Steak haché : marketing de la sécurité des aliments versus maîtrise de la sécurité des aliments
Albert Amgar*
Dans un article du 15 octobre 2018, le site Paysan Breton.fr rapporte dans « Le steak haché, clé de voûte de la filière bovine » que :
Les produits élaborés (viande hachée fraîche, surgelée et autres produits élaborés), ont quant à eux connu une très forte augmentation de leur consommation (exemple : +24 % pour le steak haché en 10 ans, soit 16 000 t).
Une publicité de chez Bigard, « Bigard Mon Haché Boucher 2018 », qui passe en ce moment à la télé rapporte, a attiré mon attention :
Chez Bigard, notre métier de boucher, c’est de travailler la viande dans le respect de la qualité, choisir une pièce de bœuf entière, la trancher, la hacher traditionnellement, quelle que soit la cuisson, c’est notre secret pour un fondant incomparable…
Ce qui a retenu mon attention, c’est la mention « quelle que soit la cuisson », vraiment ?
L’Anses rapporte dans la fiche sur l’Hygiène domestique de février 2013, à propos de la cuisson des aliments,
La cuisson des aliments permet une forte réduction de la charge microbienne si la température à cœur des aliments est élevée.
La cuisson « saignant » d’un steak haché n’est pas suffisante pour assurer une protection en cas de contamination par un pathogène. Il est fortement déconseillé aux enfants de moins de 5 ans et aux personnes immunodéprimées de consommer le steak haché non cuit à cœur (L’atteinte d’une température de 70°C à cœur, mesurée à l’aide d’un thermomètre, est usuellement recommandée aux professionnels de la restauration collective. Un savoir-faire est nécessaire pour réaliser correctement une telle prise de température.) Les femmes enceintes et les personnes immunodéprimées doivent bien cuire tout type de viande.
Sur Viande.fr, « Le steak haché, comment bien le consommer ? », il est rapporté ceci :
Obtenir le degré de cuisson « bien cuit à cœur » pour le steak haché signifie atteindre à cœur une température au moins supérieure à + 70°C : après cuisson, l’intérieur doit être brun-gris et en aucun cas encore rouge ou rosé. Cette couleur brun-gris indique que les protéines à cœur ont été cuites, ce qui permet aussi de détruire les bactéries éventuellement présentes comme Escherichia coli (Plus particulièrement Escherichia coli entérohémorragiques ou EHEC) ou des salmonelles. « Bien cuit à cœur », le steak haché peut alors être consommé par tous.
L’InVS, dans la « Prévention du syndrome hémolytique et urémique (SHU) chez l’enfant âgé de moins de 15 ans en France », indique « Comment l’enfant se contamine-t-il ? »
Les bactéries responsables du syndrome hémolytique et urémique sont présentes dans les intestins de nombreux animaux (vaches, veaux, chèvres, moutons, daims, etc.) et sont éliminées par les selles qui peuvent alors contaminer l’environnement (eau, fumier, sol) et les aliments. Elles supportent bien le froid (survie de plusieurs jours dans un réfrigérateur), mais sont détruites par la cuisson.
La contamination se produit :
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par ingestion d’aliments contaminés consommés crus ou peu cuits : viande de boeuf (en particulier hachée), lait ou produits laitiers non pasteurisés, jus de pomme, légumes crus, ou eau de boisson contaminée ;
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en portant ses mains souillées à la bouche, après avoir touché des animaux porteurs de la bactérie ou leur environnement contaminé ;
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par contact avec une personne malade qui excrète la bactérie dans ses selles (« maladie des mains sales »).
Dans le document de 2015, « Information des consommateurs en matière de prévention des risques biologiques liés aux aliments. Tome 2 – Évaluation de l’efficacité des stratégies de communication. Avis de l’Anses. Rapport d’expertise collective. », on se référera aussi au paragraphe « Risque lié aux Escherichia coli producteurs de shigatoxines (STEC) dans la viande hachée de bœuf ». L’on nous dit :
Une modification des modes de cuisson de steaks hachés (« Cuits à cœur ») chez les jeunes enfants se traduit par une diminution équivalente du niveau de risque. Ainsi, une campagne de communication conduisant à une modification des modes de cuisson pour 5% des jeunes enfants, diminuerait le risque de SHU de 5% dans cette population.
La cuisson à cœur des steaks hachés destinés aux jeunes enfants est la mesure préventive applicable par les consommateurs pour diminuer le risque de SHU lié à ces produits.
Notons que les « Données de surveillance du syndrome hémolytique et urémique en 2017 » indiquent qu’en 2017, « Une augmentation nette de l’incidence a été observée » et qu’elle présente un taux de 1,40/100 000 enfants de moins de 15 ans.
L’auteur de ces quelques lignes ne doute pas un instant des efforts constants et réguliers de l’entreprise Bigard pour maîtriser le danger EHEC dans la viande hachée. Mais une publicité attire l'attention et, hélas, le marketing de la sécurité des aliments n’y est pas pour le consommateur lambda auquel elle s’adresse. La maîtrise de la sécurité des aliments en est absente ; c’est dommage… même si le plan de surveillance 2017 de la contamination des viandes hachées de bœuf par Escherichia coli producteurs de shigatoxines (STEC) indique que « Le taux de contamination des viandes hachées de bœuf par STEC apparaît relativement stable depuis 2009 et faible (inférieur à 1%) et que « …le taux de contamination des viandes hachées réfrigérées sur le cumul des 8 dernières années est estimé à 0,2 % (IC95-[0,1-0,4 %]). »
Les résultats obtenus permettent de rappeler l'importance combinée de deux niveaux de maîtrise de ce danger :
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en amont, la mise en place, par les professionnels, des plans de maîtrise sanitaire, permettant de réduire le risque de mise sur le marché de produits contaminés, dès l'abattoir en prenant notamment en compte la propreté des animaux et la maîtrise des étapes d'habillage et d'éviscération, puis à la transformation par le respect des bonnes pratiques d'hygiène, et la vérification de l'efficacité des mesures de maîtrise par la réalisation d'autocontrôles aux points critiques (y compris le contrôle des matières premières au stade de la production) ;
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en aval, le respect par les consommateurs des conditions de cuisson indiquées, le cas échéant, sur l'étiquetage des produits (cf. « Recueil de recommandations de bonnes pratiques d'hygiène à destination des consommateurs »).
Malheureusement, le Recueil de recommandations de bonnes pratiques d’hygiène à destination des consommateurs indique « Pour les enfants de moins de 15 ans : veiller à bien cuire à cœur les steaks hachés, à une température supérieure à +63°C (cela correspond visuellement à une viande non rosée à cœur). »
En bref, la température est erronée et la couleur est un indicateur trompeur…
Le plan de surveillance 2017 ajoute : « Les résultats 2017 doivent donc être interprétés avec prudence, des biais au niveau de l'échantillonnage ne pouvant être exclus », raison de plus pour bien cuire à cœur son steak haché !
Comme le disent très souvent les industriels alimentaires dans leurs communiqués de rappel, ils « …procède[nt] par mesure de précaution au retrait et rappel... » ; c’est cette même précaution qu’il faudrait adopter vis-à-vis des steaks hachés en les cuisant à cœur et non pas « quelle que soit la cuisson »…
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* Albert Amgar a été pendant 21 ans le dirigeant d'une entreprise de services aux entreprises alimentaires ; il n'exerce plus aujourd'hui, car retraité. Au travers de son blog il nous a livré des informations dans le domaine de l’hygiène et de la sécurité des aliments. Désormais, je l'accueille avec plaisir.