Pourquoi l'Afrique du Sud et le Soudan sont leaders sur le continent africain pour les OGM
John Agaba*
Pourquoi l'Afrique du Sud et le Soudan sont-ils en avance sur tous les autres pays du continent en matière de biotechnologie ? La réponse est simple. Ces nations ont vite compris qu’elles devaient adopter les nouvelles technologies pour mettre au point des variétés de plantes cultivées résistantes aux maladies et à la sécheresse afin de mieux s'adapter aux changements climatiques et aux sols en perte de fertilité.
Alors que le reste de l’Afrique tergiversaient sur l'emploi de la biotechnologie, qui raccourcit considérablement le temps de création des variétés souhaitées, les scientifiques et les dirigeants politiques des deux pays comprirent les avantages et entreprirent de s'engager dans une nouvelle ère visant à produire suffisamment de nourriture pour éradiquer la faim dans le monde.
Le Dr Hennie Groenewald, directeur exécutif de Biosafety South Africa, une plate-forme nationale de services de biosécurité au sein de l'agence d'innovation technologique du pays, a déclaré que le pays a immédiatement su quoi faire lorsque la première variété de plante génétiquement modifiée (GM) a été approuvée et mise à la disposition des agriculteurs en 1996.
« C’était une grande opportunité pour l’Afrique et le monde entier de finalement accroître la production alimentaire et de mettre fin à l’un des problèmes les plus préoccupants liés à la sécurité alimentaire : la faim, en particulier dans les pays pauvres et en développement où la famine et la malnutrition sont les plus répandues », a-t-il déclaré.
Mais lorsque le reste de l'Afrique a commencé à avoir froid aux yeux sur l'utilisation de la technologie, en particulier après le regain de l'activisme anti-OGM, l'Afrique du Sud et le Soudan avaient à prendre une décision. Les deux pays ne pouvaient pas laisser les débats sans fin autour de la biotechnologie faire dérailler leur nouvelle formule pour éviter la faim. Ils ont refusé d'attendre que le reste du continent se décide.
« Nous [en Afrique du Sud] avons décidé de nous pencher sur nos besoins propres et de nous concentrer sur ce qui fonctionnait pour nous », a déclaré Groenewald. « Nous avons compris ce que la science et la biotechnologie pouvaient faire pour nous et nous y avons mis les moyens. Avec cette technologie, nous devions être en mesure d'accroître nos productions agricoles. »
L'Afrique du Sud s'est mise au maïs GM en 1996, puis au cotonnier en 1997 et au soja en 2001. Leur adoption a été progressive, mais les résultats de la décision d’aller de l’avant ne mentent pas.
Un rapport d'août 2018 du Service International pour l'Acquisition d'Applications Agro-biotechnologiques (ISAAA) indiquait que les deux pays étaient en tête pour les cultures biotechnologiques sur le continent. L'Afrique du Sud figurait parmi les 10 premiers pays du monde déployant plus d'un million d'hectares de cultures GM.
L'Afrique du Sud a semé au total 2,73 millions d'hectares de maïs, de soja et de cotonnier issus de la biotechnologie en 2017 [ma note : cela représente environ 15 % de la surface française de terres arables], soit une augmentation de 2,6 % par rapport aux 2,66 millions d'hectares semés en 2016. Le pays a également annoncé une réduction drastique de l'infestation par la légionnaire d'automne qui continue de dévaster les champs de maïs à travers le continent.
Pour sa part, le Soudan a cultivé 192.000 hectares de cotonnier biotechnologique résistant à des parasites en 2017, contre 120.600 hectares l'année précédente. Cela représente une augmentation de 59 %, avec un taux d'adoption de 98 % parmi les agriculteurs. On estime que 90.000 agriculteurs soudanais ont cultivé du cotonnier Bt dans des exploitations d'une superficie moyenne de 2,1 hectares.
Groenewald a déclaré que les agriculteurs sud-africains ont accès à des variétés de plantes améliorées, notamment de maïs, de soja et de cotonnier Bt résistant à des parasites, qu'ils cultivent à grande échelle. La technologie a contribué à réaliser même le rêve des petits exploitants de produire pour l’exportation – pas seulement pour la consommation domestique – et a permis à un certain nombre d’entre eux d’adopter une agriculture mécanisée, ce qui a permis de doubler les exportations agricoles du pays au fil des ans.
