Le glyphosate est-il un agent chélateur ? (2)
Oui... et alors ?
(Source)
Nous avons vu dans la première partie que les gesticulations du monde glyphophobe et Monsantophobe à propos d'un brevet protégeant le glyphosate en tant qu'agent chélateur sont une infox.
Soyons clairs : le glyphosate n'a jamais été breveté en tant qu'agent chélateur.
Mais le glyphosate est bien un agent chélateur... d'une puissance similaire à celle de l'acide citrique, autrement dit du jus de citron. Il n'a aucune influence inquiétante sur la santé des plantes et de la vie des sols, ni sur la santé humaine et animale.
C'est même la conclusion d'une vaste revue de la littérature dont la majorité des auteurs ont des affinités avec le mouvement environnementaliste.
L'article précédent ne répondait pas à la question de base, mais à des infox fondées sur un brevet et des affirmations non étayées par des preuves et, au contraire, rendues invraisemblables par le brevet en question.
Le glyphosate est-il un agent chélateur ? La réponse est sans conteste : oui. Et alors ?
(Source : Wikipedia)
Rappelons tout d'abord que la chélation est un processus physico-chimique au cours duquel un cation (un ion à charge positive) métallique est fixé à un « ligand chélateur » par au moins deux liaisons de coordination pour former un complexe, le chélate. Le ligand forme une structure annulaire, de sorte que l'on parle aussi de « séquestration »... un terme qui a donné lieu à beaucoup de malentendus... et d'infox...
En effet, le chélate peut être soluble ; la « séquestration » – qui implique un blocage selon son acception commune – peut ainsi avoir pour effet, au contraire, de rendre l'ion métallique disponible.
Les plantes et d'autres organismes libèrent ainsi des agents chélateurs dans le sol pour solubiliser et rendre disponibles des micro-nutriments.
Bien des aliments sont des agents chélateurs ou en contiennent de manière naturelle ou ajoutée. L'un d'eux est l'acide citrique, autrement dit un élément du jus de citron. Un autre est la glycine, un acide aminé que l'on trouvera sous forme libre dans le tube digestif à la suite de la dissociation des protéines... et un élément de la molécule de glyphosate.
Chlorose ferrique sur pomme de terre
La chélation est utilisée en médecine lors d'une intoxication avec des poisons métalliques ou une contamination interne par des produits radiologiques, le chélate étant éliminé dans les urines. En agriculture, on utilise aussi des chélates, par exemple le mal nommé séquestrène pour lutter contre la chlorose et apporter à la plante les éléments métalliques dont elle est privée du fait d'une composition physico-chimique particulière du sol.
Ainsi donc, lorsque l'agriculture utilise des chélates pour contrer une carence en certains métaux, l'altermonde peut par exemple proclamer :
« Du coup, lorsque le glyphosate est appliqué dans les champs, sa fonction de chélation prive les plantes et les mammifères de minéraux [...] »
Composition : 6 % de fer (Fe) soluble dans l'eau et chélaté par EDDHA -- approuvé pour l'AB…
L'effet chélateur a été largement utilisé dans la littérature anti-glyphosate, y compris scientifique et, surtout, alter-scientifique.
La prose de Mme Marie-Monique Robin illustre bien, par exemple dans : « Un responsable de l’INRA pris en flagrant délit d’incompétence » – un monument d'arrogance – la versatilité des arguments (c'est nous qui graissons) :
« ...Car le processus de chélation rend les métaux solubles, ce qui permet aux organismes vivants de les excréter, notamment par les voies urinaires. Le brevet obtenu en 1964 par Stauffer Chemical montre ainsi que le glyphosate est un chélateur puissant, capable de séquestrer de nombreux métaux et minéraux, comme le calcium, le magnésium, le cadmium, le nickel, le cobalt, le plomb ou le strontium. La structure chimique de la molécule lui permet d’extraire les métaux de leur milieu, de les fixer et de les rendre solubles dans l’eau. »
Et, quelques lignes plus loin :
« Le glyphosate séquestre les minéraux présents dans le sol, et les rend inaccessibles aux plantes. Du coup, comme l’explique très bien le phytopathologiste Don Huber de l’Université de Purdue (États-Unis) dans ce bonus de mon film les plantes OGM, – comme le soja ou le maïs – qui ont été manipulées génétiquement pour résister au glyphosate tombent malades, pour cause de déficience en minéraux. Le glyphosate chélate aussi les minéraux présents dans les organismes des mammifères qui sont contaminés par les voies de l’alimentation, provoquant des déficiences, ainsi que l’ont montré plusieurs études européennes et américaines. »
Lectures et références hautement sélectives, bien entendu. Si nous citons Mme Marie-Monique Robin, c'est juste pour l'exemple – le grand écart rhétorique est largement répandu dans l'altermonde – et pour le clin d'œil à celle qui a découvert en nous, évidemment à la suite d'une enquête minutieuse, un espion de Monsanto.
Un marchand de doute dans toute sa splendeur: on ne sait pas grand-chose de ce qu'on fait en génie génétique… mais on a déjà largement sacrifié toute une génération d'enfants...
