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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Une agriculture sans produits de protection des plantes ?

9 Juin 2019 , Rédigé par Seppi Publié dans #Pesticides, #Politique, #Agronomie

Une agriculture sans produits de protection des plantes ?

 

Un rapport publié par un service de prospective du Parlement Européen

 

 

« Farming without plant protection products – Can we grow without using herbicides, fungicides and insecticides? » (une agriculture sans produits de protection des plantes – pouvons nous produire sans herbicides, fongicides et insecticides) est un rapport d'une trentaine de pages établi par M. Wannes Keulemans, M. Dany Bylemans et Mme Barbara De Coninck (CropBiotechnics, Department of Biosystems, KU Leuven) pour le compte de l'Unité de Prospective Scientifique du Service de Recherche du Parlement Européen.

 

Le résumé exécutif

 

En voici le résumé exécutif (notre traduction) :

 

« La sécurité alimentaire et une alimentation saine pour 11 milliards de personnes d’ici à 2100 constituent l’un des plus grands défis de ce siècle. C'est l'un des droits de l'homme les plus importants, si ce n'est le plus important, et tout système agricole doit satisfaire à cette exigence dans les limites de la durabilité planétaire. Cela implique qu'aucune augmentation supplémentaire des terres consacrées à l'agriculture n'est acceptable, car il s'agit du principal facteur de perte de biodiversité, d'augmentation des émissions de gaz à effet de serre et d'impact sur l'environnement. Selon la littérature scientifique, il n'y a pas d'autre option que d'accroître le rendement global et de réduire l'écart de rendement afin de garantir la sécurité alimentaire mondiale. Cela étant, on peut se demander s'il est possible de maintenir les rendements actuels dans le nord-ouest de l'Europe et d'augmenter ceux d'autres régions du monde sans produits de protection des plantes (PPP) ou avec une utilisation réduite des PPP. Mais comment pouvons-nous gérer la perception du public selon laquelle les PPP sont malsains et ont des impacts très négatifs sur la biodiversité et l'environnement ?

 

Les PPP comprennent les herbicides, les fongicides et les insecticides. Les PPP peuvent être des PPP de synthèse ou des PPP naturels ("biopesticides"), utilisés en agriculture biologique. La quantité de PPP utilisée a doublé depuis 1980, mais le développement de nouveaux PPP conventionnels (de synthèse) a diminué, en raison notamment de problèmes de législation, alors que le nombre de biopesticides a augmenté au cours des dernières décennies. L’utilisation accrue des PPP a été l’un des moteurs de la "révolution verte" et a contribué à l’augmentation de 2,5 fois des rendements agricoles dans les pays développés. En ce qui concerne les pays de l’UE, il existe des différences considérables dans l’utilisation des PPP, ce qui est en corrélation avec les différences de rendement des cultures. Le passage de PPP à large spectre à des PPP plus spécifiques, ciblant uniquement des parasites ou des maladies spécifiques et évitant tout impact sur les organismes non ciblés, implique que les agriculteurs doivent traiter davantage avec ces PPP à action spécifique. C’est la principale raison de l’augmentation récente de l’utilisation des PPP, sans l'effet positif sur l’augmentation du rendement des cultures constaté par le passé.

 

L'introduction de PPP dans l'UE est très strictement réglementée et implique une longue procédure, incluant une évaluation des risques fondée sur des bases scientifiques. Cela comprend une évaluation des effets toxiques sur l'Homme et d'autres organismes. Les PPP sont aujourd'hui, lorsqu'ils sont appliqués correctement, beaucoup plus sûrs que par le passé et il y a un contrôle strict sur les résidus. Un facteur de sécurité de 100 garantit un niveau de risque beaucoup plus bas que les autres risques quotidiens auxquels l'Homme est exposé. De plus, la technologie d'application des PPP s'est considérablement améliorée, ce qui contribue à réduire les impacts sur l'environnement et les risques pour les applicateurs. Les coûts d'évaluation des risques pour le secteur de la protection des plantes sont passés de 41 millions USD par substance active en 1995 à 71 millions USD aujourd'hui.

