« Pesticides : la maladie de Parkinson d’un ex-employé arboricole reconnue d’origine professionnelle » et autres titres du même tonneau
Imaginez que la caissière d'une station d'essence se voie diagnostiquer une leucémie aiguë myéloblastique, que le caractère professionnel de la maladie soit refusé dans un premier temps, puis reconnu par une instance de décision supérieure. Que se serait-il passé ? Probablement rien ou pas grand-chose.
Imaginez qu'un vétérinaire développe une maladie de Parkinson, que le caractère professionnel de la maladie soit refusé dans un premier temps, puis reconnu par une instance de décision supérieure. Que se serait-il passé ? Probablement rien ou pas grand-chose.
Prenez maintenant un ancien travailleur arboricole (l'adjectif peut faire sourire, mais il est parfaitement correct) atteint par la maladie de Parkinson, maladie inscrite au tableau No 58 de la Mutualité Sociale Agricole, « Maladie de Parkinson provoquée par les pesticides ». Que s'est-il passé dans des circonstances analogues ?
Une dépêche de l'AFP et une reprise par plusieurs médias (notre titre ci-dessus et nos citations sont tirés du Monde)...
Différence entre le vétérinaire et le travailleur arboricole ? Fondamentalement aucune car, selon une note en bas de page du tableau,
« Le terme "pesticides” se rapporte aux produits à usages agricoles et aux produits destinés à l'entretien des espaces verts (produits phytosanitaires ou produits phytopharmaceutiques) ainsi qu'aux biocides et aux antiparasitaires vétérinaires, qu'ils soient autorisés ou non au moment de la demande ».
Différence entre le vétérinaire et le travailleur arboricole (bis) ? Il importe de maintenir la pression du tribunal médiatique – devant se transformer en opinion publique puis, si tout marche bien, en décision politique – contre les pesticides.
En résumé un premier diagnostic pas très franc (les articles rapportent des diagnostics de « troubles de la mémoire », de troubles « de type Alzheimer ») ; puis une requalification quelques années plus tard, à une date qui ne permettait plus d'invoquer la maladie professionnelle (le délai de prise en charge est d'un an), suivie d'une application stricte des règles ; et, enfin, une décision positive par le Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles de Bretagne.
Le pauvre homme est décédé l'année dernière.
Et, évidemment, il faut broder. La dépêche est émaillée de déclarations qui donnent à penser que... Ainsi :
« Employé pendant trente-sept ans dans la même entreprise arboricole à Loiré, à l’ouest d’Angers, où il a passé toute sa vie, Marcel Geslin était préposé à l’entretien des vergers, la taille, l’éclaircissage, la cueillette… "Il ne manipulait pas lui-même les produits phytosanitaires. Mais comme tous les employés à l’époque il travaillait dans les rangs pendant et après les traitements", rapporte Michel Geslin [son frère]. »
En déduisez-vous qu'il existe une lacune s'agissant de certains travailleurs ? La « liste indicative des principaux travaux susceptibles de provoquer cette maladie » précise :
« Travaux exposant habituellement aux pesticides :
― lors de la manipulation ou l'emploi de ces produits, par contact ou par inhalation ;
― par contact avec les cultures, les surfaces, les animaux traités ou lors de l'entretien des machines destinées à l'application des pesticides. »
Et, pour le diagnostic :
« Maladie de Parkinson confirmée par un examen effectué par un médecin spécialiste qualifié en neurologie ».
A priori, donc, la première décision n'avait rien d'incongru. Mais...
« "C’est un cas emblématique car il montre que les organismes de protection sociale agricole, bien que parfaitement informés, préfèrent laisser filer. Pour qui veut faire reconnaître sa maladie, c’est un parcours du combattant", assure Michel Besnard, porte-parole du Collectif de soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest [...]. »
Est-ce une particularité de la MSA et, surtout, d'une sorte d'omerta sur les maladies liées aux pesticides ? On peut en douter... aucun assureur n'est laxiste.
Y a-t-il des statistiques ou non ?
« A l’échelle nationale, il n’existe aucune donnée statistique publique sur les maladies professionnelles liées aux produits phytosanitaires. En 2017, Patrice Heurtaut, directeur de la santé et de la sécurité au travail de la MSA avait expliqué qu’elles représentaient "2 % des maladies professionnelles déclarées au titre du régime agricole". »
Bien des lecteurs, notamment leurrés par les titres des articles – comme celui du Monde –, comprendront qu'une instance a établi un lien de cause à effet entre l'exposition aux pesticides et la maladie de Parkinson. Rien n'est moins vrai. L'INRS, Institut National de Recherche et de Sécurité, explique :
« La cause professionnelle de la maladie est rarement évidente et il est parfois très difficile de retrouver, parmi l’ensemble des nuisances auquel est exposé le travailleur, celle ou celles qui peuvent être à l’origine des troubles constatés. Dans ces conditions, les données concernant le lieu, la date et la relation de cause à effet sont souvent difficiles à préciser et la « matérialité » d’une MP ne peut généralement pas être établie par la preuve qui est toujours difficile, sinon impossible, à apporter. Le droit à réparation doit donc se fonder, dans un grand nombre de cas, sur des critères médicaux et techniques de probabilité et sur des critères administratifs de présomption. »
Le système de sécurité sociale opère sur la base d'une présomption d’origine. S’il existe un tableau de maladie professionnelle et que toutes ses conditions sont remplies, la maladie est présumée d’origine professionnelle. Et c'est sur cette présomption que les tribunaux peuvent être amenés à statuer. En aucun cas sur une relation de cause à effet dans un cas particulier (et, partant, dans le cas général).
L'analyse de la grande cohorte AGRICAN montre un excès d'incidences de maladies de Parkinson pour tous les types d'activités agricoles, y compris l'élevage peu utilisateur de pesticides au sens strict. En revanche, la mortalité par maladies du système nerveux est moindre par rapport à la population générale (-38 % pour les hommes, -39 % pour les femmes selon les résultats publiés en novembre 2014).
L'expertise collective de l'INSERM « Pesticides – effets sur la santé » conclut à une « présomption de lien » forte entre pesticides et maladie de Parkinson d’après les résultats de la méta-analyse qui était alors la plus récente. Des associations entre certaines classes de pesticides ou des substances particulières ont aussi été établies. Mais les résultats d'AGRICAN (par exemple la forte incidence de la maladie chez les éleveurs de poules et les producteurs de pois) suggèrent que les causes sont complexes.
Un lien de causalité a été établi entre le paraquat (dont l'autorisation de mise en marché dans l'Union Européenne a été annulée en 2007) et la roténone (un insecticide « bio » dont la distribution est interdite depuis le 15 mai 2009 et dont l'utilisation par les professionnels a été autorisée par dérogation jusqu'en 2011, en attendant de trouver une solution alternative à son utilisation -- en clair, une dérogation pour le vertueux "bio").