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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Servons Sevrons l'agriculture ! Les préconisations de Socialter pour un avenir morose avec tickets de rationnement

28 Mars 2019 , Rédigé par Seppi Publié dans #Agronomie, #Agro-écologie, #critique de l'information

Servons Sevrons l'agriculture ! Les préconisations de Socialter pour un avenir morose avec tickets de rationnement

 

 

C'est dans le numéro de février-mars de Socialter, une revue qui sous-titre : « économie sociale | alternatives | transitions ». Quand on cherche le site internet, notre moteur de recherche favori nous annonce : « Socialter est le premier magazine papier et digital consacré à l'économie nouvelle génération et aux créateurs de solutions innovantes. » Dont acte.

 

Ce numéro 33 nous propose essentiellement, outre un éditorial, « Bifurquer », six articles :

 

  • « Sortir de l'agriculture industrielle, mode d'emploi »

  • « La grenouille et le pesticide »

  • « Comment nourrir l'appétit populaire ? »

  • « L'autosuffisance alimentaire est-elle un chimère ? »

  • « Terres en commun cherchent paysans de demain »

  • « Planter les graines de l'ancien monde »

 

 

Peut-on « Pourrait-on nourrir tout le monde ? »

 

Sans surprise, l'éditorial s'ouvre sur une vision dystopique de l'« agriculture industrielle » :

 

« Les méfaits de l'agriculture industrielle sont désormais connus et documentés. [...]

 

Une « agriculture industrielle » qui sert ici d'homme de paille et « constitue elle-même un bel oxymore, comme le relevait Ernst Friedrich Schumacher en 1973 déjà ». D'où il résulte que :

 

« La seule alternative qui s'offre à nous est d'opérer une bifurcation rapide et ordonnée vers un modèle agroécologique respectueux des sols, des plantes, des écosystèmes et des hommes. Est-ce faisable? Oui. Pourrait-on nourrir tout le monde? Oui. Partant de là, reste à débattre des modalités de cette sortie et des contours de cette agriculture post-industrielle. »

 

Comme d'hab', la rhétorique ne peut se dispenser de l'étalage des mérites (supposés) de ce « modèle ». Et si la réponse aux deux questions de la faisabilité et de l'efficacité est un « Oui » péremptoire, la deuxième question – « nourrir tout le monde » – est formulée avec un conditionnel de prudence. Comme d'hab'...

 

Toutefois, l'auteur n'est pas complètement naïf ou endoctriné :

 

« Rien n'est simple à ce stade. Le bio est cher, trop cher pour beaucoup, et le rendre abordable n'est pas chose aisée. […] Si relocaliser la production alimentaire relève du bon sens, la notion d'autosuffisance peut aussi charrier son lot d'effets pervers. La désindustrialisation de l'agriculture et sa relocalisation entraîneront de forts besoins en main-d'œuvre, mais qui veut encore travailler au champ? [...] »

 

Et cela se termine par une envolée lyrique :

 

« Mais au-delà de tous les arguments rationnels justifiant cette transition, c'est une réflexion sur notre rapport au monde qu'il faut mener. »

 

 

Un mode d'emploi ?

 

« Sortir de l'agriculture industrielle, mode d'emploi », c'est un article qui, comme d'hab', convoque à la barre les idéologues et thuriféraires d'une forme d'agriculture aux contours toujours flous mais invariablement florissante, enfin potentiellement.

 

Voici M. Miguel Altieri, de l'Université de Californie à Berkeley, qui s'extasiait du développement allégué de l'agriculture cubaine – le paradis du bio – condamnée à l'autarcie et s'inquiétait des menaces qui pesaient sur elle du fait du dégel politique sous l'administration Obama, avant que le Donald n'y mit un terme :

 

« Dans son ouvrage de 1983, L'Agroécologie. Bases scientifiques d'une agriculture
alternative
(1986 pour la traduction française aux éditions Debard), le chercheur américano-chilien Miguel Altieri présentait 4 modèles durables susceptibles de réconcilier la production
alimentaire et la préservation de l'environnement. D'abord, il évoquait l'agriculture traditionnelle paysanne, telle que continuent de la pratiquer certains peuples autochtones. Il mentionnait ensuite l'agriculture biologique
[…]. Dans son livre, Miguel Altieri proposait également des systèmes d'agroforesterie, associant des arbres à des cultures, souvent maraîchères. Enfin, il évoquait l'agriculture de conservation, centrée sur le respect du rythme naturel des sols. »

 

Durables les agricultures « traditionnelle » et « biologique » ? Révolutionnaire l'« agroforesterie » ? Bien définie l'agriculture de conservation ?

