Édition du génome végétal : l'INRA a-t-il une stratégie ?
La presse agricole a annoncé... nous avons cherché le document princeps... nous avons ramé sur le site de l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA)... et nous avons fini par trouver le document, « Stratégie de l'Inra en matière d'utilisation des technologies d'édition du génome végétal ». Les six principes sous-tendant cette stratégie ont été approuvés par le Conseil Scientifique de l’INRA réuni le 19 septembre 2018. Il y a plus de sept semaines...
Est-ce vraiment une stratégie ? Sur le papier, ce sont des lignes de conduite, sans plus... et dans la réalité ? On peut le craindre : encore moins.
Courage, la bien-pensance nous dicte la prudence...
Voici un élément de contexte :
« Les technologies d’édition des génomes font aujourd’hui partie des leviers disponibles en génétique et amélioration des plantes. Compte tenu des débats sociétaux et réglementaires relatifs à ces technologies, la direction de l’Inra souhaite clarifier sa stratégie d’utilisation de l’édition des génomes dans le cadre de ses recherches sur les végétaux, au vu de différents éléments de contexte. Cette stratégie s’inscrit pleinement dans les valeurs de l’Institut et dans sa volonté de contribuer au progrès environnemental, social et économique. »
C'est joliment écrit – encore que l'on puisse s'interroger sur une « volonté » qui n'est en fait que la mission qui incombe à l'institut de recherche.
Ces quelques lignes cachent une démission : nulle ambition de peser sur les « débats sociétaux et réglementaires ». Peser par la vulgarisation des technologies en question afin d'en améliorer la compréhension et l'acceptation, par le démontage de la désinformation, et par l'explication des enjeux.
On peut donc craindre une répétition de la débâcle des PGM, des plantes améliorées par transgenèse : les « débats sociétaux et réglementaires » risquent d'être négatifs (ils le sont déjà), faute de contributeur institutionnel de poids pour contrer la pléthore d'annonciateurs de l'Apocalypse (y compris des rangs de l'INRA), donc l'INRA se claquemurera dans l'immobilisme. Ou encore une répétition de la débâcle du glyphosate : le gouvernement veut... donc l'INRA « démontrera » que le gouvernement a raison.
Ce même besoin de s'insérer dans le moule de la bien-pensance s'exprime dans les paragraphes introductifs dans lesquels sont décrits – avec force autosatisfaction – les activités de l'Institut dans le domaine du végétal et de l'amélioration des plantes sensu lato. On y apprend donc que :
« L’Inra possède une expertise reconnue en génétique et amélioration des plantes. Les recherches conduites par ses équipes vont de la production de connaissances à la mise au point de méthodes d’amélioration des plantes. Elles couvrent l’exploration de la diversité génétique des espèces cultivées et de leurs apparentées ainsi que la valorisation de cette diversité, notamment par la sélection assistée par marqueurs, la génétique d’association, la sélection génomique et la sélection participative. Dans certains cas, les travaux vont jusqu’à la création variétale, pour soutenir certaines filières ou pour sélectionner des caractères non pris en compte par les sélectionneurs privés.[...] »
Quelle ampleur ces travaux, surtout de « sélection participative » ? Quels résultats pratiques ? Quel rapport coûts-bénéfices ?
Des « éléments de stratégie »
Le document énonce après une longue introduction « 6 principes » sous un titre – « Éléments de stratégie » – qui laisse entendre quelque chose de plus consistant. C'est « comment on va faire », dans l'optique de préciser par implication les limites auto-imposées. Pour le « voici ce qu'on va faire », il faut faire un exercice d'interprétation constructive des principes, hormis le premier, plus spécifique mais décrivant bien l'absence d'ambitions.
Pour bien enfoncer le clou de bien-pensance, la prétendue stratégie « s'inscrit dans une ambition à la hauteur des enjeux scientifiques, réglementaires et éthiques précités ». On n'en attend pas moins... quoique... les « enjeux […] éthiques »... Elle « s'articule autour de 6 principes conformes aux valeurs de l'Institut et s'appuie sur l'expertise de l'Inra en matière de génétique et d'amélioration des plantes ». On n'en attend pas moins non plus, notamment sur ce dernier point.
« Capacité d'expertise »
Le premier principe est le « Maintien d'une capacité d'expertise en accord avec la mission de recherche publique de l'Inra. »
Ah la folle ambition que voilà ! Il n'est même pas question d'une acquisition de l'expertise scientifique, mais d'une « capacité » à évaluer les résultats, a priori des autres !
