Glyphosate et lymphome non hodgkinien : toujours pas de preuve convaincante de lien...
n'en déplaise au Monde, déjà sur le coup
(Source)
Un consortium international, AGRICOH – Maria E Leon, Leah H Schinasi, Pierre Lebailly, Laura E Beane Freeman, Karl-Christian Nordby, Gilles Ferro, Alain Monnereau, Maartje Brouwer, Séverine Tual, Isabelle Baldi, Kristina Kjaerheim, Jonathan N Hofmann, Petter Kristensen, Stella Koutros, Kurt Straif, Hans Kromhout, Joachim Schüz – vient de pré-publier dans International Journal of Epidemiology (dyz017, https://doi.org/10.1093/ije/dyz017) « Pesticide use and risk of non-Hodgkin lymphoid malignancies in agricultural cohorts from France, Norway and the USA: a pooled analysis from the AGRICOH consortium » (utilisation de pesticides et risque de tumeurs malignes lymphoïdes non hodgkiniennes dans les cohortes agricoles française, norvégienne et américaine : analyse groupée réalisée par le consortium AGRICOH).
Curieusement, tous les auteurs sont affichés comme ressortissant du Centre International de Recherche sur le Cancer, lequel a créé le consortium. Il n'empêche, la transparence n'est pas au rendez-vous... On y reconnaîtra un ancien agent du CIRC (M. Kurt Straif), des membres du groupe de travail du CIRC qui a classé le glyphosate en « cancérogène probable » et des auteurs d'articles scientifiques concluant, ou ne concluant pas, à une association entre le glyphosate et les lymphomes non hodgkiniens.
Et on notera aussi que cet article ne porte pas sur le seul glyphosate, mais sur un ensemble de pesticides. Et aussi que quand il évoque le « glyphosate » (ou une autre matière active), il se réfère en fait à des produits formulés.
En voici le résumé.
Contexte
Les pesticides sont couramment utilisés en agriculture, et des études antérieures ont confirmé la nécessité d’étudier plus avant le lien possible entre leur utilisation et le risque de tumeurs malignes lymphoïdes chez les travailleurs agricoles.
Méthodes
Nous avons étudié la relation entre l'utilisation au moins une fois de 14 groupes chimiques de pesticides sélectionnés et de 33 ingrédients chimiques actifs individuels avec des cancers lymphoïdes non hodgkiniens (LNH) en général ou des sous-types principaux, dans une analyse combinée de trois grandes cohortes de travailleurs agricoles. L'utilisation de pesticides a été dérivée des antécédents autodéclarés de cultures produites associés à des matrices d'exposition aux cultures (France et Norvège) ou d'une utilisation autodéclarée de matières actives (USA). Des modèles de régression de Cox ont été utilisés pour estimer les rapports de risque (RR) et les intervalles de confiance (IC) à 95 % spécifiques à chaque cohorte, qui ont été combinés à l'aide d'une méta-analyse à effets aléatoires pour calculer les méta-RR.
Résultats
Au cours du suivi, 2.430 cas de LNH ont été diagnostiqués chez 316.270 agriculteurs, totalisant 3.574.815 années-personnes à risque. La plupart des méta-RR n'ont suggéré aucune association. Des méta-RR modérément élevés ont été observés dans les cas suivants : LNH et utilisation de terbufos (méta-RR = 1,18, IC à 95% : 1,00 – 1,39) ; leucémie lymphoïde chronique / lymphome lymphocytaire de petite taille et deltaméthrine (1,48, 1,06 – 2,07) ; et lymphome diffus à grandes cellules B et glyphosate (1,36, 1,00 – 1,85) ; ainsi que des associations inverses de LNH avec les groupes plus larges d'insecticides organochlorés (0,86, 0,74 – 0,99) et d'herbicides phénoxy (0,81, 0,67 – 0,98), mais pas avec les ingrédients actifs de ces groupes, après ajustement en fonction de l'exposition à d'autres pesticides.
Conclusions
Les associations de pesticides avec le LNH semblent être spécifiques au sous-type et au produit chimique. Une erreur de classification non différentielle de l'exposition était une limitation importante, montrant la nécessité d'affiner les estimations de l'exposition et les analyses exposition-réponse.
Messages clés
Dans cette analyse combinant des données provenant de plus de 300.000 agriculteurs ou ouvriers agricoles originaires des États-Unis, de France et de Norvège, représentant plus de 3,5 millions d'années-personnes sous risque, la majorité des rapports de risque observés suggéraient l'absence d'association entre 14 groupes chimiques de pesticides sélectionnés et 33 ingrédients actifs individuels avec le risque de tumeurs malignes lymphoïdes non hodgkiniennes (LNH).
