Rappels des produits alimentaires, toujours une absence de transparence à tous les niveaux
Albert Amgar*
Chacun se souvient de la médiatisation de la crise Lactalis et de la constitution d’une commission d’enquête, mais une fois retombée les demandes de tous poils et les cortège de promesses non tenues, les affaires continuent, as usual comme l’on dit, avec son lot de rappels de produits alimentaires et faute de transparence à tous niveaux, des avis de rappels de produits alimentaires d’un même fournisseur deviennent une saga ; la communication, l’information et la transparence sont toujours les grand absents…
Voyez donc ce qui suit, c’est édifiant.
Comment savoir ce qui se passe dans notre pays quand il est ou va être question de rappels de produits alimentaires ?
Comme la transparence de l’information de la part de nos autorités n’a toujours pas atteint sa plénitude, on peut lire des informations sur les sites de rappels des pays voisins et amis, notamment de la Belgique et du Luxembourg. On peut aussi avoir plus de détails en consultant le portail du RASFF de l’UE si le produit alimentaire est commercialisé à l’international.
Bien entendu quelques distributeurs font le job et vous lirez leur nom dans les quelques exemples qui suivent…
L’exemple ci-après prend en compte la situation de rappels en France et/ou à l’étranger qui demanderaient quelques éclaircissements… surtout quand les produits concernés proviennent du même fournisseur…
Rappels récents pour cause de présence de Listeria monocytogenes
Ces rappels récents pour cause de présence de Listeria monocytogenes sont en train de devenir une saga… par manque d’information et de transparence…
Outre la Belgique (supermarchés Cora et Match) le 7 novembre 2018 et le Luxembourg, le 8 novembre 2018, il y a eu quatre avis de rappels en France de mini blinis de la société Delabi de marque Leader Price, Ronde des Mers (E. Leclerc) et Casino, le 6 novembre 2018, mais pas d’information sur le site des rappels de produits de la DGCCRF, ni sur celui du ministère de l’agriculture.
La cause du rappel est la présence de Listeria monocytogenes. On sait par le RASFF de l’UE que les autorités françaises (DGCCRF et/ou ministère de l’agriculture) ont notifié le 7 novembre une alerte pour la présence de Listeria monocytogenes (> 1 500 ufc/g) dans des mini blinis, référence 2018.3183, mais toujours pas d’information en France… de la part de nos autorités…
Ces mini blinis ont-ils été réalisés dans le même atelier ou le même site industriel où d’autres produits de ce groupe alimentaire ont été rappelés précédemment pour cause de présence de Listeria monocytogenes ?
À ce jour, nous ne le savons pas…
Ce que l’on sait, c’est l’historique de trois rappels précédents pour différents types de produits de l’Atelier Blini (marque commerciale de la société Delabi) les 20 août, 10 et 18 octobre 2018 dans l’article, « Après trois rappels en deux mois pour cause de présence de Listeria, la DGCCRF communique enfin… ».
En effet, sous le curieux titre, « Avis de rappel d'entrées chaudes de la marque "l’atelier Blini" », la DGCCRF nous narre le 19 octobre 2018 les soucis rencontrés par cette entreprise dans la maîtrise de Listeria monocytogenes. Il ne s’agissait pas encore des mini blinis…
Extraits
Le 16 août dernier, la direction départementale de la protection des populations (DDPP) du Calvados a été destinataire d’un signalement de la société Delabli relatif à la détection de Listeria monocytogenes dans des falafels de la marque « l’atelier Blini » dans le cadre d’un contrôle de routine.
La bactérie a été retrouvée à un taux supérieur aux limites réglementaires concernant les produits prêts à consommer. Compte tenu du risque de consommation sans réchauffage de ces produits, l’entreprise a alors procédé au retrait et rappel des lots concernés.
Un plan d’autocontrôles renforcé a en outre été mis en place en complément des mesures de gestion classiques (nettoyage désinfection, blocage des lots issus des mêmes matières premières).
[…] Des investigations sont menées pour identifier l’origine de la contamination. Des contrôles renforcés ont été mis en place par l’opérateur.
Le ministère de l’agriculture quant à lui avait publié le 19 octobre 2018 un avis de « Retrait et rappel de produits de la marque l'atelier Blini ».
Par ailleurs, sans rapport (vraisemblablement ?), une entité du même groupe alimentaire, a rappelé en France le 8 novembre 2018 du « Risotto saumon champignon de marque DELPIERRE », pour cause de présence de Listeria monocytogenes :
Rappel en France le 8 novembre de Risotto saumon champignon de marque DELPIERRE chez Auchan, Carrefour, Géant Casino et Intermarché : problème rencontré : Présence de Listeria monocytogenes.
