Les Verts s'interrogent sur leur dogme anti-OGM... oups... en Allemagne
Le Tagesspiegel du 14 mai 2019 nous a proposé un article – long et détaillé – sur les prémisses d'un changement de philosophie des Verts allemands, en particulier des jeunes (pour les anciens, c'est plus difficile). « Die Grünen hinterfragen ihr Anti-Gentechnik-Dogma » (les Verts s'interrogent sur leur dogme anti-OGM) est précédé par une citation : « Es geht um Wahrheit und Fakten » (il y va de la vérité et des faits).
En effet ! Et c'est, a contrario, une formidable reconnaissance (par le seul journal ?) des erreurs dans lesquelles ce parti s'est vautré pendant des années et avec lesquelles il a pollué le débat public et paralysé le développement économique et social en Allemagne, en Europe et même en Afrique, où l'idéologie du « nein ! » a été exportée, en partie avec le soutien irresponsable du Parlement Européen (voir par exemple ici et ici).
Il n'y a pas encore de quoi sauter de joie, les dinosaures veillent... Ils l'ont emporté lors de l'établissement de leur programme électoral pour les élections européennes :
« Nous, les VERTS, nous rejetons l'utilisation du génie génétique dans l'agriculture depuis de nombreuses années [...].
Il est donc essentiel que le principe de précaution soit appliqué dans toute l'Europe lors de la procédure d'autorisation, conformément à la décision de la Cour de Justice de l'Union Européenne. Le nouveau génie génétique est également soumis à une réglementation stricte et une obligation d'étiquetage. »
Tous les poncifs sont au rendez-vous : les monopoles des grandes entreprises agrochimiques, l'érosion de la biodiversité et de la diversité agricole, l'utilisation massive d'herbicides totaux, les super-adventices (mauvaises herbes), etc. Tout comme le grand écart rhétorique : les Verts s'emploieront à défendre la liberté de choix des consommateurs*trices (l'écriture inclusive est devenue courante en Allemagne)... à l'égard de produits auxquels ils s'opposent par principe et auxquels ils entendent bien barrer l'accès au marché.
La résistance s'est fait entendre... même peu avant les élections européennes. Fin mars 2019, les Jeunes Verts de Saxe-Anhalt ont adopté un texte qu'on peut qualifier de révolutionnaire :
« Aujourd'hui, il est d'une importance fondamentale de repenser cette position historique, en particulier pour faire face aux défis mondiaux à venir, et d’intégrer les préoccupations des Jeunes Verts dans le débat sur la base des connaissances récemment acquises [...]
Les JEUNES VERTS de Saxe-Anhalt ne rejettent pas le génie génétique vert par principe et reconnaissent ses applications potentielles ainsi que ses avantages éventuels. Nous voulons relancer le débat sur le génie génétique vert sans dogmes et argumenter politiquement sur des bases scientifiques. Il est important à cet égard de comprendre le génie génétique comme un moyen de parvenir à divers objectifs. »
La prise de position est pour le moins décoiffante. Ainsi, il n'est pas donné tous les jours de lire ceci chez des Verts :
« […] Cependant, il n'est pas vrai que les OGM entraînent inévitablement une utilisation accrue d’herbicides. Au contraire, une étude de grande ampleur constate une réduction significative de l’utilisation de substances nocives pour l’environnement grâce à des semences génétiquement modifiées. Cela pourrait être réalisé principalement par la résistance intégrée à des parasites. »
Référence : Klümper, W.; Qaim, M. 2014 : A Meta-Analysis of the Impacts of Genetically Modified Crops (une méta-analyse de l'impact des plantes génétiquement modifiées).
Les Jeunes Verts de Saxe-Anhalt énoncent ensuite onze revendications. Si tout n'est pas à notre goût (s'agissant en particulier de la propriété intellectuelle, aux objectifs et effets mal compris), c'est globalement remarquable :
« • Le développement et l'utilisation du génie génétique vert doivent être axés sur le bien commun.
• En principe, nous rejetons l’agitation de peurs irrationnelles pour atteindre un objectif politique, et cela s’applique également au génie génétique.
• Les réserves des gens envers le génie génétique ne doivent pas être instrumentalisées pour protéger le marché européen contre les importations.
• Tous les êtres vivants doivent être exclus de la brevetabilité, peu importe comment ils ont été produits.
