Sur les marchés mondiaux, l'agriculture française a encore sa place sur un strapontin...
plus pour longtemps si rien ne change
Notez la diminution progressive du solde avec l'UE. L'année « climatique » 2016 a été exécrable (le rendement du blé a par exemple chuté à 54 q/ha, contre 70-75 en année normale). (Source)
Le Sénat vient de publier un rapport d'information aussi bref (une trentaine de pages en tout, une quinzaine en pratique) que percutant sur « la place de l’agriculture française sur les marchés mondiaux ».
Le signataire en est M. Laurent Duplomb, et il a été produit au nom de la commission des affaires économiques par le groupe d'études « Agriculture et alimentation ».
Le cocorico introductif apporte du baume au cœur :
« La France est incontestablement une puissance agricole de premier plan, représentant à elle seule près de 17 % de la production européenne.
Fruit d’une histoire et d’une longue tradition d’excellence, la puissance agricole nationale tient avant tout aux savoir-faire de femmes et d’hommes dévoués à leur métier, à l’importance de ses surfaces agricoles couvrant près de 50 % du territoire et à son potentiel agronomique élevé. »
C'est exprimé en valeur, donc pas directement utilisable pour mesurer la contribution à la satisfaction des besoins alimentaires de la France et de l'Union Européenne et, partant, de leur souveraineté en la matière. Mais relevons que la population française représente 13 % de l'européenne.
Mais le constat arrive vite et, selon une formule désormais consacrée, il est sans appel :
« L’indicateur le plus souvent mis en avant pour démontrer les bonnes performances de notre agriculture sur les marchés mondiaux est l’excédent commercial structurel français en matière de produits agricoles. Troisième excédent sectoriel derrière le secteur aéronautique et spatial et la chimie, il fait de l’agriculture l’une des fiertés commerciales françaises.
Toutefois, cet indicateur masque des évolutions alarmantes :
1) la production française stagne en volume alors que celle de ses concurrents augmente ;
2) l’excédent commercial agricole risque de disparaître si la tendance actuelle se poursuit ;
3) les importations de produits agricoles et alimentaires augmentent alors que leur respect des normes de production exigées en France n’est pas assuré. Il en résulte une atteinte à la sécurité alimentaire des Français, à la compétitivité économique de notre agriculture, et, partant, au revenu de nos agriculteurs.
Ces choses-là ne sont pas nouvelles, mais il est bon qu'elles soient énoncées de manière structurée.
Le groupe d'études a voulu « avant tout alarmer le citoyen sur cette face cachée de l’agriculture française. » Nous oserons penser qu'un exemplaire dédicacé sera envoyé à M. Didier Guillaume, ministre de l'agriculture telle que la pratiquaient nos grands-parents (c'est son idéal...). Un autre pour M. Jean-Baptiste Moreau, « député-paysan de la Creuse » et fidèle thuriféraire de la politique gouvernementale (de son irrationalité, voire de son absence).
Deuxième exportateur mondial de produits alimentaires dans les années 90, la France n'est désormais plus que sixième. Elle s'est fait certes doubler, inévitablement, par de grands pays agricole par nature ou ayant misé (aussi) sur l'agriculture – tel le Brésil qui a quasiment doublé sa surface agricole entre 1960 et aujourd'hui ; mais aussi par l'Allemagne et les Pays-Bas.
Les relations entre production et exportation sont complexes, mais il y a un graphique du rapport sénatorial qui doit alerter : en volume, la production française stagne depuis 1997.
Le rapport note :
« L’excédent agricole français tend même à disparaître. Il a ainsi été divisé par deux entre 2011 et 2017 en euros courants, ce qui constitue un recul historique, d’autant plus préoccupant que la tendance semble structurelle.
Nous insisterons plutôt sur le mot « structurelle ». Nous avons cumulé les errements et erreurs stratégiques dans une politique qui est de moins en moins agricole (et alimentaire) et devient de plus en plus « socio- et écolopopuliste ».
Le rapport pointe dans l'ordre : des charges plus élevées ; une tendance à la sur-réglementation ; des fragilités structurelles ; des choix de spécialisation, portés vers l’alimentation haut de gamme, dont les possibilités de pénétration sur les marchés internationaux sont limitées.
En regard, le rapport stigmatise « un recours massif à des produits agricoles importés, dont une partie significative ne respecte pas les normes sanitaires requises en France ».
Ces références constantes aux normes – dont beaucoup ne sont du reste pas sanitaires mais démagogiques – deviennent lassantes.