Rappel aussi au Luxembourg le 9 novembre 2018 de Rizotto aux deux saumons, sans qu’il y ait pour autant de notification au RASFF de l’UE :
La société AUCHAN a informé les autorités de sécurité alimentaire luxembourgeoises du rappel du produit Risotto aux 2 saumons vendu sous la marque Delpierre dû à la présence de Listeria monocytogenes.
Pas de notification au RASFF de l’UE par la France !
Revenons donc aux mini blinis… car la success-story se poursuit désormais le 13 novembre 2018, un lot pouvant en cacher un autre, Leader Price informe :
« La société Delabli procède aujourd’hui au retrait de la vente d’un deuxième lot (183521) de mini blinis suite à la suspicion de présence de Listeria monocytogenes.
Pour l’instant, toujours pas de notification au RASFF de l’UE par la France…
L'AFSCA en Belgique annonce le 14 novembre 2018 un « Update rappel de Mini blinis cocktail Cora x16 ». Problématique : présence de Listeria monocytogenes.
Il s’agit du même lot 183451 que celui distribué et rappelé en France précédemment…
Mais dans un second communiqué de l'AFSCA toujours daté du 14 novembre 2018, on apprend :
Rappel de mini blini des marques « Leader Price » et « Franprix » suite à une communication des Autorités sanitaires françaises via le système européen d’alerte RASFF ». Problématique : présence de Listeria monocytogenes.
Ce qui est étonnant, c'est que la mention, « suite à une communication des Autorités sanitaires françaises via le système européen d’alerte RASFF » provient d’après les autorités belges contactées de la notification au RASFF par la France du 7 novembre 2018.
Ce produit aurait-il dû être mis à nouveau sur le marché ?
Le plus extraordinaire est intervenu le 16 novembre 2018, avec ce communiqué maladroit et incomplet (panique à bord ?) du ministère de l'agriculture informant d’un Retrait-rappel complémentaire de l'entreprise Delabli.
En complément des produits portant la marque L’atelier Blini concernés par la mesure de retrait-rappel du 18 octobre dernier, les produits suivants commercialisés sous différentes marques font l’objet de mesures similaires :
Produits concernés : 16 mini blinis (produits réfrigérés), lot n°183451 portant DLC 19/11/2018 et lot n°183521 portant DLC 26/11/2018
Ce communiqué tente de faire d'une pierre deux coups : il tente en vain de pallier le manque d’information sur un premier rappel de mini blinis (lot n°183451) qui a eu lieu, il y a désormais 10 jours (le 6 novembre 2018), et pour lequel nos autorités n’ont publié aucun communiqué. Mais il ajoute aussi le rappel d'un autre lot de min blinis (lot n°183521) qui a déjà été annoncé par un distributeur, il y a trois jours...
Comme indiqué plus haut, il faut noter que la « mesure de retrait-rappel du 18 octobre dernier » n’était pas seule puisque d’autres rappels antérieurs ont eu lieu les 20 août et 10 octobre 2018…
Enfin rappelons aussi que pour ce type de produits, ce n'est pas le ministère de l'agriculture qui communique habituellement sur la mesure de retrait-rappel, mais la DGCCRF. En effet, c’est la DGCCRF qui avait publié deux communiqués (1 et 2) sur le retrait-rappel de l’Atelier Blini le 19 octobre 2018...
Mais l’honneur est sauf, car le 19 novembre, la DGCCRF publie le même communiqué que celui du ministère de l’agriculture du 16 novembre, confirmant ainsi qu’il y a pas d’astreinte le week-end pour la diffusion des avis de rappels et pas de coordination…
Autant de coïncidences avec tous rappels ayant la même cause et concernant le même groupe alimentaire peut entraîner des questions légitimes…
Nous sommes donc encore à des années-lumière de ce qu’entend proposer la Commission européenne :
La Commission propose une révision ciblée du règlement relatif à la législation alimentaire générale associée à la révision de huit textes relatifs à la législation sectorielle, afin d'aligner ceux-ci sur les règles générales et de renforcer la transparence dans les domaines des OGM, des additifs pour l'alimentation animale, des arômes de fumée, des matériaux en contact avec des denrées alimentaires, des additifs, enzymes et arômes alimentaires, des produits phytopharmaceutiques et des nouveaux aliments.
