Les rots des vaches contribuent-ils au réchauffement climatique ? Vous serez surpris !
Titre original : billet d'invité : Une nouvelle manière d’évaluer le « potentiel de réchauffement planétaire » des polluants à vie courte
Dr Michelle Cain*
Ma note : La question est abordée ici sous l'angle scientifique du calcul des contributions à l'effet de serre dans la perspective des engagements issus de l'accord de Paris.
Pour ce qui nous concerne ici, les émissions de CO2 alimentent un stock de CO2 dans l'atmosphère, alors que celles de méthane (CH4) alimentent un flux compte tenu de sa durée de demi-vie dans l'atmosphère de l'ordre de la décennie. Il en résulte qu'à production de méthane constante par les ruminants domestiques (et sauvages), le « nouveau » méthane remplace l'ancien. Le stock de méthane dans l'atmosphère reste constant dans cette hypothèse.
Il en résulte – toujours dans cette hypothèse – que le méthane contribue à l'effet de serre (c'est un GES...), mais pas à l'augmentation de cet effet.
L'Accord de Paris sur les changements climatiques prévoit un « inventaire » périodique permettant aux pays d'évaluer si leurs objectifs de réduction des émissions et les progrès qu'ils ont réalisés les mettent sur la bonne voie pour atteindre l'objectif de température à long terme. Ou s'ils échouent et ont besoin de procéder à des ajustements.
Pour le moment, la manière dont cela sera fait n'est pas évidente. Dans un nouvel article publié dans npj Climate and Atmospheric Science, mes co-auteurs et moi abordons l'un des principaux problèmes de l'inventaire : le traitement de tous les gaz à effet de serre en « équivalents CO2», à l'aide d'une métrique appelée « potentiel de réchauffement planétaire » (PRP). Cela fausse l'impact des polluants climatiques à courte durée de vie, tels que le méthane, sur le réchauffement futur.
Nous montrons que la modification de l’utilisation du PRP, afin qu’il tienne compte des différences entre les gaz à durée de vie courte et à durée de vie longue, permet de mieux relier les émissions au réchauffement. Cela signifie que l'impact réel d'une source d'émission sur la température globale peut être facilement évalué. Pour les pays ayant des émissions de méthane élevées – en raison, par exemple, de l’agriculture –, cela peut avoir un impact considérable sur la manière dont leurs progrès en matière de réduction des émissions sont évalués.
Les émissions de gaz à effet de serre sont généralement présentées en milliards de tonnes d'équivalents dioxyde de carbone (Gt eCO2). La manière de facto de convertir les émissions non-CO2 en eCO2 consiste à multiplier le gaz par son PRP100 (potentiel de réchauffement planétaire sur 100 ans). La valeur du PRP100 pour le méthane (CH4) figurant dans le dernier rapport d'évaluation du GIEC est de 28. Cela signifie que le méthane a 28 fois plus de « potentiel de réchauffement planétaire » que le CO2, donc 1Gt CH4 équivaut à 28 Gt eCO2.
Cela masque le fait que 1 Gt CH4 a une forte influence de réchauffement lors de son émission, car sa présence diminue ensuite rapidement en quelques décennies. En effet, des réactions chimiques l’enlèvent de l’atmosphère, avec une demi-vie d’environ une décennie. Ainsi, à la fin de ces 100 ans, ce méthane ne provoque plus un fort réchauffement, car il a été presque entièrement détruit.
En comparaison, une émission « équivalente » de 28 Gt de CO2 persisterait dans l’atmosphère pendant des siècles ou plus, continuant de provoquer un réchauffement presque identique à celui produit lors de l'émission. Cela montre à quel point les deux émissions ne sont pas vraiment équivalentes, ce qui a des conséquences importantes si le PRP100 est appliqué de manière inappropriée à de futurs scénarios d'émissions.
Par exemple, la figure ci-dessous montre des scénarios d'émissions simplifiés pour le CO2 et le méthane, avec les réponses qui en résultent pour la température. Si le méthane est maintenu constant (graphique central), la température restera constante. En effet, la courte durée de vie du méthane signifie que les concentrations atmosphériques resteront constantes si les sources sont constantes, en supposant que les puits sont également constants. (Notez qu'il s'agit d'une simplification permettant de démontrer le réchauffement direct dû au méthane. Les effets secondaires des rétroactions du cycle du carbone après une émission de méthane peuvent également entraîner un réchauffement supplémentaire moins important.)
