« Ils ont décidé de tuer le bio », un article hallucinant dans Marianne
Ces derniers temps, le/la bio a eu une large couverture médiatique, en partie en raison de la controverse interne à la filière sur la question de la conformité du chauffage des serres au catéchisme – voir « Agriculture biologique : ça chauffe ! ».
La controverse a été largement externalisée par les biotollahs qui entendent faire interdire, en France, le chauffage des serres au nom du respect de la saisonnalité des productions et de la frugalité énergétique – le « respect des cycles naturels » et une « utilisation responsable de l’énergie » comme c'est joliment dit dans la réglementation européenne.
Avec, semble-t-il, de petits arrangements – vous savez, les principes... Une pétition demande au Ministre de l'Agriculture de la Drôme France de soutenir une règle « limitant le recours au chauffage des serres à la production de plants et au maintien hors gel, garantissant ainsi que la production reste de saison. »
Dans le Marianne du 14 juin 2019, M. Périco Légasse s'est lancé dans la bagarre avec « Le scandale des tomates sous serre – ils ont décidé de tuer le bio » (le début ici).
C'est une diatribe hallucinante.
« Les eurocrates en sont persuadés, on peut produire des tomates bio sans qu'elles voient jamais le soleil. Ils viennent d'apposer le sigle AB à ces fruits produits sous serre, malgré un bilan carbone problématique. »
Ce chapô est tout simplement faux : les « eurocrates » n'y sont pour rien et n'ont pris aucune initiative récemment ! Si « eurocrates » désigne la Commission Européenne et ses fonctionnaires, c'est aussi raté. Le dossier des règles de l'agriculture biologique a été clos avec le règlement (UE) 2018/848 du Parlement Européen et du Conseil du 30 mai 2018 relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, et abrogeant le règlement (CE) no 834/2007 du Conseil, âprement négocié entre le Parlement et le Conseil et, à l'intérieur de chaque instance, entre porteurs d'intérêts contradictoires.
Du reste, il serait fort improbable que l'on produise un jour des tomates sans soleil, comme on le fait clandestinement pour le cannabis.
Le premier paragraphe, et nous arrêterons là (il a été scindé dans la version électronique) :
« C'était écrit. A partir du moment où le consommateur prenait conscience des enjeux alimentaires, où l'agriculture durable devenait une priorité pour sauver la planète, se ravisant soudain, ceux-là mêmes qui dénigraient le bio, le tournaient en dérision, lui reprochaient d'être une niche à bobos, se sont fait un devoir de le récupérer. Quand la lubie de quelques illuminés devient une part de marché, la machine à engranger les profits se met en marche. Pris d'un accès de lucidité financière, ils s'expriment la main sur le cœur, avec la même ferveur que des résistants de la dernière heure, pour dire tout le bien qu'ils pensent du bio, alors que les crachats dont ils ont maculé cette idée vingt ans durant ne sont pas secs. Céréaliers, semenciers, petits et grands distributeurs, syndicalistes et banquiers agricoles (ce sont les mêmes), politiciens férus de mondialisation, technocrates euro pervertis, tous fossoyeurs de l'agriculture française et tisseurs de corde pour paysans ruinés, les voici aujourd'hui nous expliquant l'urgence à changer les codes de production. Dernier exemple en date, parmi d'autres, la décision, validée par Bruxelles, d'accorder le label bio à des tomates cultivées sous serre. Sous prétexte de lutter contre la concurrence des tomates toxiques que l'Espagne du sud et le Maroc déversent chaque année par millions de tonnes dans les rayons de nos grandes surfaces, la solution serait donc de galvauder -un peu -le bio, pour le rendre plus compétitif, c'est-à-dire accessible aux masses n'ayant pas les moyens de se le payer. Ainsi, ces visionnaires sociaux s'empressent-ils de taxer d'intégrisme les tenants d'une éthique stricte quant à la signification des valeurs de l'agriculture biologique et de la signification précise du concept. Quelle aubaine ! Alors qu'ils ont fait fortune en important des denrées illicites provenant de pays voyous, type minerai de viande roumaine, avec les ravages économiques et sanitaires que l'on sait, les voici se prévalant des maux dont ils sont responsables pour venir au secours du consommateur. Un consommateur gavé de malbouffe, grâce à une logique mercantile enrichissant au passage leurs complices du lobby pharmaceutique, si heureux des milliards de dollars que leur rapportent le diabète, l'obésité et certains cancers, dont ils prétendent défendre les intérêts pour mieux se sucrer encore. Car la perversité de la tomate bio sous serre est idéale pour faire d'une pierre deux coups: on propose une formule permettant aux pauvres d'accéder au bio, et en plus on fait passer ceux qui dénoncent le stratagème pour des salauds. Margaret Thatcher adepte de la lutte des classes ... Que le fioul nécessaire au chauffage des serres ait un bilan carbone quatre fois supérieur à un aller-retour en camion entre l'Andalousie et la Lorraine n'entre pas en ligne de compte. Le bio est déjà assez fastidieux comme ça, si en plus il faut faire de l'écologie, où va-t-on ? Nous n'allons pas priver les compagnies pétrolières de la joie de participer à la démocratisation du bio et à la multiplication des tomates en toute saison puisque la serre chauffée, se substituant au soleil, permet d'en produire en permanence. Non aux méchants écolos qui veulent nous empêcher de servir une salade de tomates au réveillon! Le cynisme néolibéral prouve sa capacité à s'adapter à tout. »
Et le cynisme médiatique ?