Bio et cancer : quelques autres critiques
Glané sur la toile 276
Le tapage médiatique a cessé à propos de « Association of Frequency of Organic Food Consumption With Cancer Risk – Findings From the NutriNet-Santé Prospective Cohort Study » (association de la fréquence de consommation d'aliments biologiques avec le risque de cancer – résultats de l'étude de cohorte prospective NutriNet-Santé) publié le 22 octobre 2018 dans JAMA Internal Medicine par une équipe de chercheurs de l’INRA, de l'INSERM, de l'Université Paris 13, du CNAM et de quelques autres institutions (Julia Baudry et al.).
Mais il y a des rationalistes qui se sont penchés sur cette œuvre en prenant un peu plus de temps, chacun apportant une nouvelle pierre à l'édifice – au final impressionnant – de critiques.
Mais commençons par un coup de gueule.
Le Tout Lyon Affiche écrit le 6 novembre 2018 : « Manger bio protège du cancer », un articulet de trois paragraphes dont le premier a la teneur suivante :
« Les aliments bio ont moins de risque de contenir des résidus de pesticides. Logiquement, ils devraient être meilleurs pour la santé dans la mesure où les produits phytosanitaires sont néfastes. Toutefois, peu d'études ont établi un lien validé scientifiquement, entre leur consommation et un effet protecteur. »
« ...logiquement... » ? Il serait bon que les journalistes apprennent quelques bribes de logique. Et un peu de culture générale ne ferait pas de mal... « Alle Dinge sind Gift, und nichts ist ohne Gift; allein die dosis machts, daß ein Ding kein Gift sei » – Theophrastus Bombastus von Hohenheim, dit Paracelse.
Il serait aussi bon qu'ils apprennent, tout simplement, le métier. En rester, trois semaines après la publication de l'article « scientifique » à la communication tendancieuse et élogieuse en occultant les critiques, c'est pathétique. Quant à l'enchaînement des trois phrases... quelle indigence !
Même l'AFP – pourtant pas une valeur sûre pour l'information dans les domaines qui titillent la fibre de l'émotion environnementale ou sanitaire – a trouvé le moyen de citer le Pr John P. A. Ioannidis, professeur de médecine à l'Université de Stanford :
« L'étude a 3% de chance d'avoir trouvé quelque chose d'important, et 97% de propager des résultats absurdes et ridicules. »
L'humour est aussi une réponse pertinente à l'information biaisée. M. Laurent Alexandre s'y est adonné dans l'Express avec « Posséder un Picasso protégerait du cancer ». En chapô :
« Les corrélations accidentelles sont la hantise des scientifiques. Les riches vivent plus longtemps que les pauvres et développent moins de cancers. »
Un moment fort :
« Il est donc bien trop tôt pour affirmer un lien de cause à effet, et d'autres études seront nécessaires pour affiner ces résultats. Les corrélations accidentelles sont la hantise des scientifiques, mais la presse et les politiciens ne prennent aucune des précautions que les excellents auteurs de cette étude ont prises. »
C'est l'occasion de rappeler qu'il existe des sites sur les « spurious correlations ».
Consommation per capita de fromage et décès par étranglement dans les draps aux États-Unis d'Amérique
On peut aussi explorer la toile pour les nombreux graphiques de Mme Stephanie Seneff ou de Mme Nancy Swanson sur les corrélations – devenues chez elles des preuves de cause à effet – entre l'utilisation du glyphosate et les maladies les plus diverses.
(Source)
(Source)
Sur le site Imposteurs.over-blog, M. Anton Suwalki a attaqué le problème à partir d'un exercice d'auto-justification et d'auto-disculpation de M. Stéphane Foucart dans le Monde. Cela a donné « Selon Stéphane Foucart du Monde, "en matière de santé publique, le rigorisme scientifique est une posture dangereuse" ! »
Laissons M. Stéphane Foucart à ses démons militants. M. Anton Suwalki note en particulier à propos de l'étude Baudry et al. :
« D’autres résultats sont suspects : Si on s’attend bien à trouver le cancer du sein au 1er rang des cancers survenus, le cancer du poumon n’est même pas évoqué, alors qu’il est le 2ème cancer le plus fréquent chez l’homme et le 3ème chez la femme, et près de 9 fois plus fréquent que les cas de lymphomes non hodgkiniens (LNH) (4 [Estimation nationale de l’incidence des cancers en France entre 1980 et 2012, INVS, Francim, Hopitaux de Lyon, Institut National du Cancer]). On déduit des résultats de l’étude que le nombre de LNH(47) survenus dans la cohorte étudiée est plus de 3 fois supérieur au nombre de cancers du poumon moins de 15). Ça n’est pas du tout cohérent avec l’incidence connue pour ces cancers, même en tenant compte de l’âge des participants, et de leur statut (fumeur actuel / ancien fumeur). Cette bizarrerie n’est pourtant pas commentée dans l’étude. Un tel biais n’aurait pourtant pas dû leur échapper.
Avec ce graphique, les idéologues du bio comprennent la différence entre corrélation et relation de cause à effet… mais uniquement pour les ventes de produits bio et l'autisme...
