Start-up d’État pour accompagner la sortie du glyphosate : ridicule, indécent et irresponsable
C'est l'Élysée qui a lancé, le 22 novembre 2018, le site internet Glyphosate : objectif 2020 sous-titré : « De l'engagement aux actes ! ». C'est même une « initiative du Président de la République ».
Pauvre République...
Répétons notre opinion avec le terme qui convient : « sortir du glyphosate » est une énorme connerie sur les plans agronomique, économique, environnemental, sanitaire et sociétal (dans l'ordre alphabétique). Un début de preuve nous est apporté par ce site macronien !
Ce serait, selon la France Agricole (réservé aux abonnés) « une plate-forme d’engagement et d’accompagnement de sortie du glyphosate ».
Pour l'engagement, on est servi : deux énormes compteurs à six chiffres, bloqués à zéro à l'heure où nous nous avons commencé à écrire, le 23 octobre 2018 en fin d'après-midi, tant pour les « agriculteurs sortis du glyphosate » que pour les « agriculteurs engagés à sortir ».
Les agriculteurs qui sont « sortis du glyphosate ou souhaite[nt] [s']engager à en sortir d’ici à 2020 » peuvent inscrire... leurs parcelles. Comment ? Nous n'avons pas essayé d'entrer dans le système pour vérifier qu'il y a un minimum de sécurité et de sérieux (pas comme ces pétitions qui permettent à Jules César de manifester son indignation).
Que vont afficher les compteurs ? La réponse nous a été donnée par le premier frémissement cybernétique : ce sera effectivement un nombre d'agriculteurs. Quatre agriculteurs de la Vienne ont donc déclaré être sortis du glyphosate pour 11 parcelles et un autre (ou l'un des quatre...) s'est engagé pour 13 parcelles. Nous ne mettrons pas en doute la bonne foi des répondants, mais cela soulève tout de même quelques interrogations.
Quatre agriculteurs de la Vienne ? À moins que les compteurs et la carte ne soient pas actualisés simultanément. Car ce vendredi 23 novembre 2018, à 18h17 (heure du rafraîchissement de la page), la carte affichait 0 + 0 parcelles pour une Charente en vert foncé (c'est devenu 1 sortie et 0 engagée à 18h28) et 5 sorties et 0 engagée pour le Gard. Cela n'a pas bougé à l'heure où nous mettons en ligne.
L'écran suivant – le début de la procédure d'inscription – précise : « Attention ! Si vous êtes exploitant bio, vous n'avez pas besoin d'effectuer cette déclaration. » Comment empêcher un agriculteur bio d'alimenter les compteurs ? Et pourquoi un agriculteur aurait-il « besoin... » ?
Cela ressemble fort à un système volontaire obligatoire...
Et peut-être inquisitoire ! La carte de France pour indiquer le « nombre de parcelles déclarées sans glyphosate par département » peut être agrandie jusqu'au niveau des communes. Quand il n'y a plus que trois agriculteurs dans une commune, le récalcitrant – qu'il ne soit pas « sorti du glyphosate », ou qu'il refuse le procédé et défende sa liberté de pensée et d'action – aura peut-être du souci à se faire.
Est-ce voulu ? Cette « start-up » est-elle un moyen de coercition par une mise au pilori implicite des récalcitrants ? La CNIL a-t-elle été consultée ?
De toute manière, que signifie un engagement à l'horizon du 31 décembre 2020 ? Faites le calcul :
« J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans. »
C'est le texte du funeste gazouillis à la mode Trump du 27 novembre 2017 ! Les engagements sont donc totalement factices !
Cette mise en route fort laborieuse du site donne à penser qu'il s'agit d'une opération de com' destinée à « démontrer » que les agriculteurs sont disposés à se lancer dans un projet fou et stupide. Les manipulateurs d'opinion qui ont concocté cela seront bien penauds si le monde agricole – déjà submergé par les contraintes administratives – ne suit pas.
Les « contrats d'engagement » qui ont été exigés dans le cadre des États Généraux de l'Alimentation ont déjà mis la pression sur la filière agroalimentaire et dégagé le gouvernement de toute responsabilité en cas d'échec (en cas de réussite il ne manquera pas d'en revendiquer la paternité). Ce site met maintenant la pression sur les agriculteurs individuels : si les réponses ne sont pas suffisantes, ils seront traînés devant le tribunal de l'opinion publique...
