Dix raisons pour lesquelles l'agritech n’a pas d’importance en Europe
David Zaruk*
Lors d'une récente tournée de conférences en Asie du Sud-Est, j'ai été horrifié d'apprendre que des gouvernements de marchés émergents de la région ont simplement l'intention d'aligner leurs réglementations en matière de technologie agricole sur les lois de l'Union Européenne. La seule chose que je pouvais leur dire était : « Ne faites pas ça ! »
Dans nombre de ces pays en développement rapide, les agriculteurs, principalement les petits exploitants, représentent environ 50 % de la population. Ces pays ont besoin des meilleures technologies pour développer non seulement leurs exploitations agricoles et leur agriculture, mais également leur économie et leur commerce extérieur. Leurs populations sont extrêmement vulnérables et instables – quelques mauvaises récoltes pourraient bouleverser les communautés et l’économie.
Les représentants gouvernementaux de pays tels que le Vietnam, les Philippines et la Thaïlande voient dans l’UE une maturité réglementaire et une compétence scientifique qui servent de référence pour la santé, l’environnement et l’excellence des produits. Ils estiment que le respect des normes agricoles européennes ouvrira également davantage de marchés à l'exportation.
Ce qu’ils ne voient pas, c’est que l’UE n’est pas du tout intéressée à développer son secteur agricole avec de meilleures technologies et innovations. La culture réglementaire actuelle intègre des processus conçus pour résister aux nouvelles technologies. Soutenue par des poches profondes, l'Europe peut se permettre de compenser ses agriculteurs s'ils manquent (de par les décisions politiques) des outils pour réussir. De nombreux pays d’Asie du Sud-Est ne le peuvent pas. L'agritech y est importante, mais pas dans l’UE.
Voici 10 raisons pour vous aider à comprendre pourquoi l’agritech n’a pas d’importance dans l’UE et pourquoi les pays en développement doivent élaborer leur propre stratégie d’innovation agricole pilotée par les agriculteurs.
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L'Europe a une petite population basée sur l'agriculture (moins de %). Cela signifie que les politiciens ne remporteront pas beaucoup de voix en défendant les intérêts des agriculteurs.
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Les urbains de l’UE ont une vision romantique de leur espace rural : intact, traditionnel, à protéger du développement et idéal pour les séjours de week-end.
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Les Européens considèrent la « nature » comme une zone non urbaine. Par conséquent, contrairement à ce qui se passe dans des pays comme le Canada et les États-Unis, l'agriculture est perçue comme faisant partie de la nature et non pas simplement comme un moyen de production alimentaire. Les subventions de la politique agricole commune (PAC) sont davantage liées à la protection de l'environnement qu'à l'augmentation des rendements ou de la productivité.
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La culture culinaire européenne favorise la nostalgie des variétés de plantes patrimoniales. Regardez comment la chaîne de distribution française Carrefour milite maintenant pour une plus grande diversité de variétés de plantes traditionnelles et contre les innovations en matière de sélection variétale. C’est là que se trouve l’argent.
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La longue tradition de précaution perdure en Europe. Lorsque les pionniers américains prenaient le chemin de l'ouest à la conquête de la nature, lorsque les populations opprimées embarquaient pour de nouveaux territoires et rêves, les Européens construisaient des murs autour de leurs villes pour se protéger de l'inconnu. Cette tradition est désormais une doctrine réglementaire : face aux incertitudes, si on ne peut pas prouver qu’une technologie est « sûre », elle n’est pas la bienvenue.
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L'Europe est riche. Ses agriculteurs peuvent subir une perte de production et être compensés par la PAC. Ce n'est pas un problème si elle a besoin d'importer des aliments pour animaux génétiquement modifiés, mais elle choisit de ne pas permettre à ses agriculteurs d'en produire eux-mêmes. D'un exportateur net, l'Europe est devenue un importateur net de produits alimentaires, passant des montagnes de beurre et des lacs de lait à une dépendance de pays tiers pour nourrir son bétail.
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La plupart des problèmes agricoles de l'UE ne sont pas gérés par des intérêts agricoles. Les dossiers glyphosate et néonicotinoïdes ont été gérés par la DG Santé ; la décision de mettre les nouvelles techniques de sélection au rencart a été prise par la Cour de Justice de l'Union Européenne. L’approche inter-services a été abandonnée dans la Commission actuelle. La DG Agriculture ne fait que gérer la PAC (elle est devenue une banque pour subventionner les agriculteurs).
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On a convaincu les petits agriculteurs européens qu'ils ne peuvent pas concurrencer les grandes exploitations d'Amérique du Nord et du Sud. Les pays européens ambitionnent donc de créer un label alimentaire « de luxe » renforçant la perception d'une qualité supérieure. Le Gucci de la terre.
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La croissance des petites chaînes locales de distribution de produits biologiques oblige les grandes chaînes à faire pression en faveur des labels biologiques et de la segmentation des marchés. Il n'y a pas de pression significative exercée par les distributeurs ou les fabricants de produits alimentaires contre une stratégie « Bio-Europe ».
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Il y a un puissant lobby des ONG à Bruxelles et un processus de dialogue favorable aux activistes. Avec l’établissement du principe de précaution et une approche des pesticides fondée sur les dangers, le processus de réglementation n’est pas en faveur des agriculteurs et des chercheurs. Les initiatives actuelles de la commission PEST du Parlement Européen et d'un consortium d'ONG visant à modifier le processus d'évaluation des risques de l'UE en une approche davantage contrôlée par les citoyens et moins fondée sur les experts auront des conséquences désastreuses sur la capacité de conserver des substances sur le marché de l'UE.
Alors que l'Union Européenne consacre encore une part considérable de son budget à l'agriculture, elle regarde dans le rétroviseur, payant littéralement les agriculteurs pour qu'ils ne développent pas de meilleurs outils agricoles. Les économies émergentes d'Afrique et d'Asie doivent se tourner vers l'avenir, développer leur secteur agricole et innover pour l'avenir. L'Europe est le dernier endroit où ils devraient chercher du leadership.
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* Une version de ce billet a été présentée lors de la session d'ouverture de la conférence de l'Association Thaïlandaise d'Innovation Agricole, le 29 novembre 2018.
David pense que la faim, le SIDA et des maladies comme le paludisme sont les vraies menaces pour l'humanité – et non les matières plastiques, les OGM et les pesticides. Vous pouvez le suivre à plus petites doses (moins de poison) sur Twitter et la page Facebook de Risk-monger.
Source : https://european-seed.com/2019/02/ten-reasons-why-agritech-doesnt-matter-in-europe/