 

On ne pouvait évidemment pas échapper à la « permaculture » :

 

« Parallèlement à ces 4 modèles, expérimentés sur toute la planète, d'autres écoles se sont développées, à l'instar de la permaculture. Née en Australie, elle partage les grands principes de l'agroécologie, mais les applique de manière plus radicale. »

 

Combien d'hectares, la permaculture ? Combien de quintaux ? Quelle viabilité économique ?

 

Puis c'est le tour des gourous français pour un discours convenu, hors-sol. Chamboulons toute notre organisation agricole... et réduisons notre consommation de viande. Yaka :

 

« Limiter les produits carnés permettrait des élevages moins intensifs, où les ruminants se nourriraient d'herbe et non de végétaux importés - ce qui aurait d'ailleurs pour conséquence de rétablir une certaine équité au niveau international. "Il y a des Brésiliens trop pauvres pour acheter du soja au Brésil, parce que nos usines l'importent en gros pour alimenter le bétail et font monter les prix", explique Marc Dufumier. »

 

 

 

 

Vision fort naïve (d'ailleurs, le soja n'entre pas dans l'alimentation humaine au Brésil, si ce n'est par l'huile)... Elle se poursuit par l'éloge d'un système au fond autarcique qui oublie par exemple que nos exportations de blé vers l'Afrique du Nord et d'autres régions et pays jouent un rôle stratégique dans notre géopolitique.

 

Mais voici le très étrange IDDRI, l'Institut du Développement Durable et des Relations Internationales, qui propose :

 

« […] un scénario d'alimentation durable qui permettrait de nourrir les 530 millions d'habitants de l'Union européenne en 2050. Il prend pour hypothèse la généralisation de l'agro-écologie et l'abandon des importations de protéines végétales (essentiellement destinées aujourd'hui à l'alimentation des animaux d'élevage). Ces changements entraîneraient une baisse de la production de 35 % par rapport à 2010, mais permettraient de nourrir sainement les Européens tout en conservant une capacité d'exportation. En outre, ils réduiraient l'empreinte alimentaire mondiale de l'Europe, conduiraient à une diminution des émissions de gaz à effet de serre du secteur agricole de 40 % et permettraient de préserver et reconstituer la biodiversité, tout en conservant les ressources naturelles. »

 

 

Le scénario de l'IDDRI en un schéma

 

 

Rêvons encore un instant avant de revenir sur terre :

 

« Ainsi, les solutions existent et ne sont plus réellement contestées d'un point de vue technique. Reste un défi, et non des moindres: transformer notre modèle de société pour parvenir à une auto-suffisance agroécologique. »

 

Oh non ! Rêvons encore ! Bienvenue à Cuba, voire chez Pol Pot :

 

« "On pourrait imaginer un système dans lequel produire sa propre alimentation ferait partie des normes sociales, avec plein de petites fermes en permaculture pour nourrir un voisinage", suggère François Léger, enseignant-chercheur à AgroParisTech. Guy Faure, directeur de recherche au Centre de coopération international en recherche agronomique pour le développement (Cirad), est optimiste: "Il y a une frange d'exploitations où des jeunes, ruraux ou non ruraux, souhaiteraient s'installer. On aurait intérêt à l'encourager pour des raisons agroécologiques, mais aussi pour des raisons d'emploi", souligne-t-il." »

 

Nouvel intertitre : « La question irrésolue de la machine ». En bref, quelle contribution le machinisme peut-il, ou doit-il apporter, et quel niveau de mécanisation peut-on ou doit-on accepter (ou refuser) ? Quel niveau d'intensification technologique de tels systèmes pourront-ils financer ?

 

Nous y sommes enfin :

 

« "Mais très vite, la question, c'est: 'est-ce qu'il y a assez de gens qui accepteraient de se lancer dans ce genre de choses?'", tempère François Léger. Des doutes que partage le cultivateur Christophe Gatineau. "Si vous enlevez le pétrole et l'énergie nucléaire, il faut travailler avec l'énergie musculaire. Votre propre énergie musculaire vous permet de vous nourrir, de nourrir deux ou trois personnes, mais pas plus. Un changement de modèle reviendrait à un retour massif des populations à cultiver la terre. Et, aujourd'hui, personne ne veut cultiver la terre.»

 

C'est bien observé, quoique un peu outrancier, mais un peu court. « Plus vert, c'est plus cher » avait dit un jour Mme Christiane Lambert, présidente de la FNSEA. Plus musculaire, ce sera aussi plus cher... et à moins de fermer nos frontières, c'est illusoire...