Selon le Parisien, « Un site pour aider les agriculteurs à sortir du glyphosate »,
« "Donner une visibilité aux alternatives, montrer que les solutions existent et surtout qu’elles sont rentables est une excellente idée !" s’enthousiasme François Veillerette de l’association Générations futures qui, une fois n’est pas coutume, salue l’action du gouvernement. Glyphosate.gouv.fr, très accessible, doit aussi servir de vitrine pour montrer aux Français que le monde agricole agit, alors qu’Emmanuel Macron avait renoncé à inscrire dans la loi la sortie du glyphosate avant 2020. »
Nul doute que M. François Veillerette a déjà compris tout le bénéfice qu'il peut tirer de ce site pour la bonne santé de sa petite entreprise et les profits du biobusiness...
C'est le texte de l'onglet qui suit celui du gazouillis du Président Emmanuel Macron.
Allez à la page et vous constaterez qu'elle s'adresse au... grand public.
On notera tout de même cette sorte d'aveu :
« Le glyphosate permet aux agriculteurs d’éliminer les plantes vivaces, invasives, allergènes ou toxiques sans avoir besoin de travailler le sol. [...] »
Et bien oui, voilà ce qu'on demande aux agriculteurs – et à d'autres opérateurs engagés dans la gestion des territoires (y compris les particuliers à partir du 1er janvier 2019) – d'abandonner...
La suite est imbécile :
« […] Peu cher et efficace, le glyphosate a contribué à l’installation de systèmes de culture plus simples, avec moins d’espèces cultivées, des rotations plus courtes. »
Sous l'intertitre « Le glyphosate est-il nocif pour la santé et l’environnement ? » on expose le point de vue du CIRC ainsi que les conclusions de l'EFSA et de l'ECHA (avec, il faut le relever, mention de l'absence d'effet de perturbation endocrinienne... Allô ! M. Hulot !). Mais...
« [Le CIRC] estime qu'il existe des preuves démontrant une association entre l'exposition au glyphosate et le développement de cancers tels que le lymphome non hodgkinien et le cancer du poumon. »
Non, pas le cancer du poumon...
Mais « Comment sortir du glyphosate en 3 ans ? » Voici le texte car il vaut son pesant de cacahuètes (notez l'URL de la page qui annonce un « pourquoi » !) :
« Le Président de la République a souhaité que la France aille plus vite encore en sortant du glyphosate d’ici 3 ans, fin 2020.
L’objectif de la sortie du glyphosate n’est pas de le remplacer par un autre herbicide, mais bien d’impulser un changement profond dans les façons de produire. Les agriculteurs vont devoir retrouver des conduites agronomiques adaptées à leur système et mettre en place des alternatives plus respectueuses de l’environnement.
Les alternatives ne seront pas les mêmes selon les cultures concernées.
L’agriculture a déjà connu de grandes transitions dans son histoire, sortir du glyphosate en trois ans en fera partie. »
On n'y apprend donc rien... sauf qu'il s'agit d'un caprice du Président Macron et que, de gré ou de force, ce caprice devra se réaliser.
C'est une invitation à passer à la page « Solutions et alternatives ». Une invitation faite aux agriculteurs qui sont pris pour des imbéciles et des ignares.
Mais encore une fois, c'est un salmigondis pour public ignorant des choses de l'agriculture. On est loin de la « plate-forme d’engagement et d’accompagnement de sortie du glyphosate » évoquée par la France Agricole.
Vous pouvez laisser votre adresse courriel et – croix de bois, croix de fer – « nous reviendrons vers vous prochainement ». Combien de personnes engagées dans cette pantalonnade, à nos frais évidemment ?
Le « rapport de l'INRA » – ce monument de flagornerie – figure en bonne position :
« Le rapport de l’INRA montre que des alternatives au glyphosate existent déjà pour près de 90% des surfaces agricoles. »
Où sont les solutions ? Dans la ligne du haut… glyphosate...
Et, dans la suite, on décrit de manière sommaire des techniques culturales comme le « travail du sol, sans retournement, plus superficiel que le labour, avec des outils à dents ou à disques, ou des outils animés comme la herse rotative », les « techniques sans labour, ou des techniques culturales simplifiées (TCS) », l'absence de tout travail du sol, ou encore le « semis direct »... techniques qui, dans bien des cas, reposent sur un usage raisonné du... glyphosate !
Ce texte est « agrémenté » d'une photo pas bien belle... décrit-elle comment sera notre agriculture sans glyphosate ?
C'est l'invitation à cliquer sur « Découvrez leur histoire » qui envoie à une page « Témoignages ». Une invitation sur le mode de l'humiliation...