« […] il relève de ses missions de recherche publique et de sa responsabilité sociale d'explorer les bénéfices potentiels […] mais également d'analyser leurs limites et de caractériser les risques éventuels sanitaires, environnementaux ou socio-économiques des produits dérivés et des modes d'utilisation de ces produits. »
???
Le deuxième principe se lit : « Des technologies indispensables à l'acquisition de connaissances ».
Est-ce vraiment un « principe » ? Mais voici le reste du texte :
« Les nouvelles technologies d'édition du génome permettent d'explorer la variabilité génétique et d'étudier la fonction, la régulation et l'évolution des gènes, essentielles à l'amélioration des connaissances et à la compréhension du vivant. Elles contribuent à l'émergence de nouveaux fronts de science, que l'Inra se doit d'explorer. »
Faut-il comprendre – implicitement – que l'INRA fera de la recherche fondamentale ? Mais ce serait au niveau de l'exploitation des technologies– et non de leur développement –, et ce, pour mieux comprendre le vivant. Il aurait été plus efficace de l'énoncer clairement.
Utilisation des technologies « en amélioration des plantes »
Le troisième principe a trait à l'« Utilisation des technologies d'édition du génome en amélioration des plantes ».
Mais ce n'est pas très engageant ! Non, ce n'est pas « nous allons faire de belles choses (si ça marche) », mais :
« L'évaluation des possibilités offertes par les techniques d'édition du génome, est légitime au sein de l'Inra, en complément des outils classiquement utilisés pour l'amélioration des plantes. [...] »
Non, ce n'est pas « l'utilisation... », mais « l'évaluation... » Faut-il croire que la « stratégie » de l'INRA est maintenant dictée par un syndicat très actif sur des questions sociétales – un syndicat qui n'a pas condamné la destruction de l'outil de travail des chercheurs de Colmar mais qui, au contraire, « partage une bonne partie des arguments qui ont conduit à cette action » ? Que dit-il en résumé d'un gloubiboulga indigest ?
« En conclusion, comme pour les OGM, ces nouvelles techniques moléculaires ne changent rien aux problèmes précédents ; pire, elles pourraient les accentuer. En tant que syndicalistes SUD Recherche EPST de l’INRA, nous réaffirmons ici notre refus de voir ces techniques se répandre dans les champs. »
Retour à l'INRA canal institutionnel. Son texte mielleux donne à croire que la récente invitation de M. José Bové – oui, celui qui a participé au vandalisme des serres du CIRAD en juin 1999 – comme orateur de marque pour la célébration des 20 ans du Département Environnement et Agriculture de l'INRA n'était pas une initiative malavisée d'organisateurs ayant des agendas qui s'éloignent de l'agronomie. « Bové, le faucheur de science, invité par l’INRA : le loup dans la bergerie » avait écrit M. Marcel Kuntz ? Ce n'est peut-être plus une bergerie. Et M. Anton Suwalki a des éléments de réponse à ses questionnements.
On nous laisse toutefois entendre qu'il y aura des travaux pratiques :
« […] Les caractères et les espèces cibles seront choisis dans un objectif de bien commun, pour des usages et des systèmes de production s'inscrivant dans une logique de durabilité environnementale, économique et sociale, par exemple en vue de la réduction des pesticides de synthèse ou de l'adaptation au changement climatique. »
Encore des gages à la bien-pensance ! Ça va même jusqu'à succomber à la propagande anti-pesticides qui ne s'attaque qu'à ceux qui sont « de synthèse ».
La publication de ce document qui n'a de « stratégie » que le nom, celui de la défaite de la rationalité, s'est accompagnée d'interviews. Dans Agrapresse, Mme Christine Cherbut, directrice générale déléguée aux affaires scientifiques expose :
« Par ailleurs, l’Inra n’utilisera pas l’édition du génome pour n’importe quelle finalité. Nous ne créerons pas de plantes résistantes aux herbicides. En revanche, nous serons favorables aux recherches sur l’amélioration de la résistance aux maladies (avec à la clé une réduction forte des produits phytosanitaires), ou sur l’adaptation des plantes au changement climatique. »
On s'interdit par avance de créer des variétés résistantes « aux herbicides » (non, à un herbicide ou une classe d'herbicides...) ? C'est irresponsable.
