Point de vue : espérons que le fiasco chinois de l’édition de gènes ne conduira pas à une interdiction cruelle et inutile de la thérapie génique germinale
Henry Miller*
Ma note : Que c'est-il passé en Chine avec le premier cas publié de thérapie génique germinale ? Nous en saurons plus au cours des semaines à venir. « Un scientifique chinois a-t-il fait naître les premiers bébés CRISPR ? » de M. Guillaume Levrier, nous semble être une excellente lecture, s'agissant notamment du contexte.
Ci-dessous un point de vue qui sort sans doute des chemins battus.
Crédit : CC0 Public Domain
Selon des rapports non vérifiés, un scientifique chinois a eu recours à la technique de l'édition de gènes CRISPR pour modifier les embryons humains à l'origine de jumelles afin de les rendre résistantes au virus VIH. (Leur père est séropositif.) Il ajoute qu'une autre grossesse à partir d'un embryon modifié est en cours.
Les sœurs qui auraient subi cette « thérapie génique germinale », via une modification des embryons avant leur naissance, seraient en bonne santé. Mais les revendications ont suscité un tollé parmi les éthiciens et certains membres de la communauté médicale. Un médecin universitaire l'a qualifiée d '« expérimentation humaine voyoute », bien que certains scientifiques, notamment le généticien renommé de Harvard, George Church, se soient prononcés en défense de l'édition de gènes et de sa capacité à prévenir les troubles génétiques.
Avant de sortir les fourches, littérales ou figuratives, prenons quelques profondes inspirations.
La « thérapie génique humaine » est l’un des objectifs de la biotechnologie depuis l’avènement des techniques moléculaires de modification génétique dans les années 1970. Il y a deux approches conceptuelles distinctes, présentant différents types d'avantages, de risques et de controverses.
La thérapie génique humaine de cellules somatiques (somatic cell human gene therapy – SHGT) modifie les gènes – par l'édition ou l'insertion de nouveaux gènes – dans les cellules de sujets humains afin de corriger les affections présentes à la naissance ou acquises plus tard dans la vie. (Les cellules somatiques sont toutes les cellules du corps, à l'exception des ovules ou du sperme, si bien que leur modification n'est pas héréditaire, c'est-à-dire qu'elle n'est pas transmise à la progéniture.) Elle peut être effectuée hors du corps du patient (ex vivo), par exemple en prélevant des cellules du patient, en les modifiant puis en les réinjectant, ou encore en injectant un virus ou une autre substance qui migre vers un ou plusieurs sites du corps et qui modifie le fonctionnement d'un organe défaillant.
L’année dernière, la SHGT a reçu une approbation pour trois traitements pour des maladies graves – et elle est prometteuse pour des affections allant de maladies génétiques rares et mortelles à la maladie de Parkinson.
Jusqu'à présent, la thérapie génique était d'un type qui n'affecte que le patient traité ; elle n'a pas modifié les cellules à l'origine du sperme ou des ovules, ni les embryons, d'une manière qui constituerait une « thérapie génique germinale » (germline gene therapy – GLGT) qui créerait une modification héritable et affecterait les générations futures. Mais dans une expérience de validation de principe portant sur l'édition de gènes avec un système appelé CRISPR/Cas9, publiée en 2015, des chercheurs chinois ont signalé une tentative infructueuse de thérapie génique germinale sur des embryons non viables qui allaient être jetés de toute façon.
Cela a conduit à une réunion des « parties prenantes intéressées » qui a conclu : « À l’heure actuelle, les problèmes potentiels de sécurité et d’efficacité découlant de l’utilisation de cette technologie doivent faire l’objet d’une étude approfondie et être compris avant que toute tentative d’ingénierie humaine ne soit sanctionnée, si jamais, pour des essais cliniques. »
Si jamais ? Vraiment ?
Le mouvement vers un moratoire a pris de l’élan depuis, mais de telles recommandations – émanant principalement de personnes qui ne traitent pas réellement les patients – sont le résultat d’une pensée de groupe qui écarte les opinions minoritaires contradictoires et produit des résultats mal motivés.
Il est contraire à l'éthique de modifier des embryons normaux et sains, mais personne ne propose de faire cela. En fait, pour effectuer une thérapie génique germinale pour traiter une maladie, il peut même ne pas être nécessaire de manipuler des embryons anormaux, car une autre approche consiste à produire du sperme normal à partir de spermatozoïdes génétiquement anormaux via la culture de tissus et l'édition de gènes.
Bien que la manipulation génétique qui vient d’être signalée en Chine n’ait pas dû être effectuée – car l’objectif aurait pu être atteint par d’autres moyens, conventionnels, un moratoire radical imposé par le gouvernement sur toute thérapie génique germinale serait mal avisé et, comme indiqué ci-après, inutile.
Même s’il est prématuré d’effectuer maintenant une thérapie génique germinale, malgré l’annonce récente d'un succès, il faut reconnaître que les technologies médicales ont rarement du succès dès la sortie des starting-blocks, mais au fur et à mesure qu’elles sont appliquées et perfectionnées, elles s’améliorent, parfois avec une rapidité étonnante. Lorsque j'étais étudiant en médecine dans les années 1970, les greffes de moelle osseuse n'étaient pratiquées que dans quelques établissements et en dernier recours, et le taux de réussite était catastrophique. Mais la découverte d’immuno-suppresseurs puissants et d’autres progrès techniques ont considérablement amélioré le taux de réussite ; et les greffes de moelle osseuse sont maintenant chose courante dans de nombreux établissements. Certaines leucémies qui étaient autrefois une condamnation à mort ont maintenant un taux de guérison d'environ 90 %. Il y a beaucoup d'histoires similaires en médecine.
Ce qui empêche les chercheurs de suivre leur voie, du moins en Amérique, c’est une réglementation anachronique. La loi interdit à la FDA d'accepter des demandes de recherche impliquant la modification génétique de la lignée germinale humaine, c'est-à-dire des ovules, du sperme et des embryons. Les NIH, dont l’approbation serait également nécessaire, se voient même frappés d'une interdiction d'examiner des demandes d'autorisation de mener de telles expériences sur des êtres humains. Ces règles remontent aux années 1970, lorsque la technologie en était à ses balbutiements. Il est facile d’invoquer des peurs hypothétiques et d’imposer des interdictions lorsque des décennies nous séparent des interventions qui sauvent des vies.
Aujourd'hui, ces interventions sont en vue — et les patients désespérés méritent d'avoir accès à tous les traitements que cette technologie est en mesure de fournir. Le public le pense aussi. Une enquête réalisée l'année dernière a révélé que près des deux tiers des Américains sont favorables à l'édition de gènes thérapeutique, aussi bien pour les cellules somatiques que pour les cellules germinales. L'opinion populaire est en phase avec la réalité scientifique. Les législateurs et les régulateurs doivent rattraper leur retard.
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* Henry I. Miller, médecin et biologiste moléculaire, est un membre senior du Pacific Research Institute. Il était le directeur fondateur du bureau de la biotechnologie de la FDA. Suivez-le sur Twitter @henryimiller.