Mais ce sont encore des messages publicitaires – des discours convenus avec plein de belles phrases creuses – à l'intention des personnes étrangères à l'agriculture.
Dommage que l'article de la France Agricole, « L’Élysée lance son site d’accompagnement » soit réservé aux abonnés. Il rapporte des déclarations de conseillers de la présidence de la République qui sont de véritables perles :
« Le but est d’essaimer les bonnes pratiques de ceux qui sont sortis du glyphosate [...]. Les premiers de cordée aident les autres dans le changement. C’est une forte attente des Français et l’agriculture a intérêt à montrer ce qu’elle fait. Certains agriculteurs sont par exemple prêts à ouvrir leur exploitation à d’autres agriculteurs, ce site permettra de les mettre en contact. »
Visiblement, on ne sait pas à l'Élysée qu'il y a des structures administratives ou privées pour cela.
« Si un agriculteur écrit un mail sur son souhait d’investir dans un robot pour le désherbage mécanique par exemple, on pourra le mettre en relation avec d’autres agriculteurs de la même région qui ont la même requête, pour faire une commande groupée. De même, si on voit que sur un département, il y a vingt agriculteurs en demande de formation pour sortir du glyphosate, on pourra organiser cette formation. »
C'est du niveau des BA des boy scouts...
« Il y a plein de bonne volonté pour sortir du glyphosate, mais il y a de la déperdition d’informations. Ce site créera un lien entre les agriculteurs [...]. Cela n’a jamais été tenté de mettre en relation directement les agriculteurs pour accélérer la dynamique. On part du terrain pour aller vers l’objectif national. »
Ah bon ! Là on a plutôt l'impression qu'on part de l'Élysée pour aller nulle part.
Pleinchamp rapporte cette autre déclaration dans « L'Etat lance un site pour pousser les agriculteurs à sortir du glyphosate » :
« C'est une démarche de start-up d'Etat car ce site permet de mettre en place dans l'Etat une équipe en mode projet, temporaire, qui mobilise toutes les compétences pour sortir du glyphosate, jusqu'à ce qu'on ait réussi l'objectif. »
Voilà qui fleure bon les discours du temps passé de certains régimes qui se sont écroulés.
Selon une blague célèbre chez ceux qui ne pouvaient parler de politique que sur ce mode, Nikita Krouchtchev était un grand agronome : il semait le blé en Ukraine et le récoltait au Canada...
Bientôt, avec ces gribouilles, nous sèmerons le blé en France et le récolterons en Ukraine...
Ce n'est pas tout ! Toujours de la France Agricole et de conseillers de l'Élysée :
« C’est au monde agricole de se saisir de cet outil [...]. Nous avons discuté avec les syndicats, les chambres d’agriculture… et ils s’engagent à promouvoir ce site auprès des agriculteurs, car c’est complémentaire de leurs actions telles que le contrat de solutions, les plans de filières, les ferme Dephy… »
Et la FA rapporte :
« Bizarrement, du côté de la FNSEA notamment, le message est différent. "Nous n’avons été informés de cette initiative que quelques minutes avant le lancement du site, s’étonne Éric Thirouin, président de la commission environnementale de la FNSEA. Nous avions rendez-vous lundi 26 novembre avec le ministère de l’Agriculture pour parler du contrat de solutions et du projet de Start-up d’État. On regrette que cette start-up ait été créée sans concertation avec les acteurs qui sont sur le terrain. L’État n’est pas dans la concertation ni dans l’accompagnement financier." »
Non, pas de mesure financière prévue, mais c'est dans l'ordre des choses pour un État désargenté...
Ce qui nous semble plus grave encore, c'est l'absence de concertation avec le Ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation.
En résumé, c'est consternant. Et, à notre sens, extrêmement inquiétant car c'est une preuve de plus de l'immense désert intellectuel qu'est l'Élysée sur les questions agricoles.
Nous ne pouvons qu'approuver l'appel du Vice-président de la FNSEA Éric Thirouin :
« "Au nom de la FNSEA, je m’insurge sur un système de dénonciation qui ne donne pas son nom, appuie Éric Thirouin en parlant de ce site internet. C’est un site clivant entre les agriculteurs qui utilisent du glyphosate et ceux qui n’en n’utilisent pas." »
C'est surtout un site clivant entre le monde agricole et la société.
Ajout du dimanche 25 novembre 2018 à 12h30 : la Charente et le Gard disparaissent… la Somme apparaît avec 14 parcelles "sorties"...