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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Dénigrement de l'agriculture conventionnelle en Afrique : à quand le « crime contre l'humanité » ?

19 Juin 2019 , Rédigé par Seppi Publié dans #Activisme, #Agriculture biologique, #Agro-écologie

Dénigrement de l'agriculture conventionnelle en Afrique : à quand le « crime contre l'humanité » ?

 

À propos d'une conférence au titre caméléon

 

 

Des chercheurs mondialement reconnus ? Vraiment ? (Source -- ce lien mène vers un autre compte avec un chapô modifié et le nouveau titre de la conférence)

 

 

Le « bio » au Kenya

 

Saviez-vous que dans un pays comme le Kenya, il y a un mouvement structuré de promotion de l'agriculture « biologique » ? Un pays où une grande partie de l'agriculture est « biologique » par défaut – par manque d'accès aux outils modernes (engrais, produits vétérinaires et phytosanitaires, notamment)... Un pays qui fait face à de graves problèmes au niveau de la production agricole et de sécurité alimentaire, connaît régulièrement des épisodes de disette et doit faire appel à l'aide internationale...

 

Et quelle « promotion » !

 

L'Organic Consumers Alliance (OCA) ne recule devant aucune arme de propagande – car tel est bien le mot qu'il faut employer – pour propager les peurs alimentaires, dénigrer les produits conventionnels – évidemment aussi les pesticides et les OGM – et inciter à la consommation de produits « biologiques ».

 

Le Kenya Organic Agriculture Network (KOAN) semble plus raisonnable. Structurant la profession, il nous apprend par exemple que le secteur a contribué en 2016 à l'économie à hauteur de 3 milliards de KES ( Kenya shillings – 26 millions d'euros au cours d'aujourd'hui) par les exportations et de 439 millions de KES (3,8 millions d'euros) par la consommation domestique, principalement par le biais des magasins haut de gamme et par les touristes.

 

À titre de comparaison, le secteur de la floriculture a dégagé 823 millions de dollars US en 2017 (732 millions d'euros au cours d'aujourd'hui) et emploie directement plus de 100.000 personnes (et 2 millions indirectement... mais cela paraît beaucoup).

 

Les statistiques du FiBL sont aussi intéressantes. Il y aurait eu près de 45.000 producteurs bio en 2017, contre 37.000 l'année précédente. La série statistique présente des variations énormes : par exemple 30.000 en 2003 (cela doit être une estimation fort optimiste), quelque 18.000 en 2005 et... 1.811 en 2007. Les surfaces en bio sont à la même enseigne : moins de 5.000 hectares de 2009 à 2014... et un saut à 150.000 hectares en 2015 pour atteindre 172.000 hectares en 2017.

 

Au-delà de leurs incongruités, ces statistiques montrent que le bio est un secteur de niche présentant une très forte variabilité en raison, probablement, de son caractère spéculatif et des difficultés agro-écologiques inhérentes à ce mode de production, particulièrement dans une zone climatique qui ne connaît pas d'hivers froids susceptibles de couper le cycle des bioagresseurs.

 

 

Les idéologues n'ont pas de limite !

 

Malgré cela, les thuriféraires de l'agriculture dite biologique – celle qui, par idéologie et appât du gain réalisé sur le dos de consommateurs abusés par le marketing de la peur et de la bien-pensance, refuse les outils modernes de la génétique et de la chimie agricoles – sont prêts à tout : du 18 au 20 juin 2019 se tient à Nairobi (Kenya) le 1st All Africa Congress on Synthetic Pesticides, Environment, Human and Animal Health (premier congrès panafricain sur les pesticides de synthèse, l'environnement et la santé humaine et environnementale).

 

 

 

 

Oups ! La conférence a été rebaptisée en cours de route « 1st International Conference on Agroecology Transforming Agriculture & Food Systems in Africa – Reducing Synthetic Pesticides and Fertilizers by Scaling up Agroecology and Promoting Ecological Organic Trade » (première conférence internationale sur l'agro-écologie transformant les systèmes agricoles et alimentaires en Afrique – réduction des pesticides et engrais de synthèse par le déploiement de l'agro-écologie et la promotion du commerce biologique écologique). La conférence devient donc internationale, le sujet principal passe en sous-titre pour être moins voyant, et les bons mots clés sont ajoutés.

 

 

L'organisateur, en vitrine (quoique... il faut le déduire de l'URL), est le World Food Preservation Center® LLC, LLC désignant une compagnie ou entreprise à responsabilité limitée (limited liability company). Le marionnettiste – et in fine bénéficiaire – est facilement identifiable, notamment parce que le sujet du « congrès » se limite aux pesticides... de synthèse : c'est le biobusiness.