C'est une diversion, une invitation implicite à un impossible verrouillage du marché français. Impossible du fait des règles des marchés européens et mondiaux, et des réalités sociales françaises : les « sans-dents », les « gilets jaunes » et plus généralement une grande partie de la population française sont une clientèle pour les produits à bas coûts... et les géants de la distribution se font une âpre concurrence sur les prix (les montées en gammes et la promotion du « bio », du « local », de l'« équitable », etc. ne doit pas faire illusion : ce sont des marchés minoritaires, voire symboliques).
Tout aussi lassantes sont les références aux traités de libre-échange, ici avec « des pays fortement exportateurs de viandes bovines à des prix compétitifs (traité CETA ou traité Mercosur) ».
Que les milieux agricoles concernés y soient violemment opposés est normal et de bonne guerre, mais il faut bien admettre que si on veut un traité globalement gagnant-gagnant, il doit y avoir des perdants de chaque côté... à ces perdants de s'organiser pour retourner la situation.
La réalité incontournable est que nous importons ce que nous ne produisons plus, soit que les filières aient fait le choix du haut de gamme (et du politiquement correct), soit que nos filières aient été évincées du marché par les « spécificités » françaises. Un exemple :
« Les importations représentent 34 % de la consommation intérieure de volailles en 2017 alors qu’elle ne comptait que pour 13 % en 2000.
On constate une explosion des importations en provenance de Pologne, de Belgique et des Pays-Bas. »
Pourquoi les importations en provenance de Belgique et des Pays-Bas augmentent-elles ? N'est-ce pas, au moins en partie, parce que les outils de production ont été adaptés et modernisés ?
Certes oui ! Mais le titre de cette partie est « Une concurrence déloyale posant de vrais doutes sur la qualité sanitaire des produits importés ». On retombe dans la diversion et la gesticulation. Un produit peut ne pas répondre aux normes françaises tout en ne posant pas de problème de « qualité sanitaire ».
Du reste, les exemples sont bien mal choisis :
« Pour certaines denrées, ce taux [de non-conformité] est d’ailleurs largement supérieur à la moyenne principalement en raison d’un risque "pesticides". C’est le cas pour du thé de Chine (13 %), des piments de République dominicaine (16 %) ou des pistaches des États-Unis (20 %). »
Mais la suite est également intéressante :
« La fraude semble d’ailleurs plus importante pour les denrées issues de l’agriculture biologique : la DGCCRF a constaté que près de 17 % des contrôles physiques sur les produits issus de l’agriculture biologique se sont révélés non-conformes en 2017. »
Mettons toutefois un bémol : il faut connaître la nature de la non-conformité.
C'est le titre de la quatrième partie. Les rapporteurs notent fort justement :
« Prétendre vouloir sauver l’agriculture française uniquement par la montée en gamme est une illusion. Cela ne règlera en rien le problème des importations tout en menaçant certaines positions exportatrices.
Cela exclut de facto les ménages les moins aisés qui n’auront que le choix de s’approvisionner en produits importés, moins onéreux mais de moins bonne qualité.
[…]
L’enjeu est plutôt de conserver la diversité de l’agriculture française capable de couvrir toutes les gammes. »
En pratique, l'enjeu est plutôt d'organiser – et, comme nous vivons dans une économie chaperonnée – d'orienter la diversité pour un résultat optimal sur le plan national et international. Promouvoir le « bio » et d'autres filières sans discernement – y compris par la création d'un marché captif dans la restauration collective sous contrôle public – est-ce la bonne approche ? Nous pensons que non.
Il faut aussi « Conquérir des marchés là où la demande va exploser »...
Le 5 mars 2019, la Cour des Comptes a adressé un « référé » au Premier Ministre (rendu public le 20 mai 2019) sur les « soutiens publics nationaux aux exportations agricoles et agroalimentaires ».
L'analyse de cette lettre de cinq pages est sans concession ; c'est la gabegie ! Par exemple :
« Entre l’automne 2012 et le printemps 2018, neuf "plans stratégiques" gouvernementaux visant à améliorer la situation du commerce extérieur, notamment agricole et agroalimentaire, ont été présentés, soit près de deux "plans stratégiques" par an. Dépourvus d’objectifs chiffrés et d’engagements sur les moyens mis en œuvre, ces "plans" relevaient plutôt de déclarations de principes. Alors que leur préparation a mobilisé des moyens importants, tant dans les administrations de l’État que dans les organismes partenaires, le suivi de leur mise en œuvre a fait l’objet de peu d’attention et aucun bilan n’a été établi. Force est de constater que cette succession de « plans stratégiques » n’a pas permis d’améliorer la situation du commerce extérieur agroalimentaire de la France. En outre, la multiplication de documents élaborés sous l’égide de l’État, dans un domaine qui relève d’abord de la stratégie des entreprises, paraît anachronique dans une économie ouverte et mondialisée. »
Les quatre recommandations sont toutefois bien timides. Sur le plan opérationnel, il n'y a guère que :
« organiser la concertation en vue de définir et promouvoir une "marque France" ayant vocation à fédérer tous les acteurs, privés ou publics à l’international ».
