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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Le coin des risques : de Wakefield à Portier, protéger la méthode scientifique

5 Mai 2019 , Rédigé par Seppi Publié dans #Divers

Le coin des risques : de Wakefield à Portier, protéger la méthode scientifique

 

David Zaruk*

 

 

La méthode scientifique est attaquée aujourd'hui sur au moins cinq fronts, ce qui porte atteinte à la réputation et à la confiance accordées aux preuves scientifiques et aux scientifiques eux-mêmes. La force de la « méthode » réside dans son approche auto-correctrice (avancement continu grâce à des outils tels que l'examen par les pairs, les analyses critiques de méthodologies, les tentatives de falsification (réfutation) et la validation de paradigmes par la résolution de problèmes). Nous constatons aujourd’hui des menaces qui sapent non seulement les progrès de la science et de la technologie, mais également la valeur même de la science pour la société.

 

 

Comment protéger la méthode scientifique (et devrait-on le faire) ?

 

En octobre 2017, la science avait été victime d'un scandale impliquant Christopher Portier, un statisticien américain qui tentait d'influencer le débat sur la réglementation de l'UE concernant le glyphosate, tout en percevant secrètement des paiements lucratifs de la part de deux cabinets d'avocats menant des actions en justice contre Monsanto. Son implication en tant que consultant en contentieux, sa capacité à faire partie d’un panel du CIRC sans avoir jamais été impliqué dans la recherche sur le glyphosate, ses mensonges éhontés, sa non-transparence et les pratiques manipulatrices des cabinets d'avocats spécialisés dans les actions de groupe (cherchant à fabriquer de la science et de l’indignation publique pour inciter les jurys à accorder des dommages-intérêts plus importants) nous rappelle à quel point la science est vulnérable à la faiblesse humaine, à la cupidité, à la pression publique et au discours anti-industrie dominant.

 

À deux décennies d'écart, Christopher Portier est le Andrew Wakefield des pesticides. Que serait-il arrivé si Wakefield avait publié ses résultats trafiqués sur l’autisme aujourd'hui ? La méthode scientifique aurait-elle survécu à l'attaque politique et communautariste menée contre les défenseurs de la vaccination ? Comment les transgressions de Portier ont-elles affecté la science aujourd'hui ?

 

David Zaruk est un professeur basé à Bruxelles.

 

Voici les cinq menaces à la méthode scientifique qui n’étaient pas des problèmes lorsque les actions de Wakefield ont porté atteinte à la science.

 

 

Science au service des contentieux

 

Wakefield, à l'instar de Portier, a succombé à l'argent et à la motivation des cabinets d'avocats spécialisés dans les recours collectifs et cherchant à créer une science qui permettrait d'obtenir de gros règlements des entreprises ciblées (les honoraires d'avocat peuvent représenter aux États-Unis un pourcentage important des indemnités). La déposition de Portier lors de la préparation du litige contre Monsanto a démontré le secret entourant les stratégies des cabinets d’avocats avec la clause contractuelle de non-divulgation de son affiliation et de la portée de son travail. Combien d'autres scientifiques ont été entraînés dans de tels accords occultes ? Combien de recherches ont été financées dans la perspective des litiges ? [ma note : et combien de résultats de recherche ont été occultés pour ne pas éroder les perspectives de gains judiciaires ou extra-judiciaires.] Combien de scientifiques siégeant dans des panels et des groupes de travail internationaux d'agences telles que le CIRC contribuent à de telles actions contentieuses et ont un intérêt personnel dans les décisions de ces agences ?

 

Ce sont des questions qui doivent être discutées entre scientifiques étant donné que leurs actions mettent en péril la réputation de la méthode scientifique. La transparence et la liberté de recherche doivent être au cœur de tout accord de financement, mais malheureusement, le pedigree des avocats en recours collectifs semble empêcher cela. Des cabinets d'avocats tels que Weitz & Luxenberg ou Baum Hedlund organisent des campagnes vicieuses contre le glyphosate, faisant venir des victimes du cancer des États-Unis à Bruxelles et, pour faire simple, font tout ce qui est en leur pouvoir pour que les jurés soient remontés contre le défendeur et pour que leurs verdicts soient optimaux. La science réglementaire à Bruxelles n’est pas équipée pour gérer ces pratiques malsaines. Certains scientifiques non plus, évidemment.

 

 

Chambres d'écho tribales des réseaux sociaux

 

Dans les chambres d'écho tribales des réseaux sociaux, les preuves scientifiques se perdent dans les préjugés politiques et sont ensuite adultérées par les militants par leurs « partage », « j'aime » ou commentaire. Ces communautés sont unies dans une relation de confiance, partageant des informations qui confirment leurs idées préconçues et bloquant ceux qui pourraient être en désaccord avec elles ou menacer les objectifs de la tribu anti-OGM, anti-pesticide, etc. Sans dialogue, sans interactions, ces camps de réseaux sociaux se limitent à des interprétations subjectives de conclusions prédéfinies (biais de confirmation).