 

L'objectif est clair : dénigrer l'agriculture conventionnelle pour promouvoir l'agriculture biologique – nous ajouterons : dénigrer l'une, faute de pouvoir démontrer par des faits et des chiffres la supériorité alléguée de l'autre. Quiconque a des doutes peut consulter le compte Twitter, maintenant désactivé mais disponible en archive (en partie), qui a servi à promouvoir la conférence, ou encore celui-ci.

 

 

 

 

Le ban et l'arrière-ban de l'alterscience

 

Il suffit de voir le programme succinct et la liste des orateurs annoncés. Voici, dans l'ordre où ils apparaissent dans l'annonce de l'événement ceux du milieu de la recherche et de l'enseignement, en activité ou émérites, qui ont un pedigree incluant l'activisme pro-bio, anti-pesticides, anti-OGM, anti-business, etc :

 

  • M. Hans Rudolf Herren, ci-devant chercheur éminent, devenu un des organisateurs de la mascarade du Tribunal International Monsanto, membre du conseil d'administration de l'IFOAM, la fédération internationale des mouvements de l'agriculture biologique.

 

 

 

 

  • M. Tyrone B. Hayes, « lanceur d'alerte » sur l'atrazine et les perturbateurs endocriniens. Ses travaux ont été vivement contestés. Ils n'ont pas été retenus, notamment, par l'Agence de Protection de l'Environnement des États-Unis d'Amérique (EPA) et par l'Autorité Australienne des Pesticides et des Médicaments Vétérinaires (APVMA). Il est connu plus particulièrement pour ses frasques et ses extravagantes bisbilles et histoires de harcèlement (allégué) par Syngenta.

     

  • M. Gilles-Éric Séralini... qu'on ne présente plus – mais on peut citer sa présentation sur le site du congrès : « Il est connu pour ses recherches controversées qui ont conclu que les aliments génétiquement modifiés et les pesticides à base de glyphosate sont dangereux pour la consommation humaine et l'environnement » ; « recherches controversées », mais auteur néanmoins invité…

 

 

 

 

  • Mme Judy Carman, chercheuse australienne et autre superstar de l'anti-OGMisme. Elle est devenue (in)fameuse en 2013 avec une étude qui prétendait démontrer qu'une alimentation contenant du maïs et du soja GM induisait des effets nocifs dans des porcs (notre démontage ici). Aucune recherche postérieure n'est venue confirmer ses résultats, qui se heurtent à l'expérience maintenant pluridécennale des producteurs. Incidemment, dans son équipe de fortune, il y avait M. Howard R. Vlieger, producteur de porcs bio (rassurez vous : ils n'ont déclaré aucun conflit d'intérets...). Il y avait les photos de rats de Séralini... il y eut les photos d'estomacs de porcs de Carman...

 

  • M. Don M. Huber, tombé du côté obscur de la science et dans le militantisme après une brillante carrière. Il est notamment l'auteur d'une lettre « confidentielle », mais largement diffusée, au Secrétaire états-unien à l'Agriculture alertant sur l'existence (alléguée) d'un super-organisme dévastateur favorisé par le glyphosate. Malgré toutes les invitations pressantes qui lui ont été adressées depuis janvier 2011, il n'a jamais apporté la moindre preuve à l'appui. Il suffit de lire la lettre pour se convaincre du délire. M. Don Huber a aussi contribué à la mascarade du « Tribunal International Monsanto ».

 

Il y a aussi M. André Leu, anciennement président de l'IFOAM, présentement directeur international de Regeneration International, un réseau de « 250 partenaires internationaux » plutôt hétéroclite mais incluant notamment l'IFOAM (et de fameux charlatans), également co-organisateur de la mascarade du « Tribunal International Monsanto » ; et M. Peter Ogera Mokaya, directeur et CEO de l'Organic Consumers Alliance du Kenya.

 

Ce « congrès » semble être une deuxième tentative, après un premier essai manifestement avorté qui devait se dérouler en octobre 2018, au Nigeria, au siège du co-organisateur que devait être l'IITA, l'Institut International d'Agriculture Tropicale.

 

 

Un bashing lourdingue

 

 

 

 

La conférence étant en cours, nous disposons de quelques réactions. Lorsque vous voyez la diapo ci-dessus de Mme Judy Carman, est-on vraiment dans le sujet annoncé, la « réduction des pesticides et engrais de synthèse par le déploiement de l'agro-écologie et la promotion du commerce biologique écologique » (un poème... notez aussi le « de synthèse ») ?