On peut considérer que la réponse du Premier Ministre n'est pas à la hauteur des enjeux. Terre-Net y consacre un paragraphe d'un article qui s'étend longuement sur le référé :
« Dans sa réponse, Matignon met en avant la création d'une "commission internationale agricole et agroalimentaire, animée par FranceAgriMer", chargée "d'améliorer durablement la coordination et le dialogue interministériel en matière de soutien à l'export". Matignon souligne enfin la mise en place dans la plupart des régions de "guichets uniques de l'export", basés sur la coopération, entre l'agence Business France, les chambres de commerce, la BPI et les agences de développement régional. »
Ouf ! Plutôt que de rationaliser, élaguer le bois mort, une commission de plus...
« Renforcer notre compétitivité pour consolider le revenu des agriculteurs » est évidemment un mot d'ordre qui concerne tant le marché national que l'exportation. Mais le rapport est axé sur le deuxième volet. Il n'empêche :
« Pour rappel, les agriculteurs tirent environ 25 % de leur revenu des exportations. Prétendre régler le problème des revenus agricoles en ne traitant que la partie « GMS » est une illusion. Il convient de se préoccuper des autres sources de revenus que sont les subventions et aides et les revenus tirés de l’exportation.
En gardant à l’esprit ces éléments, la prise en compte des impératifs de compétitivité est une nécessité pour le législateur comme pour le Gouvernement dans leur définition des politiques publiques agricoles. »
Le paragraphe suivant n'a pas été mis en gras :
« Avant l’édiction de toute nouvelle norme, il convient de se souvenir que ce qu’elle fera perdre à un agriculteur français compte tenu de la hausse des charges qu’il subira profitera à un autre agriculteur, étranger cette fois. »
On dit « diméthoate » pour les cerises... « néonicotinoïdes » pour les betteraves sucrières (après leur retrait au niveau européen, beaucoup de pays européens ont accordé des dérogations...), « glyphosate » pour l'ensemble de l'agriculture française... On dit bien d'autres choses, comme les entraves mises au développement de l'irrigation et des retenues d'eau.
Nous n'entrerons pas dans les considérations relatives à la politique agricole commune. Les rapporteurs notent :
« Plus généralement, il est nécessaire d’appeler à une réelle prise en compte de l’intérêt stratégique d’une politique agricole véritablement commune et forte au niveau européen.
La sécurité sanitaire des aliments comme la souveraineté alimentaire dans un monde de la rareté sont des préoccupations majeures pour nos citoyens. Et pourtant, le budget de la seule politique traitant de ces sujets, celui de la PAC, diminue.
Tous les autres grands pays agricoles prennent le chemin inverse, en augmentant progressivement leur budget agricole par habitant. Seule l’Union européenne fait exception. »
La sécurité sanitaire... une obsession bien française, alors que nous bénéficions d'une des alimentations les plus sûres du monde. Mais aussi une sécurité sanitaire dont notre ami Albert Amgar ne cesse de dénoncer sur son blog la réduction des moyens de contrôle.
La souveraineté alimentaire, quant à elle, devrait être une préoccupation constante dans un monde qui s'achemine – en l'espace d'une génération, ou d'un programme d'amélioration des plantes un peu compliqué – vers une population de 9 ou 10 milliards d'habitants, sauf accident plus aisés et plus exigeants quant à leur alimentation.
Est-ce bien compris en France par le grand public et surtout par les gouvernants ? On peut en douter quand, sur un plan général, la politique française néglige le volet agricole pour cajoler un électorat plutôt bobo et urbain, quand un président de la République fait un caca nerveux sur le glyphosate, quand un ministre de l'agriculture et de l'alimentation fantasme sur la biodynamie et l'agriculture telle que la pratiquaient nos grands-parents.
Quant aux exportations – qui jouent aussi un rôle géostratégique – M. Quentin Mathieu nous a proposé un fil Twitter particulièrement instructif dont nous tirerons ici les premiers éléments.
« ...l’agroalimentaire est l’un des seuls postes excédentaires dans notre balance commerciale ». Le gouvernement peut facilement lui infliger la même évolution que les produits manufacturés…