La technologie GM a indéniablement amélioré les revenus des agriculteurs locaux, car ceux-ci peuvent désormais produire plus sur moins de terres et les producteurs peuvent utiliser ces revenus pour investir davantage dans leurs projets, a déclaré Groenewald.
Cependant, même si les deux pays se situent au-dessus du reste du continent, ils se trouvent toujours à des lieues des principaux producteurs de produits génétiquement modifiés du monde, à savoir les États-Unis, le Brésil et l'Inde.
Le rapport « Global Status of Commercialized Biotech/GM Crops: 2017 » (situation mondiale des cultures biotechnologiques/GM commercialisées : 2017) a montré que 67 pays utilisaient des cultures biotechnologiques, dont 24 (y compris les deux pays africains) cultivaient plusieurs espèces. La superficie mondiale en cultures biotechnologiques s'est établie à 189,8 millions en 2017, contre 185,1 millions l'année précédente.
Outre l'Afrique du Sud et le Soudan, 11 pays africains – Burkina Faso, Cameroun, Éthiopie, Ghana, Kenya, Malawi, Mozambique, Nigeria, Ouganda, Swaziland [ma note : nouveau nom : Eswatini] et Tanzanie – procèdent à des recherches sur les cultures biotechnologiques durables, avec 14 caractères sur 12 espèces en cours de développement.
Mais l'indécision des dirigeants politiques de ces pays, due en partie à la montée du militantisme anti-OGM, menace de ruiner ces avancées. Les dirigeants connaissent les avantages, mais ne savent pas s’il faut aller de l’avant avec la technologie, a déclaré Humphrey Mutaasa, directeur des partenariats à la Uganda National Farmers Association.
« Ils sont conscients de ce que la biotechnologie peut faire pour atténuer la faim et la pauvreté dans leurs pays. Mais ils accordent trop d’attention à ceux qui s’opposent à la technologie », a déclaré Mutaasa. « Ils écoutent trop les antis au lieu de faire confiance à leurs scientifiques. Maintenant, ils sont désorientés. Ils ne savent pas quoi faire.
« Par exemple, l'Ouganda veut faire de la biotechnologie », a-t-il poursuivi. « Les dirigeants politiques savent les milliers d'agriculteurs que cette technologie peut aider, et la pauvreté à laquelle elle peut mettre fin. Mais le Parlement a adopté un projet de loi restrictif sur la biosécurité [en novembre 2018], assorti d'une [clause] de responsabilité stricte, qui ne motive en aucun cas les scientifiques. »
Daniel Otunge, ancien coordonnateur du Forum Ouvert sur la Biotechnologie Agricole en Afrique (OFAB), a déclaré que l'Afrique du Sud et le Soudan figuraient en tête du continent en matière de biotechnologie en raison du soutien politique « de haut niveau » apporté à la technologie dans les deux pays.
Contrairement au reste de l'Afrique, où les dirigeants politiques sont hésitants, les puissances présentes en Afrique du Sud et au Soudan ont l'esprit très ouvert et ont incité leur pays à se lancer dans la biotech, a déclaré Otunge.
Le reste de l'Afrique doit cesser d'écouter la « propagande spéculative » des activistes contre les OGM et se concentrer sur des réalités telles que « le changement climatique, la pression démographique et la pauvreté » et le fait que les sols perdent aujourd'hui rapidement leur fertilité, a-t-il déclaré.
« Nos dirigeants doivent trouver des solutions à ces réalités. La biotechnologie est l'une des solutions », a déclaré Otunge.
Le rapport de l'ISAAA a attribué l’augmentation de la superficie en OGM du Soudan à un changement de la politique de financement du coton dans le pays, le gouvernement donnant plus de marge de manœuvre au secteur privé.
Ensuite, il y a le programme du cotonnier résistant à des insectes (RI), qui promeut des changements positifs dans la plupart des domaines de la chaîne de valeur du sous-secteur du coton, avec des perspectives croissantes d’exportation de graines et de produits textiles vers les pays voisins.