En revanche, une source d'émission de CO2 stable conduit à une augmentation annuelle du réchauffement, du fait que le CO2 s'accumule dans l'atmosphère. Si les émissions de méthane sont simplement multipliées par le PRP100 pour générer un eCO2 , cela ressemblerait à une source de réchauffement, alors que cela devrait conduire à des températures stables.
Illustration schématique de la façon dont les températures moyennes mondiales réagissent aux différentes tendances des émissions de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4). Source : document d'information, « Climate metrics under ambitious mitigation » (mesures du climat sous l'effet de mesures d'atténuation ambitieuses).
L'impact est encore plus prononcé lorsque les émissions diminuent (graphique de droite). Pour le méthane, les émissions en baisse entraînent un refroidissement. La conversion en eCO2 impliquerait un réchauffement jusqu'à ce que les émissions atteignent zéro. Des scénarios d'atténuation ambitieux pourraient donc donner l'impression de provoquer un réchauffement au lieu d'un refroidissement par le méthane, s'ils sont exprimés à l'aide du PRP100.
Notre approche s’appuie sur des travaux antérieurs qui font une équivalence entre une « impulsion » d'émission de CO2 et une augmentation du taux d’émission de méthane. Le PRP est généralement défini pour comparer les impulsions d’émissions les unes aux autres. Une impulsion se produit lorsqu'une masse spécifiée de gaz est rejetée instantanément dans l'atmosphère. Au cours des années suivantes, le CO2 restera dans l'atmosphère car il s'agit d'un gaz à vie longue qui entraîne une augmentation permanente de la concentration de CO2. Une modification du taux d'émission de méthane entraîne également des concentrations plus élevées de méthane dans l'atmosphère, à supposer que les puits restent constants, la source étant plus grande. Nous appelons cet usage « PRP* », car il utilise toujours le PRP100, mais au lieu de comparer deux impulsions, il répartit les émissions de méthane de manière uniforme sur un horizon de 100 ans.
En utilisant le PRP*, les émissions de méthane exprimées en eCO2 sont beaucoup plus étroitement liées à la réponse à la température. Ceci peut être vu dans la figure ci-dessous. Les graphiques supérieurs utilisent le PRP100, tandis que les graphiques inférieurs utilisent le PRP*. Les graphiques de gauche indiquent les émissions annuelles de eCO2 (en haut à gauche) et de eCO2* (en bas à gauche). Dans les graphiques de droite, la température est indiquée par des lignes en pointillés, et les émissions cumulatives de eCO2/eCO2* par les lignes continues.
Lors de l'utilisation du PRP100, la réponse de la température au méthane ne suit pas les émissions de méthane cumulées (bleu). L’accord est bien meilleur avec l’utilisation du PRP* (graphique d, en bas à droite). En raison de la correspondance entre les émissions cumulatives de eCO2* et la réponse en température, la température atteint son maximum lorsque les émissions de eCO2* atteignent un zéro net (indiqué par des flèches).
Ce n'est pas le cas pour les émissions habituelles de eCO2 , où des émissions continues de eCO2 entraînent un léger refroidissement au cours des dernières décennies du siècle. Toute émission de eCO2 entraînant un refroidissement n’est pas équivalente au CO2 sur la base de la température.
Émissions de CO2 et de N2O de longue durée de vie (rouge), de CH4 de courte durée de vie (bleu) et de leur somme (noire) pour le principal scénario d'atténuation ambitieux du dernier rapport du GIEC (RCP 2.6). Source : document d'information, « Climate metrics under ambitious mitigation » (mesures du climat sous l'effet de mesures d'atténuation ambitieuses).
Cette non-équivalence a des conséquences importantes pour les stratégies d'atténuation. Par exemple, si le carbone est taxé. Si toutes les émissions de gaz à effet de serre sont taxées, l’utilisation du PRP100 pénaliserait injustement les émissions de courte durée, dans l’hypothèse où l’objectif est de pénaliser la contribution au réchauffement.