 

 

« Pour une sécurité sociale de l'alimentation »

 

Après avoir lu dans l'éditorial que « Le bio est cher, trop cher pour beaucoup, et le rendre abordable n'est pas chose aisée », l'article « Comment nourrir l'appétit populaire ? » est une ode au « bio » avec des intertitres comme « Soutenir la production bio » ou « Reconnaître l'impact positif du bio ». Avec tout de même un brin de réalisme illustré par « Carrefour, premier distributeur bio » et « Le verrou du libre-échange ».

 

Mais il y a une recette miracle et elle vaut d'être largement citée :

 

« Certains pensent avoir trouvé la parade: généraliser les mécanismes de la Sécurité sociale à l'alimentation, de manière à surmonter le mur auquel se heurtent actuellement l'agriculture bio et les circuits courts (arrivée de la grande distribution sur le créneau, concurrence de plus en plus rude entre les producteurs dans de nombreuses régions et saturation de la demande), tout en amorçant une réflexion sur l'aide alimentaire, mécanisme de soutien à l'agriculture industrielle par une défiscalisation des surplus constants qu'elle génère. Le principe? Chaque citoyen serait muni d'une "carte Vitale", alimentée par 150 euros par mois, utilisable auprès de certains distributeurs, sur le modèle de la Sécurité sociale des soins. Concrètement, les consommateurs pourraient se ravitailler en aliments bio, produits localement, dans des épiceries conventionnées s'approvisionnant auprès de producteurs reconnus pour leurs pratiques bio et leur proximité géographique. Pour le financement, une cotisation-alimentation de 8 % serait prélevée sur la valeur ajoutée des entreprises, générant 120 milliards d'euros. Encore une nouvelle taxe? Non, il s'agirait d'une opération blanche, supposant d'effacer une partie de la dette des entreprises et/ou de prélever une partie du versement de leurs dividendes aux actionnaires. [...] »

 

Toute similitude avec les tickets de rationnement – ou les magasins d'État de Cuba – est purement fortuite... Quant à l'« opération blanche » qui efface des dettes ou puise dans la poche des actionnaires...

 

 

Et le reste ?

 

Rhétorique anti-pesticides (de synthèse...), anticapitaliste et « altermondialiste »

 

« La grenouille et le pesticide » est de M. Fabrice Nicolino. Autant dire que l'on reste confiné à la rhétorique bien connue. En chapô :

 

« L’utilisation massive de pesticides dans l’agriculture est le résultat de choix opérés par les pouvoirs publics après la Seconde Guerre mondiale, largement influencés par les lobbies. »

 

 

Retour au Moyen-Âge

 

« L'autosuffisance alimentaire est-elle un chimère ? », c'est essentiellement une réflexion sur ce qu'il convient d'appeler une nouvelle féodalisation de l'agriculture et de l'alimentation. En chapô :

 

« La notion d’autonomie alimentaire émerge progressivement dans le débat public – l’objectif étant de réussir à nourrir la population d’une ville uniquement grâce à l’agriculture locale. Certaines communes, comme Albi, dans le Tarn, affirment avoir enclenché des politiques de transition en ce sens. »

 

Nous aimons cette forte pensée, mise en pavé :

 

« Réfléchir à l'autonomie alimentaire nous oblige à penser les territoires de façon nouvelle, en termes de coopération et de solidarité alimentaire. »

 

Par le rétablissement de l'octroi, peut-être...

 

 

Retour à la « Terre qui ne ment pas »

 

Le renouvellement des générations actives dans l'agriculture est un sujet grave, dont nous trouvons qu'il est fort mal abordé par nos décideurs. La question de fond est assez correctement posée dans « Terres en commun cherchent paysans de demain ». En chapô toujours :

 

« Plus de la moitié des agriculteurs, en France comme en Europe, partiront à la retraite d’ici dix ans et beaucoup n’ont pas de successeurs en vue au sein de leur famille. Que va devenir le foncier agricole libéré ? Sera-t-il capté par le marché immobilier privé, l’aménagement du territoire ou bien va-t-il profiter à l’implantation d’une nouvelle génération de paysans et au développement de l’agriculture biologique ? »

 

Mais l'analyse se focalise sur ce qui est trendy, tendance : les mini- et micro-fermes qui cherchent une rentabilité par la combinaison d'actes de production, de transformation et de commercialisation à la ferme, en circuit court, etc. C'est une sorte de publireportage pour des entités comme Terre de Liens ou Fermes d'Avenir.

