Les scientifiques et les agriculteurs du Ghana rejettent l’affirmation selon laquelle les OGM ne sont pas nécessaires
Joseph Opoku Gakpo*
La communauté scientifique et les agriculteurs du Ghana ont fermement rejeté l’affirmation récente du Ministre de l’Alimentation et de l’Agriculture selon laquelle le pays n’avait pas besoin d’aliments génétiquement modifiés pour assurer sa sécurité alimentaire.
Avec le changement climatique, les parasites et les maladies ayant déjà un impact négatif sur l'agriculture ghanéenne, les agriculteurs méritent de pouvoir choisir le type de technologie qu'ils appliqueront à la production alimentaire future.
Le Daily Graphic, un journal appartenant à l'État, a rapporté la semaine dernière [le 14 mars 2019] que le ministre, M. Akoto Owusu Afriyie, avait décrit les OGM comme un sujet controversé suscitant une opposition farouche de certains Ghanéens. Il aurait déclaré à une réunion de responsables du Programme Alimentaire Mondial (PAM) pour 19 pays africains à Accra qu'« en fait, nous n'en avons pas besoin », car le pays avait déjà mis au point des semences améliorées qui seraient suffisantes pour stimuler la production alimentaire.
Mais Richard Ampadu-Ameyaw, coordonnateur du Forum Ouvert sur la Biotechnologie Agricole (OFAB) au Ghana, s’est vivement opposé à l’évaluation du ministre.
« C'est une déclaration malheureuse », a déclaré Ampadu à l'Alliance pour la Science. « Surtout à une époque où tout le monde évolue en termes de technologie. Mais je ne lui en veut pas tant, en ce sens qu'il ne comprend peut-être pas très bien les problèmes. En particulier, la science derrière la technologie. Parce que si vous compreniez la technologie, vous ne parleriez pas comme ça. »
Des scientifiques ghanéens ont terminé les essais de la première culture GM du pays (le niébé Bt), qui offre une résistance inhérente aux attaques d'un ravageur destructeur. Ils devraient bientôt demander une autorisation pour une libération environnementale et commerciale.
Davies Korboe, qui préside l’Association Nationale des Agriculteurs et des Pêcheurs et a été nommé Meilleur Agriculteur National du Ghana en 2009, s’est également dit choqué par les propos du ministre.
« En ce qui concerne le réchauffement climatique, les ravageurs et les maladies affectant nos exploitations, le meilleur moyen d'avancer est pour moi les OGM », a-t-il déclaré. « Parce que nous pourrions alors avoir des semences résistantes à la sécheresse, ainsi que des variétés résistantes à des parasites et maladies et à rendement élevé. Avec les OGM, nous préservons l'environnement. L'application de produits chimiques sera réduite. À l'heure actuelle, nous polluons trop l'environnement avec des herbicides, des insecticides et d'autres produits. Les OGM, nous en avons besoin. »
Korboe a déclaré que le Ghana ne pouvait rivaliser avec les autres acteurs de la communauté internationale sans un effort conscient pour promouvoir les technologies de pointe.
« Toute économie en cours de maturation devrait être associée à une perspective de temps », a-t-il expliqué. « Nous devrions pouvoir voir l'avenir. Nous devrions être en mesure de bénéficier des technologies qui émergent dans le monde entier. C’est pourquoi les OGM sont importants parce que c’est vers eux que le monde se dirige maintenant ».
Il appelle à un dialogue national au cours duquel différentes parties prenantes de l'espace agricole peuvent prendre fermement position sur les OGM. « Nous devrions avoir un dialogue national pour voir si nous en avons vraiment besoin ou non et pour mettre fin à la situation. Nous devrions avoir un dialogue national approprié plutôt que de permettre à quelques personnes de dire non. »
Le Ghana avait déjà signalé sa réceptivité à la technologie en 2011, lorsqu'il avait adopté la loi nationale sur la biosécurité, qui autorisait la production et la commercialisation de plantes génétiquement modifiées. « Si vous regardez les politiques agricoles que nous avons dans le pays, cela indique clairement que nous avons besoin de technologies de pointe », a déclaré Ampadu. « Et l’une de ces technologies est les OGM. Parce qu'il y a des maladies dans les champs et qu'il y aura plus de maladies sur les cultures vivrières que nous ne pourrons pas vaincre avec les technologies actuelles. »
Ampadu est convaincu que l’application de la technologie des OGM à la production alimentaire s’inscrit directement dans les plans de développement du pays. « Nous avons une loi sur la biosécurité qui parle de biosécurité et de biotechnologie, et le ministre dit que nous n’en avons pas besoin ? Alors pourquoi avons-nous adopté cette loi ? Nous avons l'Institut de Recherche en Biotechnologie et en Agriculture Nucléaire (BNARI) [ma note : l'institut utilise les radiations pour la recherche et le développement, par exemple pour induire des mutations dans les plantes] ; cela signifie que la vision était là. Alors pourquoi l'avons-nous mis en place ? Nous avons des gens qui vont à l'école, dans les universités, qui étudient la biotechnologie, qu'est-ce qu'on va en faire ? Le gouvernement devrait-il dépenser de l'argent pour eux et ensuite les jeter ? Il y a donc beaucoup de choses autour de nous qui suggèrent que nous avons besoin de cette technologie », a-t-il déclaré à l'Alliance.