 

Les activistes des réseaux sociaux, les gourous et les groupes de défense d'intérêts accueillent des scientifiques marginaux et aigris qui pourraient confirmer leur parti pris et attaquer quiconque voudrait contester les résultats de leurs recherches. Le débat et l'indignation en ligne ne concernent pas la recherche, mais le CV du chercheur (argumentum ad hominem). La tribu des activistes est plus politiquement compétente que scientifiquement alphabétisée : elle injecte un poison dans le débat sur l'agro-technologie, élabore des solutions simples (interdire tous les pesticides et les OGM) et est heureuse de dégrader la confiance du public dans la science si cela l'aide à gagner une campagne.

 

 

Science activiste

 

Au fur et à mesure que les ONG et les groupes de réseaux sociaux s'enrichissent, ils attirent des scientifiques qui ont échoué dans les filières professionnelles traditionnelles, qui peuvent se sentir amers du manque de perspectives de carrière et exposés à l’exploitation. J'ai inventé le terme « scientifique activiste » pour décrire une personne qui a abandonné ses objectifs scientifiques pour travailler sur des recherches liées à des campagnes.

 

Un scientifique traditionnel commence par rassembler des preuves et tire ensuite une conclusion. Un scientifique activiste commence par la conclusion et cherche ensuite des preuves. Nous trouvons des exemples de telles pratiques promues par des ONG liées à des recherches discutables sur les néonicotinoïdes et les pollinisateurs, le glyphosate, les OGM et les substances chimiques perturbant le système endocrinien. Ces quelques scientifiques activistes (comme Portier, Séralini, Kortenkamp, ​​Goulson…) sont fêtés par les ONG, deviennent des hommes de relations publiques et font souvent du lobbying sur des questions politiques. Cela crée une animosité accrue au sein des communautés scientifiques avec des différends amplifiés en ligne qui sapent encore davantage la confiance du public dans la science tout en suscitant la crainte d'une communauté scientifique « divisée ».

 

 

Examen par les pairs

 

L’examen par les pairs a toujours été un moyen de présenter une évaluation plus objective des résultats de la recherche, confirmée par des exercices de reproduction. Cependant, avec l’augmentation du nombre de revues prédatrices, bidons et « pay-to-play », le processus d’examen par les pairs a souvent été réduit à une simple transaction financière pour des articles publiés dans des revues en ligne à faible impact. L'expression « examen par les pairs » a presque perdu son sens et la qualité de la recherche a diminué, avec des professeurs sensibles au « publier ou périr » qui considérent le processus de publication comme une activité servant d'investissement pour la carrière.

 

Des scientifiques activistes profitent de l'ignorance du processus de publication par le public pour mettre des articles en ligne dans le seul but de faire passer leur message par le biais de réseaux d'activisme. Et si un article était retiré, comme la célèbre étude sur les rats de Séralini, il serait simplement republié dans un journal payant et les militants anti-OGM continueraient à en faire la promotion sans perdre de temps. Le recul du respect du processus d’évaluation par les pairs et l’augmentation rapide du nombre de revues prédatrices en ligne ont réduit les moyens permettant à de bonnes revues de recherche scientifique de servir de référence objective.

 

 

Déni d'expertise post-moderniste

 

Marcel Kunst a expliqué comment les activistes et les ONG exigent une sorte de certitude que la science ne peut offrir. Et puisqu’un paradigme scientifique peut changer et que des lois peuvent s’avérer malavisées, rien de ce que la science dit ne peut être considéré comme une « vérité ». Par conséquent, dans cette perspective post-moderniste, l'expertise scientifique est relative et diminuée. Ajoutez à cela le discours largement diffusé selon lequel toute la science réglementaire a été influencée par l'industrie et nous pouvons comprendre pourquoi les évaluations des risques qui conduisent à l'approbation de pesticides ou de semences sont si facilement et systématiquement ignorées par les ONG et les acteurs de la société civile.

 

Le temps est ainsi venu pour une école de sociologues de gauche de postuler une nouvelle « science post-normale » fondée non pas sur les sciences, mais sur des préoccupations sociétales. Ce groupe, basé principalement à Bergen, en Norvège, estime que les connaissances scientifiques ne sont pas la « forme de connaissances » la plus importante et qu’une réforme pédagogique (recyclage) des scientifiques est nécessaire. Cette approche de la gestion de la certitude impose plus de contraintes et d'entraves à la recherche innovante, exige plus de participation des « citoyens scientifiques » et moins de confiance dans la méthode scientifique.

 

 

Comment protéger la méthode scientifique

 

Lorsque des scientifiques activistes produisent des articles contestables, la communauté scientifique commence par évaluer la méthodologie (et rejette généralement les conclusions). Le problème ici est que le scientifique activiste (et l’organisation intéressée par sa recherche) ont déjà mis les conclusions sur la scène politique – autrement dit : les groupes d’intérêts déclarent une victoire scientifique dans les médias alors que les vrais scientifiques examinent encore les règles du jeu.