Des rapports de risque modérément élevés ont été observés pour le LNH en général ou certains sous-types avec l’utilisation au moins une fois de quelques pesticides spécifiques par rapport à l’absence de ces pesticides : LNH en général et terbufos ; leucémie lymphoïde chronique / lymphome de petite taille (LLC / LPT) et deltaméthrine ; et lymphome diffus à grandes cellules B (LDGCB) et glyphosate ; ainsi que les associations inverses du LNH dans son ensemble avec les groupes plus larges d'insecticides organochlorés et d'herbicides phénoxy, après ajustement en fonction de l'exposition à d'autres pesticides. Des travaux futurs sont nécessaires pour approfondir ces conclusions.
Une hirondelle ne fait pas le printemps, une étude ne fait pas la vérité scientifique.
Toutefois, celle-ci – portant sur plus de 300.000 agriculteurs suivis en moyenne sur plus de 11 ans – conforte la thèse d'une incidence faible des pesticides sur la survenue de lymphomes non hodgkiniens (à moins de supputer une incidence plus forte masquée par le fait que l'activité agricole diminue les facteurs de risque – hypothèse qui semble hasardeuse au vu de la récente analyse de la cohorte AHS qui prenait les agriculteurs non utilisateurs de pesticides comme référence). Selon l'étude, « la majorité des rapports de risque observés suggéraient l'absence d'association ».
Les associations statistiquement significatives le sont toutes à la limite de la signification. Et en trouver 5 sur quelque 300 mesures (si nous avons bien compris) laisse planer le doute de faux positifs, dus aux hasard.
Faux positifs ou faux négatifs ! Mais il ne viendrait à personne de prétendre que, par exemple, les herbicides phénoxy protègent du LNH. C'est pourtant le corollaire d'une conclusion inverse pour, par exemple, la deltaméthrine (autorisée pour un usage domestique et utilisée pour la lutte antivectorielle).
Sur l'ensemble de la cohorte, l'âge médian du diagnostic de LNH a été de 69 ans (76 dans l'AGRICAN française). Le LNH est typiquement une maladie de vieillesse.
On a diagnostiqué sur la période de suivi 2.430 LNH, dont 434 (17,8 % – touchant 0,14 % de la population étudiée) de lymphomes diffus à grandes cellules B, la forme pour laquelle on a trouvé un « rapport de risque modérément élevé » pour le glyphosate.
Que signifie ce rapport de risque de 1,36, avec un intervalle de confiance de 1,00 – 1,85 ? Qu'il y a 95 % de chances que le risque réel supplémentaire de LDGCB se situe entre +0% et +85%.
Ce résultat ne s'accorde pas avec celui de la cohorte AHS analysée dans Andreotti et al. (ci-dessous)
Sur l'ensemble des LNH, 1.131 ont été diagnostiqués chez des utilisateurs de glyphosate (et d'autres matières actives, touchant 0,36 % de la population étudiée -- rappel : sur plus d'une décennie en moyenne). Le méta-rapport de risque a été calculé à 0,95 avec un intervalle de confiance à 95 % de 0,77 – 1,18.
Ce résultat, en revanche, s'accorde plutôt bien avec ceux d'Andreotti et al. (ci-dessous).
Un résultat global qui tend à exonérer le glyphosate de toute responsabilité dans les LNH en général + un résultat particulier qui trouve une sur-incidence, mais à la limite de la signification... Les épidémiologistes raisonnables manieraient ces résultats avec une grande prudence. C'est ce que font du reste les auteurs de cette étude.
La communication du CIRC est aussi fort discrète, minimaliste.
Du côté de l'activisme, on s'attend évidemment à autre chose...
Le CIRC admettra-t-il que le méta-RR de 0,95 de cette étude – une cohorte prospective de plus de 300.000 agriculteurs qui a certes ses limitations – est plus persuasif que que le méta-RR de 1,30 résultant de la combinaison d'une cohorte et de cinq études cas-témoins qui a présidé à son classement en « cancérogène probable » (voir tableau ici) ? Ou prendra-t-il prétexte du méta-RR partiel de 1,36 des LDGCB pour camper sur ses positions, de plus en plus indéfendables au vu des derniers scandales découverts (à publier sur ce site) ?
En bref, reviendra-t-il sur son classement du glyphosate en « cancérogène probable » ?
Pour l'activisme, la cause est déjà entendue. Le Monde Planète – sous la signature de M. Stéphane Foucart – vient de publier sur la toile « Le glyphosate et deux insecticides accusés d’augmenter les risques de lymphomes », avec en chapô :
« Une étude d’une ampleur inédite a calculé le surrisque de lymphome pour les agriculteurs utilisant ces substances, par rapport à ceux n’y ayant pas recours. »
Aucune « accusation » dans l'étude de Léon et al. ! Aucune augmentation des risques de lymphomes en général pour le glyphosate... L'information selon le Monde Planète de... C'est encore mieux que XKCD (ci-dessous) !
Et rappelons encore – ce que ne dit pas le Monde dans son titre, son chapô et la partie de l'article consultable sur Internet – que cette étude concerne les agriculteurs utilisateurs de pesticides et non les consommateurs.