Richard Oduor, maître de conférence et chef du laboratoire de la transformation des plantes du département de biochimie de l'Université Kenyatta au Kenya, a déclaré que la biotechnologie pouvait être un outil pour éliminer la faim dans de nombreux pays en développement. Elle peut également être utilisée pour stimuler le développement économique et mettre un terme à la dépendance de certains de ces pays vis-à-vis de l'Occident développé.
La technologie peut certes propulser l’Afrique au niveau supérieur, mais la sécurité alimentaire et le développement économique durables ne sont pas les seuls avantages.
Le rapport intitulé « Global Status of Commercialized Biotech/GM Crops » indique que l'utilisation de la biotechnologie en agriculture peut réduire considérablement les émissions de gaz à effet de serre. L'expansion de l'adoption de la biotechnologie a également mis à disposition des caractéristiques de qualité nutritionnelle bénéfiques qui pourraient aider à compenser l'impact négatif du changement climatique sur les caractéristiques nutritionnelles des cultures.
Otunge a appelé les dirigeants africains à imiter le courage des dirigeants politiques sud-africains et soudanais, à tenir tête aux activistes anti-biotechnologie et à prendre des décisions fondées sur des preuves et sur des bases scientifiques en matière de développement, de technologie et de science.
Ainsi, les dirigeants pourront établir des cadres fonctionnels de biosécurité pour régir la R&D et définir les réglementations en matière de biotechnologie, ce qui peut à son tour profiter aux agriculteurs et à leur situation économique. Le cadre peut également donner aux scientifiques et aux chercheurs la liberté d'opérer sans ingérence politique, y compris le pouvoir d'approuver les cultures génétiquement modifiées en vue de leur commercialisation.
Otunge a également expliqué à quel point la République d'Afrique du Sud était l'un des principaux exportateurs de produits agricoles dans le monde, grâce à l'adoption et à la commercialisation du cotonnier Bt, du maïs, du soja, etc.
L’industrie textile soudanaise s’est également améliorée avec l’adoption du cotonnier Bt. Cela a créé plus d'emplois et plus de revenus pour stimuler la croissance économique. Le reste de l'Afrique doit prendre exemple, a-t-il déclaré.
Barbara Zawedde Mugwanya, coordonnatrice du Centre d'Information sur les Biosciences en Ouganda, a déclaré que le Kenya, l'Ouganda, l'Éthiopie, le Nigeria, le Ghana et le Burkina Faso devancent le Soudan dans la recherche en biotechnologie. Tout ce dont ils ont besoin, c'est du courage et de la volonté politique nécessaires pour faire passer la recherche des laboratoires aux champs afin que les agriculteurs puissent bénéficier de meilleures variétés.
« Le problème réside dans l'ambivalence des plus hautes autorités de nombreux pays africains », a déclaré Mugwanya. « Les dirigeants ne savent pas s’il faut ou non faire de la biotechnologie et cela se répercute sur d’autres agences et organismes publics. Les dirigeants politiques doivent être plus déterminés. »
Contrairement au reste du continent, qui reste sceptique quant aux cultures GM et à leur sécurité et préférerait commencer avec une culture non alimentaire, comme le cotonnier, l'Afrique du Sud montre l'exemple et a commencé par commercialiser des cultures vivrières.
Et les développeurs de technologies du pays sont toujours dans leurs laboratoires en train de créer la prochaine génération de cultures GM et hybrides. Groenewald a déclaré qu'un certain nombre de nouvelles espèces et variétés, y compris la canne à sucre, sont en phase d'essai.
Les scientifiques ont piloté le processus de biotechnologie en Afrique du Sud et ont été en mesure de communiquer efficacement la valeur de la technologie, a déclaré Groenewald.
Le reste de l'Afrique doit se concentrer sur ses propres besoins et exigences tangibles et évaluer les OGM comme l'une des options permettant de les satisfaire, a-t-il déclaré. Il devrait aller de soi que les cultures GM peuvent apporter une valeur ajoutée.
____________
* https://allianceforscience.cornell.edu/blog/2019/01/south-africa-sudan-lead-continent-gmo-crops/