 

Ces initiatives ont certes leur place et leur intérêt dans un système économique de libre entreprise, mais la dimension de la réponse n'est pas à la hauteur de celle du problème.

 

 

Retour au Néolithique

 

Dans « Planter les graines de l'ancien monde », il ne s'agit pas de se restreindre à ce qui était cultivé avant la découverte de l'Amérique – le Nouveau Monde – par Christophe Colomb, mais de revenir à des variétés dites « anciennes » ou à leurs dérivés actuels.

 

C'est le discours sophistique des « semences paysannes » dont la culture serait aujourd'hui interdite !

 

Quand on lit dans un pavé : « Inutile de dépenser des millions d'euros pour inventer ce que la nature fait déjà très bien toute seule », on peut penser qu'on prône un retour au néolithique, ou du moins à l'époque pré-mendélienne.

 

Les semences anciennes auraient ainsi toutes les qualités, alors que les nouvelles... par exemple : « …les tomates hybrides F1 comptaient 5 à 12 fois moins de nutriments que les variétés anciennes ». Habitué à voir ce genre de discours, nous ne tomberons pas des nues à la lecture de :

 

« Dans la littérature scientifique, les données [sur la supériorité nutritionnelle des variétés anciennes] demeurent rares, comme le constate Véronique Chable, chercheuse à l'INRA, spécialiste de l'agriculture biologique et paysanne. "Nous n'avons qu'un faisceau de preuves qui nous font dire que les qualités nutritionnelles sont meilleures. Mais avons-nous vraiment
besoin d'études pour constater une forte croissance de l'obésité et des cancers dus aux pesticides, qui sont des poisons?" »

 

Ça s'appelle un non sequitur pour la séquence des propos cités. Pour la dernière phrase... quel exploit! Oui, nous aurions besoin d'études pour établir un constat de cause à effet. Oui, la science et les connaissances avancent à coup d'études, pas de parti-pris. Cela illustre bien la dérive dans laquelle une partie de l'INRA – la plus visible, la plus médiatique et la plus écoutée dans certains milieux, y compris, hélas, politiques – est tombée.

 

Mais nous ne sommes pas au bout de la nuit de l'obscurantisme :

 

« Loin des rayons du soleil, du souffle du vent et de la rosée des champs, les hybrides F1 naissent en laboratoire, coupés des conditions réelles de leur culture. "Ils ne sont pas prévus pour s'adapter aux spécificités d'un terroir, c'est au contraire le sol qui doit s'adapter à eux. Dommage quand on sait que la terre fournit 70 % des apports nutritionnels à la plante", précise Sabrina Novak, directrice adjointe du Centre de ressources de botanique appliquée (CRBA). »

 

Ce centre est certes une association loi 1901, comptant une dizaine d'employés, et Mme Sabrina Novak n'a aucune formation académique en botanique appliquée, mais ce discours n'est que la régurgitation d'un hoax.

 

Cette pollution des esprits commence à être grave, en témoignent les tentatives de certains parlementaires d'éroder le système juridique et administratif qui régit la filière des variétés et des semences. Un système dont l'objectif n'est pas de protéger les intérêts des multinationales honnies, mais ceux des utilisateurs de semences, et par extension notre agriculture et notre alimentation.

 

« Sevrons l'agriculture ! » est-il dit en couverture, avec une illustration persuasive qui fait penser à une euthanasie ou, au mieux, un suicide assisté ? C'est précisément l'issue fatale des délires idéologiques qui président à ce numéro de Socialter. Un numéro qui n'innove pas mais reproduit un discours convenu, planant dans la stratosphère.

 

 

Non à l'« agriculture Potemkine » ou, pire, Lyssenko !

Notre agriculture actuelle n'est certes pas exempte de défauts ni réfractaire aux améliorations – c'est même le contraire comme le démontre le réseau social Franceagritwittos. L'avenir de notre agriculture et de notre alimentation – ainsi que notre avenir social et économique – doit se définir sur des bases rationnelles, pas sur celles d'une « agriculture Potemkine » ou, pire, Lyssenko.

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D
ça me rappelle furieusement un individu croisé fin des années 90, qui m'assurait qu'ils avaient (une communauté en Ardèche) réussi à faire pousser du blé et autres cultures, sans intrants et avec de bons rendements.<br /> <br /> Benoîtement, je lui demande pourquoi il n'est pas resté pour en vivre, sachant qu'il était depuis, devenu fonctionnaire.<br /> Réponse: ça allait à l'encontre des lobbies et on nous a mis des batons dans les roues.<br /> <br /> Bob sang mais c'est bien sûr, j'aurais dû y penser...
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J
pour causer , ils causent...
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