Une double-page du Figaro sur le glyphosate
Glané sur la toile 315
(Source)
Le Figaro du 28 février 2019 a jeté un regard assez inédit sur le glyphosate dans une double-page. Il y a eu une suite le 1er mars. En voici les titres et les chapôs :
Le glyphosate, un faux problème de santé publique, par M. Tristan Vey
« Alors que la France a l'intention d'interdire l'herbicide inventé par Monsanto, les experts rappellent que le produit, même présent dans les urines, ne représente aujourd'hui pas de risque pour la santé des consommateurs. »
Biodiversité: le glyphosate, un ennemi parmi bien d'autres, par M. Vincent Bordenave
« L'herbicide, dont l'utilisation régulière constitue un symbole dans le milieu agricole, est considéré comme l'un des moins dangereux pour la faune et la flore. »
Un risque de cancer possible pour les agriculteurs les plus exposés au glyphosate, par Mme Cécile Thibert
« Si la toxicité sur l'homme de cet herbicide n'est pas établie à des doses normales, des études notent un excès de certains cancers parmi les agriculteurs exposés à de fortes doses du produit. »
Glyphosate: un débat pollué par l'image de Monsanto, par M. Cyrille Vanlerberghe
« L'entreprise Monsanto, rachetée en 2018 par Bayer, qui a mis au point et commercialisé le glyphosate, est devenue le symbole d'une industrie agrochimique responsable de tous les maux. »
Agriculture: «À l'horizon 2030-2040, une sortie des pesticides chimiques est envisageable», par Mme Marielle Court
« INTERVIEW - Philippe Mauguin, président de l'Institut national de la recherche agronomique (Inra), explique le travail de son organisme pour trouver des alternatives au glyphosate. »
Bayer empêtré dans la crise du glyphosate, par Mme Keren Lentschner
« Le groupe cherche à rassurer sur l'intégration de Monsanto, racheté en juin 2018. »
Est-il vraiment impossible de sortir du glyphosate en 3 ans ?, par Mathilde Golla (article complet sur Internet)
« Emmanuel Macron a déclaré que le retrait de l'herbicide controversé en 2020 n'est «pas faisable». La FNSEA partage cette opinion mais les ONG et les agriculteurs bio ne comprennent pas ce revirement. Dans un rapport, l'INRA évoque les conditions d'une sortie du glyphosate. »
C'est globalement de bonne facture.
Nous citerons ici les propos de M. Jacques Caplat, un des critiques de l'agriculture « conventionnelle » :
« "Le glyphosate répond parfaitement à la demande imposée par notre modèle agricole, juge Jacques Caplat, agronome et secrétaire général de l'association Agir pour l'environnement, signataire de la pétition 'Stopper le glyphosate' c'est possible!”. Force est de constater que sa molécule n'est pas forcément plus dangereuse pour la biodiversité que d'autres herbicides ou insecticides. Mais son recours quasi systématique en fait plus qu'un symbole. Car il a totalement transformé le milieu agricole." »
Reprenons la première phrase : le glyphosate ne « répond » pas « parfaitement » mais contribue à une demande imposée par la société : une alimentation saine, durable et bon marché, un marché d'exportation pourvoyeur de devises grandement utiles, une contribution à la paix sociale dans des pays voisins et amis, particulièrement de l'autre côté de la Méditerranée, une contribution aux intérêts stratégiques de la France, etc. Ce sont ces facteurs qui définissent le « modèle agricole », si tant est qu'il y en ait un unique (en dehors du « modèle » fantasmé qui sert de repoussoir pour des discours militants et politiciens).
Quant à la transformation totale du milieu agricole, c'est faire trop d'honneur au glyphosate, dans cette France et cette Europe qui refuse la culture (mais pas l'importation) des OGM. Mais l'esprit général de cette déclaration est constructif et cela mérite d'être souligné.
Et, plus loin :
« "Ce modèle agricole nous fait entrer dans un cercle vicieux dramatique pour l'environnement, analyse Jacques Caplat. Il nous force à développer des produits chimiques. On peut développer des cultures associées qui apporteraient des rendements comparables. Tout ça demande un travail de transition et un accompagnement des agriculteurs. Car sortir [du glyphosate] sans proposer autre chose serait une catastrophe." »
Nous n'adhérons pas au premier élément de cette thèse. Il suffira de constater que l'agriculture dite « biologique » utilise aussi des « produits chimiques » et applaudit quand on en développe qui entrent dans les clous de son cahier des charges ; et sa généralisation n'est pas de nature à répondre aux objectifs assignés à l'agriculture. Mais son dernier propos est parfaitement juste.
Qu'en disent ces messieurs de la recherche agronomique ?
Pour M. Christian Huyghe, directeur scientifique de l'INRA :
« "L'interdiction du glyphosate s'inscrit dans un mouvement plus global pour une agriculture moins consommatrice de produits chimiques, analyse Christian Huyghe. L'agriculture qui se dessine pour le futur est une agriculture avec une autre protection des cultures. Le glyphosate devient caduc. C'est un choix de société." »
« ...une autre protection des cultures... » ? Vraiment ? Elle sera sans nul doute différente par le mix des solutions mises en œuvre. Mais les types de solutions seront fondamentalement les mêmes. Et il est regrettable que l'INRA ne s'investisse pas davantage dans la construction des « choix de société » par la pédagogie et le langage de vérité.
M. Philippe Mauguin, PDG de l'INRA a produit un discours qui décrit l'avers et le revers de la question. Mais sortirons-nous un jour du « ...il existe des alternatives techniques dans 85 % des cas » ? La formulation est du reste astucieuse :
« C'est sur la base de ce rapport que les observateurs ont pu dire qu'il existe des alternatives techniques dans 85 % des cas mais pas pour 15 % restants, qui concernent notamment les cultures en terrasse ou en pente et les agriculteurs qui font de la conservation des sols pour protéger la matière organique, à qui on ne peut pas demander de faire du labour. »
Ce n'est donc pas l'INRA qui dit, mais les observateurs. Notons que depuis que ce rapport a été publié en décembre 2017, l'INRA ne s'est pas non plus penché sur une grande question : combien ça coûte ?
Et était-il judicieux de faire une prédiction ?
« À l'horizon 2030-2040, une sortie des pesticides chimiques pourrait être envisageable pour une agriculture européenne performante sur le plan économique et environnemental, en mobilisant l'ensemble des leviers de la recherche et de l'innovation. »
Il est certes difficile pour un organisme de recherche dont le financement est largement tributaire des instances gouvernementales et législatives de tenir un discours qui déplairait à ces instances. Dur aussi pour un tel organisme dont de larges pans sont idéologisés (en témoigne la tempête de critiques à l'encontre d'un rapport de 2014, « Comment rendre l'agriculture biologique française plus productive et plus compétitive ? ») d'affronter les oppositions internes.
Mais le message qui en résulte n'est pas celui dont la France a urgemment besoin.
Nous ne pourrons que saluer le courage du Figaro qui, à l'encontre du discours ambiant, a titré : « Le glyphosate, un faux problème de santé publique ».