C'était précédé de ceci :
« Au vu de notre mission de service public, il serait irresponsable de ne pas [...] considérer [le levier de l'édition du génome]. L’Inra se doit d’être expert sur ce type de technologie pour éclairer, notamment vis-à-vis des risques éventuels, nos décideurs de politique publique et la sphère privée. »
On avance vers l'avenir à reculons... et « notamment vis-à-vis des risques éventuels ».
« Conduite des expérimentations »
Selon le quatrième principe – qui évoque tout de même, audacieusement, la « création et la caractérisation des plantes obtenues par édition de génome » –, on travaillera en milieu confiné, au laboratoire et en serre, dans le respect de la réglementation. Et :
« La justification d'essais au champ pour consolider leur évaluation agronomique, technologique et environnementale sera soumise à un comité d'experts rattaché au Directeur Général Délégué aux Affaires Scientifiques de l'Inra, avant de les soumettre aux instances prévues par la réglementation en vigueur, en France comme à l'étranger. »
Mais patatras, on revient en arrière :
« Ce comité [...] évaluera l'opportunité d'utiliser les technologies d'édition des génomes par rapport aux méthodes alternatives et la contribution potentielle des innovations variétales envisagées à la transition agro-écologique. »
Alors que l'INRA dispose d'un Conseil Scientifique, on créera un comité « d'experts » pour évaluer en amont « l'opportunité d'utiliser... » par rapport, notamment, à un concept fumeux, la « transition agro-écologique ».
Et la contribution des résultats à l'agriculture que nous qualifierons ici de « conventionnelle » pour simplifier ? La contribution à l'amélioration de la valeur alimentaire et nutritionnelle, ou encore technologique des produits ? Mais voyons... ce n'est pas branché, trendy !
« Ouverture de la recherche »
Rien de nouveau :
« ...l'Inra reste fidèle à ses principes d'ouverture, et encourage la co-construction de projets de recherche dans le cadre d'approches pluridisciplinaires et multi-acteurs. »
« Propriété intellectuelle »
Rien de nouveau non plus, avec ce sixième principe. Hélas !
« L'Inra soutient la liberté d'accès à l'ensemble des ressources génétiques telle que prévue par les accords internationaux. »
Non, « les accords internationaux » sont plus complexes. Le Traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture (TIRPAA), constamment mal interprété, ne prévoit en son article 12 qu'un « accès facilité », avec des limitations et des obligations, et ce, pour une liste limitative d'espèces.
Le texte soutient aussi le Certificat d'Obtention Végétale (COV) « qui garantit le progrès génétique et sa diffusion aux agriculteurs, reconnaît le droit des agriculteurs à produire et utiliser des semences de ferme [...] ». C'est encore faux pour le dernier point, car la situation est plus complexe. En Europe, ce droit ne s'applique qu'à deux douzaines d'espèces, certes les plus importantes sur le plan agricole, et sous réserve du paiement d'une redevance à un taux réduit dont sont exemptés les « petits agriculteurs ».
S'opposer à la « brevetabilité du vivant » est une attitude quasi-incontournable dans les milieux « bien ». Ce texte élude astucieusement le problème, éminemment complexe, tout en donnant, apparemment, des gages au monde alter et anti :
« Si le régime de propriété intellectuelle des variétés végétales venait à évoluer, l'Inra défendrait les valeurs associées au COV et la non brevetabilité des plantes issues d'édition du génome. »
Le régime de propriété intellectuelle est relativement stabilisé aujourd'hui en Europe et il ne faut pas s'attendre à des bouleversements. Quand à l'INRA qui défendrait... par quels moyens et pour quels résultats ?
Et l'agriculture ?
Grandiloquence en introduction – mais pour une mise en valeur de l'Institut par rapport aux seuls sujets à la mode :
« Face aux enjeux de la transition agro-écologique et de la résilience des systèmes alimentaires au changement climatique, l’Inra produit des connaissances et met en œuvre ses compétences et son savoir-faire pour proposer des solutions innovantes dans le domaine des productions végétales. »
La « transition agro-écologique » est encore mentionnée, mais dans le contexte de l'évaluation de « l'opportunité d'utiliser les technologies d'édition des génomes » par rapport à d'autres méthodes.
Sinon, le mot « agronomie » apparaît une fois, comme descriptif d'un domaine de recherche...
À part ça, le désert !
Et l'alimentation ?
Certains travaux porteront sur des espèces et des caractères qui :
« s’inscrivent dans le cadre du développement de systèmes agricoles et alimentaires durables, en coopération ou en complémentarité avec les secteurs professionnels concernés. »
Le désert !