Ampadu a déclaré que l'application de technologies améliorées à la production alimentaire n'était pas une nouveauté. Il ne comprend donc pas pourquoi le ministre craint cette solution.
« Le changement climatique réduit la production d'une grande partie de nos cultures vivrières », a-t-il déclaré. « Par conséquent, il est nécessaire de mettre en place une technologie qui permettra de concevoir des cultures vivrières adaptées à notre époque. La plupart des choses que nous mangeons aujourd'hui n'étaient pas comme ça par le passé. Comment avons-nous obtenu les aliments que nous mangeons maintenant ? Tout cela est dû à certains de ces changements et aux nouvelles technologies. Et si le ministre dit que nous n'en avons pas besoin, alors il y a un problème. »
Dans ses remarques au PAM, le Ministre de l’Agriculture a déclaré que la communauté scientifique ghanéenne avait déjà étudié et enregistré plus de 58 variétés de céréales pouvant produire dix fois plus que les céréales ordinaires. Ampadu craint que ce commentaire ne nuise aux projets du Ghana de commercialiser des OGM.
« Il est possible que cette déclaration puisse influencer la direction de la commercialisation », a déclaré Ampadu. « S'il [le ministre] siège dans un gouvernement où je ne siège pas et où aucun scientifique ne siège et qu'il présente son affirmation que nous n'en avons pas besoin, cela pourrait affecter la politique. Mais ils ne sauront pas ce que d’autres, comme les agriculteurs, disent. »
Le gouvernement du Nouveau Parti Patriotique, qui a pris le pouvoir en 2017, a fait une promotion agressive de l'agriculture avec la mise en œuvre de son programme phare « Planter pour l'Alimentation et l'Emploi » afin de révolutionner le secteur. L'initiative repose sur quatre piliers principaux : mettre les semences améliorées à la disposition des agriculteurs, les aider avec des services de vulgarisation et des engrais subventionnés et améliorer l'application de la technologie à la production.
L'année dernière, M. Solomon Gyan-Ansah, directeur adjoint des services agricoles au Ministère de l'Alimentation et de l'Agriculture, a laissé entendre dans une interview avec un autre journal appartenant à l'État, le Ghanaian Times, que le gouvernement était ouvert à l'inclusion de semences GM dans le programme phare. Il a expliqué que le seul recours aux « semences conventionnelles » pourrait ne pas être suffisant pour atteindre les objectifs à long terme du programme « Planter pour l'Alimentation et l'Emploi ».
« Depuis que nous avons lancé le programme, le nombre de bénéficiaires est passé de 200.000 à 500.000 et nous visons maintenant environ 700.000 personnes », a-t-il déclaré lors de l'interview. « Et en regardant nos plans pour rendre le Ghana autonome en approvisionnement alimentaire, il serait irréaliste de se passer des OGM. »
Mais maintenant, le ministre lui-même a clairement indiqué qu'il n'était pas d'accord avec Gyan-Ansah.
En tant que membre du Parlement, Akoto était vu comme un pro-science. Lorsque le président a annoncé sa nomination en tant que ministre en janvier 2017, le groupe anti-OGM Food Sovereignty Ghana a présenté une pétition au Parlement demandant aux législateurs de bloquer son approbation en raison de sa position en faveur des OGM. Selon la pétition « le Dr Afriyie Akoto semble avoir pris le parti du lobby des entreprises représentant les OGM ».
Les pétitionnaires ont contesté l'économiste agricole formé à l'Université de Cambridge pour avoir garanti la sécurité des aliments génétiquement modifiés dans une interview en 2014 dans laquelle il avait déclaré : « Le Ghana importe 150.000 tonnes de produits de volaille chaque année et la plupart proviennent d'Amérique, du Brésil et de l'Europe. Avec quoi pensez-vous que ces poulets sont nourris ? Ils sont nourris à partir de céréales génétiquement modifiées. Donc, nous mangeons des aliments génétiquement modifiés. Quelqu'un est-il mort ? »
Akoto avait également déclaré précédemment à la chaîne de télévision locale TV3 : « Des aliments génétiquement modifiés sont consommés en Amérique et au Ghana, et partout dans le monde, en alimentant les poulets avec des céréales et nous les mangeons [également]. Sommes-nous tous morts ? Tous les Américains seraient morts maintenant » si c'était nuisible.
De même, le professeur Kwabena Frimpong Boateng, Ministre de l’Environnement, des Sciences et de la Technologie, a vanté les OGM en tant que technologie à développer au Ghana lors de l’inauguration du conseil d’administration de l’Autorité Nationale de Biosécurité en 2017. « La biotechnologie est si importante, et nous ne pouvons pas nous en passer », a-t-il dit en appelant à plus d'efforts pour sensibiliser les Ghanéens à la technologie.
Il reste à voir si la tempête qui sévit depuis l'adoption de la loi sur la biosécurité en 2011 se calmera avant la fin de l'année, lorsque les scientifiques soumettrons probablement une demande aux autorités de réglementation pour la diffusion et la commercialisation du premier OGM au Ghana, le niébé Bt. Pendant ce temps, le Nigeria est déjà en train de commercialiser à la fois le cotonnier Bt et le niébé Bt.
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