avec « Le quart des pesticides utilisés aux Etats-Unis sont interdits en Europe ». Avec en chapô une phrase bancale (sic transit gloria Mundi) :
« L’auteur de l’étude, parue jeudi dans la revue "Environmental Health", qui dénonce l’influence des lobbys des pesticides et agricoles sur le régulateur américain. »
Notez bien que ce quart... ce sont les quantités utilisées (aux États-Unis d'Amérique). En nombre de substances, la gesticulation est beaucoup moins efficace : 72 sur 374, cela ne fait que 20 %.
Notez aussi que plus de la moitié de ce quart (57 %) est représentée par trois substances, l'atrazine, le dichloropropène et l'acétochlor. Ajoutez le paraquat (une vraie saloperie pour les applicateurs) et l'acide sulfurique (ce bon vieil acide sulfurique...) et vous dépassez les deux tiers.
Mais il est vrai que l'auteur... Le Monde écrit :
« Le bureau des pesticides de l’EPA est à blâmer, dit à l’Agence France-Presse Nathan Donley, qui dénonce l’influence des lobbys des pesticides et agricoles sur les décisionnaires.
"Quand l’EPA prend des décisions que le secteur agricole n’aime pas, ils se retrouvent dans une situation politique délicate", ajoute-t-il, car c’est le Congrès qui décide du budget de l’EPA. »
Rien de tout cela dans l'article scientifique...
Notez aussi que l'article repose essentiellement sur les données statistiques de 2016 – de l'ère pré-donaldienne.
Voilà donc encore un article scientifique qui sert de support à une campagne militante de manière caricaturale.
Et pensez-vous que le journaliste de l'AFP aurait pu penser qu'il serait utile de faire examiner l'article scientifique et la déclaration de M. Nathan Donley par un expert ? Vérifier les informations est pourtant à la base de son métier, non ?