• Le développement de variétés GM dans les universités et instituts publics doit être encouragé. Ces variétés doivent être placées sous licences ouvertes. À cet égard, les licences de logiciels open source ou de semences conventionnelles open source peuvent servir de modèles.
• Pour les variétés GM et les variétés obtenues de manière conventionnelle, la même procédure d'autorisation indépendante, qui examine les conséquences de la consommation humaine sur la santé et les effets potentiels sur l'environnement et la biodiversité, doit être appliquée. En particulier, les obstacles à l’autorisation des variétés GM ne doivent pas être tels qu'ils ne puissent être surmontés que par les grandes entreprises. Le principe de précaution doit être respecté.
• Le génie génétique doit rendre la production plus efficace et plus durable, mais il doit être plus important d'éviter la nécessité d'une production toujours plus élevée (moins de consommation de viande, moins de gaspillage, une distribution plus équitable, etc.).
• D'une manière générale, il est important qu'il y ait dans la société un débat fondé sur la science à propos des fins et de la mesure dans laquelle le génie génétique, en particulier CRISPR, devrait être utilisé, un débat qui serait initié par la politique et renvoyé à la politique. Les questions religieuses sur le génie génétique, à savoir si les humains devraient être autorisés à intervenir dans la "création de la nature" par le biais de la manipulation génétique, sont trompeuses. Les Hommes sont toujours intervenus dans la nature et dans le génome par l'amélioration des plantes et des animaux, et sans amélioration l'agriculture, et par conséquent la civilisation, seraient inimaginables. La véritable question éthique qui se pose à nous est de savoir comment réussir à fournir à tous les peuples du monde une alimentation suffisante et écologiquement durable. Le génie génétique vert est un outil que nous pouvons utiliser à cette fin.
• Nous sommes favorables à la poursuite des recherches sur le génie génétique. Cela inclut à la fois la recherche fondamentale et la recherche orientée vers les applications.
• Le génie génétique est un moyen d'économiser des pesticides, d'augmenter les rendements et de prévenir la malnutrition, en particulier dans les pays du Sud, qui sont les plus touchés par le changement climatique. En revanche, l’Allemagne et les autres pays industrialisés utilisent trop de terres pour leurs productions alimentaires. Les rendements plus élevés des OGM devraient être utilisés pour réduire l'utilisation des terres et créer plus de zones de compensation écologique.
• Les variétés GM à haute performance devraient être discutées dans le cadre de la coopération pour le développement. Les variétés open source développées en Europe pourraient rendre les agriculteurs des pays du Sud moins dépendants des entreprises. »
La justification finale est tout aussi percutante :
« Si nous voulons relever les défis mondiaux du XXIe siècle, nous devons envisager toutes les possibilités techniques. Il serait fatal d'être du côté des scientifiques uniquement quand il s'agit des émissions de CO2. À l’époque des infox et des négateurs du changement climatique, il est plus important que jamais de respecter les conclusions scientifiques (des sciences de la nature) et d’élaborer des politiques fondées sur celles-ci. »
Il est enfin noté que ce texte repose en partie sur une résolution des Jeunes Verts de la Basse-Saxe.
Le Tagesspiegel cite :
« L'étoile verte Robert Habeck a déjà suggéré l'année dernière de "se demander si certaines nouvelles technologies ne pourraient pas contribuer à garantir l'approvisionnement alimentaire là où le changement climatique provoque de moins en moins de pluies ou plus de sols salinisés" »
Cette incitation à un aggiornamento se trouve dans un « document d'impulsion » du directoire du parti, du 6 avril 2018, produit en vue de la rédaction du programme du parti à l'échéance 2020 en remplacement de l'actuel, vieux de... 17 ans.