Considérons une centrale électrique et un troupeau de vaches. Une centrale émet du CO2 en brûlant des combustibles fossiles. Ce CO2 est taxé. Quand elle ferme définitivement, elle n’émet plus de CO2, et elle n’est donc plus taxée. Cependant, le CO2 déjà émis continue d’affecter le climat pendant des centaines, voire des milliers d’années. Ainsi, même après sa fermeture, cette centrale contribue toujours à maintenir les températures globales en raison du CO2 qui reste dans l'atmosphère.
Passons maintenant aux vaches. Un troupeau de vaches émet du méthane. L'agriculteur est donc taxé pour ces émissions. Si le troupeau conserve la même taille chaque année avec les mêmes émissions de méthane, il maintiendra la même quantité de méthane dans l'atmosphère, année après année. En termes de contribution au réchauffement, cela équivaut à une centrale électrique fermée.
La centrale électrique a fait monter les températures mondiales alors qu’elle fonctionnait dans le passé, tout comme l’arrière-grand-parent de l’agriculteur a fait monter les températures mondiales alors qu’il constituait un troupeau de bovins. Mais ni un troupeau stable de bovins, ni une centrale électrique défunte ne font plus monter les températures mondiales.
Cependant, dans presque tous les systèmes proposés pour taxer les émissions qui tentent d’inclure le méthane, l’agriculteur serait taxé pour les émissions de méthane de son troupeau chaque année où les vaches sont en vie, contrairement au propriétaire de la centrale fermée.
Une façon de rendre cela plus équitable serait de taxer les gaz à effet de serre chaque année où ils restent dans l'atmosphère. Taxer toutes les émissions depuis le début de la révolution industrielle peut toutefois s'avérer problématique. Par exemple, comment taxerions-nous James Watt ?
Une autre solution consisterait à utiliser le PRP* pour calculer les émissions équivalentes, car cela crée une équivalence entre une variation du taux d'émission de méthane et des tonnes de CO2. Ainsi, une émission stable de méthane équivaut à un taux zéro d'émission de CO2 dans le cadre du PRP*, car cela ne modifie pas le niveau de réchauffement futur, et ne serait donc pas taxé.
Le revers de la médaille est que toute augmentation soutenue des émissions de méthane serait lourdement taxée, dans la mesure où elle contribuerait de manière très substantielle au réchauffement futur. Inversement, toute réduction soutenue serait récompensée pour sa contribution au refroidissement futur.
La comparaison des gaz à effet de serre à l'aide d'un PRP* préserve le lien entre les émissions et le réchauffement ou le refroidissement de l'atmosphère. Par conséquent, le PRP* convient mieux que le PRP100 pour évaluer si le monde est sur la bonne voie pour limiter le réchauffement bien en dessous de 2°C. C'est un moyen utile d'évaluer les avantages relatifs des différentes options de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce qui pourrait être mal représenté si le PRP100 était utilisé, en particulier dans le cadre de scénarios d'atténuation ambitieux.
L'Accord de Paris lui-même impose aux parties de promouvoir « l'intégrité environnementale, la transparence, l'exactitude, l'exhaustivité, la comparabilité et la cohérence » dans leurs contributions déterminées au niveau national. Comme le PRP100 peut donner une image fausse des impacts du méthane lorsqu’il est utilisé pour représenter des scénarios conçus pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, l’utiliser de cette manière serait incompatible avec un engagement en matière d’intégrité environnementale.
Allen, M. R. et al. (2018). A solution to the misrepresentations of CO2-equivalent emissions of short-lived climate pollutants under ambitious mitigation (une solution aux fausses représentations des émissions en équivalents CO2 de polluants climatiques de courte durée de vie dans le cadre d'une atténuation ambitieuse). Npj Climate and Atmospheric Science doi.org/10.1038/s41612-018-0026-8.
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* Michelle Cain est chercheuse associée en sciences et politiques au programme sur les polluants climatiques de la Oxford Martin School à l’Université d’Oxford.
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