 

La protection des plantes implique non seulement l'utilisation de PPP, mais également d'autres mesures, telles que la rotation des cultures, la mise en place de cultivars résistants (peu ou pas disponibles dans de nombreuses cultures), la gestion des sols, etc. Sans PPP, les rendements seront diminués en fonction de la culture et des réductions allant de 19 % (blé) à 42 % (pomme de terre) ont été signalées. Ces diminutions sont plus importantes dans les régions où la production réelle est élevée, celle-ci découlant aussi de l'utilisation d'engrais, de variétés à haut rendement, de l'irrigation, etc. Sans PPP, y compris les biopesticides, la sécurité alimentaire de 11 milliards de personnes à l'avenir est menacée. Mais d'autre part, la question de savoir s'il est possible de réduire l'utilisation des PPP sans réduction de rendement reste posée. Il existe plusieurs indications selon lesquelles une réduction de l'utilisation des PPP est réalisable pour des cultures spécifiques. La tendance générale est qu'une réduction semble possible dans le cas d'une utilisation (très) très élevée de PPP, mais pas dans le cas d'une faible utilisation.

 

Les PPP ont toujours des effets secondaires indésirables et inévitables, tels que leur impact négatif sur la biodiversité. Cependant, cette corrélation n’est pas toujours bien étudiée et il semble que l’effet le plus important sur la (perte de) biodiversité soit dû aux changements d'affectation des sols. À cet égard, il est clair que l'agriculture biologique et sa mise en œuvre dans l'agro-écologie ne constituent souvent pas le meilleur choix. Au niveau des exploitations, toutes les méta-études scientifiques indiquent que l'augmentation de la biodiversité est plutôt marginale, mais qu'au niveau mondial, il y aura une diminution drastique de la biodiversité, car l’agriculture biologique est environ 25 % moins productive que l’agriculture conventionnelle. Cela signifie que pour nourrir 11 milliards de personnes, il faut plus de terres aux dépens de la biodiversité. De plus, la perception selon laquelle les PPP naturels, utilisés dans l'agriculture biologique, sont moins toxiques et conduisent à moins de résidus n'est pas toujours correcte et nécessite des confirmations scientifiques supplémentaires.

 

Bien que de nombreux progrès aient été accomplis dans le passé en ce qui concerne l’impact des PPP sur l’homme et l’environnement, des améliorations considérables sont encore possibles. La réduction de l’utilisation des PPP semble une solution, par exemple reposant sur des systèmes sophistiqués d’alerte et d’aide à la décision, mais cette réduction n’est réaliste que lorsque le risque de perte de rendement ou de réduction de la qualité des aliments est acceptable pour l’agriculteur. L'agriculture de précision, y compris la télédétection avec des véhicules aériens sans pilote, peut également contribuer à une application plus ciblée et à une réduction de l'utilisation des PPP. Une contribution importante proviendra également de la sélection de variétés plus résistantes, à la fois par sélection classique et par de nouvelles techniques de sélection, telles que la sélection par mutation de précision utilisant l'approche CRISPR-Cas, ou par transformation génétique. Ces dernières techniques seront inévitables pour atteindre les objectifs de développement durable concernant la sécurité alimentaire et des aliments sains dans le respect des limites de la durabilité planétaire. »

 

 

Les conclusions générales

 

« • Le rendement des cultures ne peut pas diminuer mais doit augmenter pour combler l'écart de rendement et nourrir 11 milliards de personnes de manière durable.

 

L'augmentation des rendements dans les limites de la durabilité de la planète implique, outre d'autres mesures, aucun autre changement dans l'utilisation des terres et une protection adéquate des cultures.

 

La production végétale dans l'UE sans PPP n'est pas réaliste pour le moment, mais certains éléments indiquent que des réductions sont possibles sans ou avec des pertes de rendement acceptables ; le risque (financier) pour le producteur est toutefois un aspect important à prendre en compte.

 

Les PPP modernes sont plus spécifiques vis-à-vis des organismes nuisibles ciblés. En conséquence, il faut davantage de PPP pour certaines cultures.

 

Les applications de PPP, à la fois de synthèse et naturels, entraînent une perte considérable de biodiversité. Cette perte est toutefois surpassée par celle issue des changements d’utilisation des terres (expansion des terres arables).

 

Le rendement inférieur de l'agriculture biologique est en partie dû à une protection des cultures moins efficace que dans l'agriculture conventionnelle.

 

Par conséquent, le prix de la production biologique devrait être supérieur à celui de la production conventionnelle. Cependant, si tous les aliments étaient produits dans des systèmes biologiques, les classes à faibles revenus passeraient à des aliments moins chers et malsains. Les effets négatifs potentiels sur la santé de ces aliments (obésité,…) sont plus importants en tant que risque que l'exposition aux PPP.

