Farine et la sécurité des aliments, c’est toujours d’actualité !
Albert Amgar*
Il y a quelques années, si on avait la présence de la bactérie Salmonella, on disait que c'était peut-être la farine ou peut-être un autre ingrédient de la pâte à gâteau comme les œufs…
La farine provient de blé séché, moulu et non traité thermiquement (car il dégrade le gluten). Au fur et à mesure que Salmonella se dessèche, elle devient plus résistante et survit pendant des mois (ou plus).
Lorsque l’on fait des gâteaux, d’autres ingrédients entrent en ligne de compte et dans ces conditions, il faut rappeler qu’il ne faut pas manger de la pâte à gâteau crue ou de la pâte de farine crue. C'est d'ailleurs ce qu'indiquait une BD de... 1993, qui mettait en scène Calvin et Hobbes.
La mère de Calvin indiquait qu'il ne fallait pas manger de la pâte à biscuits crue en raison du risque lié à Salmonella (dans l’exemple qui va suivre, il vous suffit de remplacer Salmonella par E. coli pathogènes…).
En 2016, des E. coli pathogènes de deux sérovars O121 et O26 ont été à l'origine d'une épidémie liée à de la farine (crue) qui a touché 56 personnes. Les chercheurs impliqués dans cette investigation (Crowe et ses collègues) ont publié leurs travaux cette semaine dans le New England Journal of Medicine. Article rédigé d’après Doug Powell du barfblog.
L'épidémie a commencé en décembre 2015 et elle s'est poursuivie jusqu'en septembre 2016. Cinquante-six cas ont été identifiés dans 22 États.
La chose la plus importante à retenir à mes yeux est ce qui suit (une très bonne explication du fonctionnement d’une investigation) :
Des entretiens téléphoniques ouverts ont ensuite été menés avec 10 patients, qui ont tous indiqué qu'ils faisaient fréquemment des gâteaux ou qu’ils consommaient régulièrement des gâteaux cuits au four à la maison. Cinq des patients se sont rappelés avoir fait de la pâtisserie au cours de la semaine précédant l'apparition de la maladie et trois autres ont indiqué qu'ils auraient pu en faire au cours de cette période. Sur les 5 patients qui se souvenaient de leur activité pâtissière, 4 ont déclaré avoir mangé ou goûté de la pâte maison, dont 3 avaient utilisé de la farine de la marque A. Le quatrième utilisait la marque A ou une autre marque. Deux des patients (un résident du Colorado et un habitant de Washington) avaient toujours des paquets de farine de la marque A qu'ils avaient utilisés la semaine précédant l'apparition de la maladie.
Peu de temps après, les investigateurs ont identifié trois enfants malades qui ont été exposés à de la farine crue dans des restaurants du Maryland, de la Virginie et du Texas. Le personnel du restaurant leur avait donné de la pâte crue avec laquelle ils pouvaient jouer en attendant que leur repas leur soit servi.
Comment le mystère de ces éclosions est-il résolu ?
Beaucoup d’interviews, de génération d’hypothèses, puis une analyse cas par cas ou cas-témoins. C’est à la fois un travail de détective, de statistiques et de science. Parfois, les interviews sont désordonnées, mais celles-ci montrent ce qui se passe quand cela fonctionne.
Une investigation approfondie sur les deux paquets de farine de la marque A recueillis auprès de patients du Colorado et de Washington a révélé que la farine du Colorado était de la farine tout usage produite le 14 novembre 2015 et que la farine de Washington était de la farine tout usage blanchie produite le 15 novembre 2015. Les deux paquets ont été produits dans le même établissement. La farine utilisée dans la pâte crue donnée aux enfants dans des restaurants du Maryland, de Virginie et du Texas provenait également de cette installation, de même que la farine de trois paquets supplémentaires recueillis chez des patients résidant dans l'Arizona, en Californie et dans l'Oklahoma.
Les auteurs concluent :
Étant donné que cette éclosion a entraîné l'hospitalisation de plus d'un quart des patients et le développement d’un syndrome hémolytique et urémique chez l'un d'entre eux, elle rappelle les conséquences importantes des infections à STEC sur la santé. L'enquête a également mis en évidence un certain nombre de problèmes qui ont contribué à cette épidémie dans plusieurs États. STEC O121 a été introduit dans un produit distribué commercialement à une concentration suffisante pour causer un nombre important de maladies. Cependant, les comportements des consommateurs et des distributeurs ont accru le risque de maladie résultant de la contamination de la farine. Ces comportements comprenaient la consommation de pâte crue ou de pâte maison crue ou insuffisamment cuite, qui a longtemps été découragée en raison du risque connu de salmonellose résultant de la consommation d’œufs crus, ainsi que l’autorisation faite aux enfants de jouer avec de la pâte crue dans les restaurants et d’utiliser de la farine pour fabriquer de la pâte à modeler pour les enfants à la maison. Nos données montrent que, bien qu’il s’agisse d’un aliment à faible teneur en eau, la farine crue peut être un vecteur d’agents pathogènes d’origine alimentaire.
Enfin, problème jamais abordé en France, voici détaillé le coût du rappel de farine de marque A, source Le coût d’un rappel produit dans l’industrie agroalimentaire.
Bien entendu il existe d’autres dangers liés à la farine, sans oublier de mentionner la Chine avec la présence d’un ingrédient potentiellement dangereux, une intoxication alimentaire (18 personnes) en France en 2012 en raison de la présence de datura (alcaloïdes tropaniques) dans de la farine de sarrasin bio et quelques avis de rappels de farine bio et la présence de mycotoxines (1, 2 et 3) par le passé.
A noter qu’en 2018 en France, la farine a fait au total l’objet de cinq avis de rappel, dont quatre concernant de la farine bio :
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deux avis de rappel ont concerné la présence de datura (1 et 2),
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un avis de rappel pour la présence de résidus de pesticides à un taux supérieur à la limite réglementaire autorisée, et
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un autre concernant la présence de mycotoxines de type ochratoxine A et un avis de rappel pour cause de faibles traces de gluten.
A signaler, enfin, un document de la DGCCRF publié le 27 août 2018 sur la « Contamination de certaines denrées alimentaires par les mycotoxines, l’ergot, les alcaloïdes de l’ergot et les alcaloïdes tropaniques ».
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* Albert Amgar a été pendant 21 ans le dirigeant d'une entreprise de services aux entreprises alimentaires ; il n'exerce plus aujourd'hui, car retraité. Au travers de son blog il nous a livré des informations dans le domaine de l’hygiène et de la sécurité des aliments. Désormais, je l'accueille avec plaisir.