 

L’affaire Portier est la meilleure étude de cas disponible ici. Le CIRC a produit une monographie sans valeur sur le glyphosate fondée sur le danger, mais les militants anti-OGM aux États-Unis, les cabinets d'avocats cherchant à obtenir des gains avec les poursuites en justice contre Monsanto fondées sur des cancers et le lobby des produits biologiques à la recherche de moyens supplémentaires pour handicaper les agriculteurs conventionnels ont instrumentalisé cette mauvaise science et orchestré des campagnes de peur, attiré des victimes potentielles et bombardé sans relâche des individus vulnérables pour susciter une peur et une inquiétude inutiles. Crier à une « faute méthodologique » dans un monde où tout le monde se sent comme une victime potentielle est, disons, pratiquement inutile.

 

Wakefield a été excommunié pour ses erreurs de recherche. Cela ne se produirait pas dans le tribalisme des réseaux sociaux d’aujourd’hui. Portier a réagi à la publication de ses aveux en faisant en sorte que plusieurs militants anti-OGM du Monde détournent l'attention des faits et remettent en question la motivation de la communauté scientifique (et de moi-même personnellement). Argumentum ad hominem. Il s'est adressé à sa base, mais se ridiculisa encore davantage.

 

Nous avons tellement à faire pour que la méthode scientifique ne soit pas déréglée par les opportunistes et les idéalistes irrationnels, comme nous l’avons vu avec les Portier Papers. Les communautés scientifiques doivent avoir cette conversation, en particulier sur les idées suivantes :

 

  • des codes de conduite éthique renforcés,

  • la promotion de meilleures pratiques de communication (en particulier sur les avantages des technologies émergentes),

  • plus de rigueur pour la transparence des financements,

  • plus de courage institutionnel et de respect des décisions des agences scientifiques,

  • un contrôle de la qualité des revues et des directives claires pour les processus d'examen par les pairs,

  • et, ce qui est important, un rejet catégorique de l’approche ridicule de la réglementation fondée sur les dangers.

 

Si la faute professionnelle de Wakefield s’était produite aujourd’hui, dans un monde de réseaux sociaux, il aurait divisé la société un peu à la manière de la polarisation suscitée par Portier. La méthode scientifique aurait été affaiblie par la prise de contrôle du théâtre politique par les groupes d’intérêts. La malfaisance de Portier nous laisse une question : la méthode peut-elle être sauvegardée dans l’arène anti-science d’aujourd’hui, et si oui, comment ?

 

Ceci est ma contribution. Les scientifiques doivent commencer à en parler ouvertement.

 

______________

 

* David Zaruk est un professeur basé à Bruxelles qui écrit sur la politique de gestion des risques pour la santé et l'environnement dans le cadre de la bulle européenne. Il écrit un blog sous le nom de : The Risk-Monger. Les commentaires dans le coin des risques sont les siens et ne représentent pas nécessairement les points de vue de European Seed.

 

Source : https://european-seed.com/2017/11/risk-corner-wakefield-portier-protecting-scientific-method/

 

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H
Et pour le grand public, on pourrait en rajouter une louche sur Wikipédia, surnommé à juste titre par certains internautes Intoxpédia.<br /> L'encyclopédie universelle libre du net, est à l'origine, une idée fantastique. Malheureusement, elle a été considérablement dévoyée. On peut dire que dans les domaines de l'écologie, de la pollinisation, des abeilles, de la biodiversité, des pesticides, de l'alimentation, de la médecine, des vaccins, de l'immigration (aussi), ainsi que certains sujets historiques sensibles, et j'en passe, pratiquement aucun article n'est objectif et la propagande ultra verte (et/ou rouge) et catastrophiste bat son plein. Cela en est effarant.<br /> Et sur un sujet sensible, pas la peine d'essayer de rétablir la vérité scientifique ou historique, les khmers verts et rouges veillent et virent vos rectifications en moins de 24h. A penser qu'ils n'ont que cela à faire.<br /> Lorsqu'on sait comment les enseignants peuvent conseiller des recherches sur Wikipédia, eux mêmes n'étant pas capables de discernement, cela fait peur. Et quand vous passez derrière en disant à un enfant, ne recopie pas cela, c'est faux, c'est sacrément perturbant pour un gosse.<br /> Pire, 95% des gens ignorent que les articles de Wikipédia peuvent être écrits par n'importe qui, pourvu qu'il ouvre un compte sur Wikipédia. Ensuite, l'écriture comme la modification des articles existants est à la portée d'un enfant. Et les régulateurs du site, malgré, je l'espère, leur bonne volonté, ne sont pas compétents pour apprécier des contenus spécialisés et semblent ne pas vérifier les liens des références qui bien souvent n'existent pas ou ne correspondent pas aux affirmations de l'article, tout étant fait pour impressionner en enfumant.<br /> Il serait urgent que pour des questions de déontologie, les fondateurs de ce site le remettent en question.
Répondre
S
Bonjour,<br /> <br /> Merci pour votre commentaire.<br /> <br /> Intoxpedia, je n'avais pas vu, mais c'est fichtrement bien trouvé.