 

 

Mais ce n'est rien à côté de cette diapo de M. Don Huber :

 

 

 

 

 

Nous ne résisterons pas non plus à diffuser cette superbe définition des pesticides...

 

 

 

 

Une FAO négligente, voire irresponsable

 

Les premières moutures de l'annonce du « congrès » de Nairobi faisaient état de la participation de membres d'institutions internationales – la FAO et l'ICIPE (Centre International de Physiologie et d'Écologie des Insectes) – et de quelques universitaires. Alors que l'ICIPE semble s'être retiré, au moins une représentante de la FAO participe activement à la manifestation.

 

La FAO est-elle consciente du rôle qu'elle a été appelée à jouer, en compagnie d'une belle brochette d'activistes (Mme Vandana Shiva avait aussi été sollicitée...) ?

 

 

 

 

Allô ! Berne ? Allô ! Berlin !

 

La même question se pose s'agissant des sponsors. Une version ancienne de l'annonce qui n'est maintenant plus accessible mentionnait la Banque Africaine de Développement et Swissaid.

 

 

 

 

Ils ne semblent pas figurer sur le panneau du fond du podium. Mais on y trouve le logo de l'Agence Suisse pour le développement et la coopération et la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit.

 

 

 

 

Un crime contre l'humanité ?

 

Le 29 juin 2016, ils étaient 107 lauréats à signer une « lettre de soutien de Prix Nobel à l’agriculture de précision (OGM) » avec notamment cet appel :

 

« NOUS APPELONS LES GOUVERNEMENTS DU MONDE ENTIER à rejeter la campagne de Greenpeace contre le Riz Doré en particulier et contre les cultures et les aliments améliorés grâce aux biotechnologies en général et de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour s’opposer aux actions de Greenpeace et accélérer l'accès des agriculteurs à tous les outils de la biologie moderne, en particulier des semences améliorées par les biotechnologies. L’opposition basée sur l'émotion et le dogme, et contredite par les faits, doit être stoppée.

 

Combien de pauvres gens dans le monde doivent mourir avant que nous considérions cela comme un crime contre l'humanité ? »

 

Ils sont 142 Nobel à ce jour, l'immense majorité des lauréats vivants pour la chimie, la médecine et la physique, plus 14 pour l'économie et Mme Elfriede Jelinek (littérature).

 

Faudra-t-il les mobiliser à nouveau pour inviter les gouvernements du monde – et particulièrement de l'Afrique, terrain de manœuvre pour un objectif plus vaste – à rejeter les campagnes de divers acteurs, dont le biobusiness, contre une agriculture faisant appel à tous les outils disponibles (qu'ils soient issus des connaissances et savoirs « traditionnels » ou des recherches et technologies modernes), plus spécifiquement, en l'occurrence, contre les engrais et les pesticides de synthèse ?

 

Ce que font ces gens dans cette conférence, c'est faire obstacle à une agriculture moderne et performante ; priver les agriculteurs de solutions préventives ou curatives efficaces pour faire face aux attaques des bioagresseurs sur les cultures, et les exposer aux risques de pertes de récoltes importantes, voire totales ; perpétuer l'incertitude quant à l'approvisionnement alimentaire des populations, ainsi que la certitude de disettes récurrentes ; œuvrer pour le maintien des agriculteurs africains et des populations africaines dans la pauvreté.

 

« Combien de pauvres gens […] doivent mourir [en Afrique] avant que nous considérions cela comme un crime contre l'humanité ? »

 

 

 

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J
Sinon, dans le même genre, on la la fondation "Homéopathie sans Frontière", qui envoie des volontaires lors de catastrophes et forme des locaux dans l'homéopathie, ou bien les antivax.
Répondre
S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre commentaire.<br /> <br /> Une perle :<br /> <br /> https://hsf-france.com/l-homeopathie-humanitaire-pourquoi/article/pourquoi-l-homeopathie-en-medecine-humanitaire#content<br /> <br /> <br /> Heureusement qu'ils n'ont que 60.000 euros de budget...
A
"Le ban et l'arrière-ban de l'alterscience"<br /> <br /> Peut on vraiment parler d'alterscience (autre science, science alternative) ???<br /> Il s'agit là de charlatanisme et de boniments de foire plutôt.
Répondre
S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre commentaire.<br /> <br /> Oui, on peut aussi dire ça.