 

Rien n'indique clairement que les PPP naturels sont meilleurs pour la biodiversité ou l'environnement.

 

En supposant qu'une quantité donnée de nourriture doive être produite pour nourrir la population mondiale, l'utilisation accrue des terres en production biologique a un impact négatif sur la biodiversité au niveau mondial.

 

Pour améliorer la durabilité de la production végétale, l'intensification durable du système de lutte intégrée obtenue en poursuivant des objectifs de durabilité est la voie la plus prometteuse. Ils incluent la réduction des PPP par les nouvelles technologies, l’agriculture de précision, le développement de variétés résistantes par des techniques de sélection à la fois classiques et nouvelles. L'agriculture biologique, l'agro-écologie et l'agroforesterie ont en moyenne moins de potentiel à cet égard, mais peuvent être bénéfiques dans un nombre restreint de situations spécifiques, telles que les réserves naturelles à protéger de l'agriculture intensive.

 

Les nouvelles technologies en matière d'amélioration des plantes, de protection des cultures, d’agriculture de précision,… réduiront encore l’utilisation et la dépendance à l’égard des PPP.

 

Les PPP sont parmi les substances les mieux étudiées de notre vie. Leur risque n'est pas nul, mais acceptable et conforme aux connaissances scientifiques actuelles. Des réévaluations tous les 10 ans assurent des évaluations des risques régulièrement mises à jour.

 

Les facteurs de sécurité dans l'évaluation des risques des PPP sont beaucoup plus élevés que les facteurs de sécurité utilisés pour d'autres risques de notre vie quotidienne.

 

La perception des risques des PPP par le grand public est diamétralement opposée à la classification des risques des scientifiques.

 

Plusieurs acteurs sont impliqués dans la communication des risques, ce qui entraîne des messages contradictoires. Les scientifiques sont considérés comme moins neutres qu'on pourrait l'espérer. Certains acteurs sont qualifiés d’idéologiques et d’autres sont soupçonnés de travailler à la demande pour des organisations non gouvernementales (ONG) ou l’industrie chimique. Des leaders d'opinion neutres sont toutefois nécessaires car le pire qui puisse arriver serait que les gens croient que les évaluations des risques sont arbitraires et que leurs résultats dépendent de ceux qui les paient. »

 

 

 

 

Quelques observations

 

Ce document constitue une bonne synthèse de la problématique des pesticides, avec des messages importants – qui, malheureusement, ne seront pas entendus par tous ces politiciens qui considèrent que le leadership, c'est se mettre à l'avant de l'opinion dite « publique » (qu'ils contribuent souvent à forger), plutôt que prendre des décisions qui paraissent impopulaires tant qu'elles n'ont pas été expliquées.

 

La dernière phrase des conclusions générales nous paraît être un message particulièrement important à l'adresse des membres du Parlement Européen :

 

Des leaders d'opinion neutres sont toutefois nécessaires car le pire qui puisse arriver serait que les gens croient que les évaluations des risques sont arbitraires et que leurs résultats dépendent de ceux qui les paient.

 

Deux figures de ce document peuvent illustrer les enjeux.

 

La figure 1, ci-dessus, illustre l'augmentation des rendements du blé en France, en Allemagne et au Royaume-Uni depuis le début des années 1960 – mais aussi la variabilité en fonction, essentiellement, des conditions dites « climatiques » ainsi que la stagnation depuis le milieu des années 1990.

 

La figure 11 montre les pertes réelles (en bleu) et potentielles (en rouge) pour le blé, le riz, le soja et la pomme de terre au niveau mondial, en raison des bioagresseurs animaux, des pathogènes, des virus et des adventices. L'étude d'E.-C. Oerke, « Crop losses to pests » (pertes de récoltes dues aux ravageurs – au sens large) date de 2006 mais reste une référence. Ses résultats ont été grandement confirmés par une équipe internationale (Serge Savary et al.) dans « The global burden of pathogens and pests on major food crops » (le fardeau mondial des agents pathogènes et des ravageurs sur les principales cultures vivrières) en mars 2019 – des éléments en sont repris dans le tableau 1 ci-dessous.

 

 

 

 

La confrontation de ces deux figures permet de visualiser le bond en arrière que l'on ferait en se privant des PPP – ou de PPP efficaces.

 

Mais nous savons déjà tout cela : il suffit de comparer les rendements entre productions conventionnelles et productions biologiques (certes aussi handicapées, souvent, par une fertilisation déficiente).


 

 

 

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