Don Huber ? M. Rob Wallbridge – qui a l'avantage d'être un producteur bio, canadien, peu suspect de glyphophilie – a produit un démontage du discours dans « Deconstructing Don Huber – A Tale of Two Talks » (déconstruire Don Huber – un conte de deux discours). Nous en avons déjà parlé ici et ici. Mais avec Rob nous sommes dans le registre des blogs.
Plus généralement, et sur le plan scientifique, ce discours apocalyptique est démonté, par exemple, par Stephen O. Duke, de l'USDA, et al., dans « Glyphosate Effects on Plant Mineral Nutrition, Crop Rhizosphere Microbiota, and Plant Disease in Glyphosate-Resistant Crops » (effets du glyphosate sur la nutrition minérale des plantes, le microbiome de la rhizosphère des cultures, et les maladies des plantes dans les cultures résistantes au glyphosate – 2012). En voici le résumé (nous découpons en paragraphes) :
« Des allégations ont été faites récemment selon lesquelles les cultures résistantes au glyphosate présentent parfois des carences en minéraux et une maladie accrue des plantes. Cette revue évalue la littérature en rapport avec ces affirmations. Nos conclusions sont les suivantes :
(1) bien qu'il existe une littérature contradictoire sur les effets du glyphosate sur la nutrition minérale des cultures GR [résistantes au glyphosate], la plupart de la littérature indique que la nutrition minérale des cultures GR n'est affectée ni par le trait GR, ni par l'application de glyphosate ;
(2) la plupart des données disponibles confirment l'opinion selon laquelle ni les transgènes GR, ni l'utilisation de glyphosate dans les cultures GR n'aggravent les maladies des cultures ; et
(3) les données de rendement sur les cultures GR ne corroborent pas les hypothèses selon lesquelles il existe des problèmes de nutrition minérale importants ou des maladies spécifiques aux cultures GR. »
Un autre article majeur est à notre sens « Glyphosate, a chelating agent—relevant for ecological risk assessment? » (glyphosate, un agent chélateur – pertinent pour l'évaluation des risques écologiques? – janvier 2018) de Martha Mertens et al. En voici le résumé (nous découpons) :
« Les herbicides à base de glyphosate (GBH), composés de glyphosate et de produits de formulation, sont les herbicides les plus fréquemment appliqués dans le monde. L'ingrédient actif déclaré, le glyphosate, inhibe non seulement l'EPSPS, mais est également un agent chélatant se liant aux macro- et micronutriments, essentiels pour de nombreux processus végétaux et la résistance aux agents pathogènes. Le traitement par GBH peut donc entraver l'absorption et la disponibilité de macro- et de micronutriments chez les plantes.
La présente étude a examiné si cette caractéristique du glyphosate pourrait contribuer à des effets indésirables de l’application de GBH dans l’environnement et pour la santé humaine.
Selon les résultats, il n’a pas été complètement élucidé si l’activité de chélation du glyphosate contribue aux effets toxiques sur les plantes et potentiellement aux interactions entre plantes et microorganismes, par exemple la fixation de l’azote chez les légumineuses.
Il reste également à déterminer si la propriété de chélation du glyphosate est impliquée dans les effets toxiques sur les organismes autres que les plantes, décrits dans de nombreux articles.
En modifiant la disponibilité des métaux essentiels ou toxiques liés aux particules de sol, l'herbicide pourrait également avoir un impact sur la vie du sol, bien que la présence de chélateurs naturels au potentiel de chélation considérablement plus élevé rende moins probable l'impact supplémentaire du glyphosate sur la plupart des métaux.
Des recherches supplémentaires devraient élucider le rôle du glyphosate (et des GBH) en tant que chélateur, en particulier parce qu'il s’agit d’une propriété non spécifique qui affecte potentiellement de nombreux organismes et processus. Dans le processus de réévaluation du glyphosate, son activité de chélation n’a guère été discutée. »
Où l'on voit que les constantes de stabilité du glyphosate sont assez similaires à celles de l'acide citrique (Source)
Cet article très détaillé a été produit par cinq auteurs : deux d'une association « verte », Institut für Biodiversität - Netzwerk e.V., deux de l'institut d'agronomie de l'Université de Hohenheim et un de l'Agence Fédérale (allemande) pour la Conservation de la Nature. Cela explique à notre sens le style rédactionnel et le parti pris en faveur du doute : la nocivité en tant que chélateur n'est pas établie par la littérature... donc il faut poursuivre les recherches. Mais le constat est en fait clair : RAS.
Si le glyphosate « séquestrait » des micro-nutriments, il ne parviendrait à perturber que le métabolisme du zinc à condition de « contaminer » tout le sol exploré par les racines et en supposant en outre qu'il s'attaque exclusivement et spécifiquement au zinc (Source)
On trouvera aussi des réponses sur le site GMO Answers, particulièrement ici et, bien sûr, chez Monsanto.
Il y a cependant une polémique active – évidemment entretenue par l'activisme – sur l'implication du glyphosate dans ce qu'on a appelé – la désignation est parlante – maladie rénale chronique d'étiologie inconnue du Sri Lanka. Qu'en est-il ? Ce sera pour un prochain article.