Parmi les éléments principaux de la proposition :
-
assurer une plus grande transparence, en permettant aux citoyens d'avoir un accès automatique et immédiat à toutes les informations en matière de sécurité soumises par l'industrie dans le cadre du processus d'évaluation des risques;
Nous en sommes effectivement très, très loin… d’autant que l’on ne voit pas bien à quoi a servi le Rapport d'enquête de M. Grégory Besson-Moreau chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques publié le 19 juillet 2018…
Citons tout de même quelques propositions issues du Tome I de ce rapport :
- Proposition n° 3 :
Mettre en place un site internet unique rassemblant l’ensemble des informations relatives aux crises sanitaires en cours et sur lequel les citoyens pourront signaler à l’administration des éléments utiles à l’identification ou à la gestion des crises. Ce site sera décliné en application mobile.
Le site Oulah! (site Internet privé) est là pour pallier à cette absence de site internet unique, au grand dam des associations de consommateurs qui ne font pas vraiment le job…
Ainsi en octobre 2018, le site Oulah a répertorié 80 avis de rappel, UFC Que Choisir 41, 60 Millions de consommateurs 32 et la DGCCRF 15 ; c’est sans commentaire !
– Proposition n° 4 :
Prévoir, dès le premier retrait-rappel, la mise en place d’un numéro vert unique géré par les services de l’État pour répondre aux questions du public. Ce numéro se substituerait à ceux mis en place par les industriels et les distributeurs. Il serait mieux adapté aux besoins des citoyens en matière de sécurité sanitaire des aliments.
Pas opérationnel
- Proposition n° 5 :
Renforcer les obligations de communication externe pesant sur les services de l’État en révisant le protocole d’information, de coordination et de gestion des crises sanitaires d’origine alimentaire du 5 novembre 2013.
Pas opérationnel
- Proposition n° 6 :
Numéroter par ordre chronologique chacune des alertes concernant les produits d’un même fournisseur en rappelant les alertes précédentes pour éviter toute confusion.
C’est précisément ce que tente de rapporter cet article et comme vous avez pu le constater nos autorités sont aux abonnés absents !
– Proposition n° 7 :
Mettre à jour dans les meilleurs délais le guide d’aide à la gestion des alertes d’origine alimentaire rédigé par la DGCCRF, la DGS et la DGAl.
Pas opérationnel
Un rapport de plus à ranger dans les armoires ?
Dans la rédaction des rapports, on est décidément toujours très forts, mais quant à mettre en pratique la transparence en matière de sécurité des aliments... mais vous n’y pensez pas, alors que le rapport précité souligne « Ce manque de transparence nourrit la défiance et alimente un sentiment de suspicion. »
Un dernier point, pour mémoire : il y a eu à la semaine 46 de 2018 en France, 294 avis de rappel de produits alimentaires versus 192 avis de rappel pour toute l’année 2017, soit 65 % 34,7 % de plus…
Au niveau du RASFF de l’UE, à la semaine 46 de 2018, pour les produits alimentaires d’origine France, il y a eu 201 avis de rappel de produits alimentaires versus 133 notifications pour toute l’année 2017, soit 66,1 % de plus… pratiquement le même chiffre que les produits alimentaires rappelés en France…
Sur ces 201 notifications, 78 (38%) ont été notifiés par la France au RASFF de l’UE...
Dans le cadre de tout va très bien dans l’UE en matière de sécurité des aliments, un communiqué du 19 novembre de l’ECDC fait état d’une « Mise à jour épidémiologique: Épidémie de plusieurs infections à Salmonella Enteritidis liée à des œufs polonais ».
Depuis l'évaluation conjointe de l'ECDC et de l'EFSA relative à une épidémie dans plusieurs pays d'infections à Salmonella Enteritidis liée à des œufs polonais, publiée le 12 décembre 2017, 15 pays de l'UE/EEE (Belgique, Danemark, France, Hongrie, Islande, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Norvège, Pologne, Slovénie, Suède et Royaume-Uni) ont signalé 336 cas confirmés, 94 cas probables et 3 nouveaux cas confirmés dans le passé, associés à cette flambée de plusieurs pays par Salmonella Enteritidis dans l'UE / EEE.
La France a rapporté un total de 29 cas, dont nous n’avons jamais entendu parler par nos autorités sanitaires... merci encore une fois pour la transparence…
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* Albert Amgar a été pendant 21 ans le dirigeant d'une entreprise de services aux entreprises alimentaires ; il n'exerce plus aujourd'hui, car retraité. Au travers de son blog il nous a livré des informations dans le domaine de l’hygiène et de la sécurité des aliments. Désormais, je l'accueille avec plaisir.