Mme Theresia Bauer, Ministre de la Science, de la Recherche et des Arts du Bade-Wurtemberg, a pris position sur le génie génétique le 24 juin 2018. En titre : « Les Verts ne doivent plus ignorer les possibilités offertes par le génie génétique » :
« On a reproché aux Verts et aux militants écologistes que leurs critiques sur le nouveau génie génétique ne sont pas factuelles. Ce n'est pas tout à fait faux, à mon sens. Dans le débat, les faits ne sont pas reconnus sur un pied d'égalité. Les Verts devraient reconnaître l’état de la science. Et donner une chance au génie génétique. »
La schizophrénie est mise en évidence sans détours :
« On dérape lorsque, pour des raisons dogmatiques, on perd de vue même les objectifs de la politique environnementale. Urs Niggli, directeur de l'Institut de Recherche de l'Agriculture Biologique en Suisse, a récemment déclaré : "Il serait regrettable que l'agriculteur conventionnel ait une variété de pomme de terre qui n'a pas besoin de pesticides – et que l'agriculteur biologique dispose d'une variété de pomme de terre qu'il doit traiter avec du cuivre". »
En face, il y a notamment Mme Renate Künast, ancienne Ministre de l'Alimentation et de l'Agriculture, qui défendrait une position « très rigoureuse ». Selon ses propres déclarations à la Tageszeitung du 28 avril 2018, elle « se méfie » des « promesses d'un nouveau génie génétique ». Et elle avait déclaré :
« Le fait est que le nouveau génie génétique reste dans le système de l'agro-industrie et parie sur les monocultures. […] Nous ne devons pas pas laisser berner par une nouvelle technique de sélection qui ne change pas les structures du pouvoir, la spoliation et l'exploitation. »
Il y a aussi deux poids lourds Harald Ebner, le porte-parole des Verts pour le génie génétique, et Martin Häusling, eurodéputé (réélu). Démagogie pour l'un :
« Une nouvelle enquête de juillet 2018 confirme une nouvelle fois le grand rejet de la technologie génétique par les Allemands : 79 % sont en faveur d'une interdiction dans le domaine de l'agriculture. Encore plus, à savoir 93 %, veulent des évaluations des risques pour toutes les plantes "modifiées génétiquement de manière dirigée" – y compris donc le nouveau génie génétique. Qui d'autre, sinon nous, les VERTS, devrait prendre cette préoccupation au sérieux ? »
Idolâtrie du principe de précaution – et mauvaise foi – pour l'autre :
« Le droit européen du génie génétique est un exemple très particulier de l’application du principe de précaution dans le monde entier – en particulier ensuite du succès de la pression des Verts. Le présenter comme un outil d'opposition à CRISPR/CAS aux mains des opposants à celui-ci ne revêt pas seulement l'aspect d'une argumentation polémique déployée par ceux qui lient des intérêts financiers très clairs et immédiats à la mise en œuvre de CRISPR/CAS et minimise par conséquent les risques, mais compromet également, d'une manière générale, le précieux acquis du principe de précaution. Quiconque choisit d'appliquer le principe de précaution n'empêche pas toujours quelque chose. »
C'est carré !
« Nous défendons une agriculture de qualité, respectueuse des territoires et des animaux, des produits locaux, saisonniers, de qualité et accessibles, une Union européenne qui s’appuie sur ses régions pour viser une agriculture 100% bio et locale avec une première échéance à 30% en 2025, l’interdiction des pesticides et de tous les OGM. »
Et encore, du socle programmatique des écologistes pour l’élection européenne 2019 :
« Nous proposons une nouvelle politique dès 2019 en transformant la PAC (Politique agricole commune) en Politique alimentaire et agricole commune (PAAC) :
-
Cette nouvelle politique devra être élaborée avec la participation des régions. Elle accompagnera la transition vers une agriculture 100% bio et locale, avec une première échéance à 30% en 2025 ; et l’interdiction des pesticides et nouveaux OGM.
-
[...] »
Et :
« Afin d'impulser cette nouvelle économie, Nous proposons :
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[...]
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D’investir plus et mieux dans la recherche et l’innovation au service de l'intérêt général et sur l’exposition aux polluants, et de rediriger les fonds investis vers des produits sobres en ressources naturelles et respectueux de l'humain, plutôt que vers la transfiguration du vivant (notamment à travers le transhumanisme, les nouveaux OGMs ou les nanotechnologies), avec pour priorité de faire émerger des brevets publics et open source ;
-
[...] »
Comme nous l'avons vu ici, la patate chaude de la révision du droit européen du génie génétique agricole a été refilé par la Commission actuelle à la prochaine, qui prendra normalement ses fonctions en fin d'année.
La rédaction d'un projet de nouvelle réglementation prendra vraisemblablement beaucoup de temps (hélas... qui est prêt, actuellement, à lancer un projet de recherche utilisant les nouvelles techniques d'amélioration des plantes?). D'ici là, la position des Verts allemands – majoritaires au sein du groupe du Parlement Européen – aura peut-être été redéfinie.
Bonne chance, les Jeunes Verts – et les moins jeunes refusant le statut de fossiles vivants.