Grâce à M. Philippe Stoop. Il a produit « Alimentation bio et risque de cancer : Quand les statistiques décident des résultats ». Résumé :
« Résumé : une publication récente a observé un risque de cancer réduit de 25% environ chez les forts consommateurs de bio, à rebours de la grande majorité des études précédentes sur ce sujet. Ce résultat a le plus souvent été interprété comme la démonstration d’un effet protecteur des aliments bio, car les données étaient bien sûr redressées de l’effet des facteurs nutritionnels classiquement considérés comme liés favorablement ou défavorablement au cancer (consommation d’alcool, de viande rouge, de plats ultratransformés, ou à l’inverse consommation de fruits et légumes et de fibre). Mais les résultats de ces ajustements statistiques sont surprenants : tous ces facteurs nutritionnels n’auraient qu’un effet minime comparé à l’effet propre des aliments bio. Pourtant, une étude précédente des mêmes auteurs, sur la même cohorte, et avec la même méthode statistique, avait montré un fort effet des aliments ultratransformés sur le cancer ! Où est l’erreur ? »
Cette analyse est très didactique et compréhensible pour quiconque sait lire autre chose que la littérature de salle d'attente. Notons encore l'ouverture :
« Une publication récente de l’INRA et de l’INSERM déclare avoir observé un lien négatif entre incidence du cancer et consommation de produits de l’agriculture biologique, dans une vaste enquête épidémiologique sur les habitudes alimentaires des Français (Baudry et al, 2017[1]). Un résultat que la presse (quelque peu incitée par les auteurs de la publication il est vrai…) a le plus souvent interprété comme la démonstration d’un effet favorable de l’alimentation bio sur la santé. Peut-on vraiment tirer cette conclusion de la publication ? Nous allons voir que c’est loin d’être sûr. Ce qui est certain, c’est qu’une publication récente des mêmes auteurs démontre à l’évidence que la méthode statistique est inadaptée… voire qu’elle permet de choisir à volonté le responsable principal des cancers liés à l’alimentation ! »
Ce qui est pointé du doigt ici, ce n'est pas seulement l'étude de Baudry et al., mais l'ensemble de la démarche de recherche dans ce domaine, du moins de cette équipe.
Et il y a du grain à moudre. M. Philippe Stoop pointe aussi le doigt vers « Quelques petits arrangements avec l’objectivité scientifique » et dénonce « Un nouvel exemple de "Foucartisation" de la science française » :
« Le niveau de preuve de cette publication est donc inversement proportionnel à son potentiel médiatique. Il s’agit d’un exemple typique de ce que nous avons déjà appelé la "Foucartisation[5]" d’une certaine science française, qui vise plus les leaders d’opinion comme Stéphane Foucart du Monde, que les scientifiques. Comme d’habitude sur ce type de sujet, cet article a été abondamment cité dans la presse, le jour même de sa sortie, ce qui confirme une fois de plus l’efficacité des services de presse des instituts de recherche. Comme on pouvait s’y attendre, il était cité sans aucun recul critique par la presse écologiste et la majorité des medias comme une démonstration d’un effet favorable du bio sur la santé, même si pour une fois quelques voix un peu plus critiques ont souligné le manque de représentativité de la population suivie, et rappelé qu’il ne s’agissait que de corrélations statistiques qu’il ne fallait pas surinterpréter. Toutefois la plupart de ces avis critiques ont attribué les dérives à l’interprétation des medias, et non à la publication elle-même. Il faut tout de même s’interroger sérieusement sur le rôle des revues scientifiques, et des auteurs eux-mêmes, sur ces dérives. »
M. Philippe Stoop rejoint donc M. Hervé This – peu connu pour des opinions à l'emporte-pièce – qui a considéré sur son blog que la démarche de l'éditeur était malhonnête :
« Une fois de plus, une revue américaine publie un mauvais article et publie simultanément un éditorial qui dit que cet article est mauvais. Drôle de pratique, non ? »
Le titre est cinglant, moins pour les auteurs de l'article (quoique...) que pour les communicants institutionnels et la majorité des médias : « Non, il n'est pas établi que les aliments bio protègent du cancer ».
Son document téléchargeable contient les analyses de M. Léon Guéguen (10 points – non, pas comme dans le concours de l'Eurovision... 10 points de fond) et de M. Gérard Pascal (6 points).
Il y est en fait davantage question de l'instrumentalisation médiatique (en partie socio-politique par des « journaliste » qui se font les porte-voix de leurs propres préférences alimentaires et du biobusiness) que de l'article lui-même.
« Quoique » avons nous écrit ci-dessus... M. Gérard Pascal conclut :
« On observe aussi que les auteurs de l'étude n'ont pas contredit le communiqué de presse sans nuance qui annonçait leur article. »
M. Léon Guéguen termine sur une note un peu plus positive :
« 10. Heureusement de nombreux articles de presse et sites internet prennent notre relais (et de façon plus efficace auprès du grand public) pour dénoncer la façon dont les conclusions de cette étude ont été tronquées ou déformées. A cet égard, certains de nos journaux devraient prendre modèle sur le grand quotidien britannique The Guardian qui présente une analyse pertinente et objective de cette étude et titre "Don’t believe the hype, organic food doesn’t prevent cancer !". Il est vrai qu’il a eu la sagesse de confier la rédaction de son article à une épidémiologiste expérimentée… »
Cette sage recommandation devrait être développée : nos journaux feraient bien d'engager une réflexion commune sur leur fonctionnement dans le contexte actuel qui allie difficultés financières, concurrence exacerbée, course à l'échalote pour la primeur sur Internet... et dérives déontologiques.
À en croire les articles scientifiques – agrémentés de bémols correspondant aux « petits arrangements avec l’objectivité scientifique » selon la formule de M. Philippe Stoop – les communiqués de presse valorisants, sinon plus, des institutions de recherche et les interprétations, sur-interprétations et instrumentalisations des médias (ainsi que des parties intéressées et des réseaux sociaux), le bio réduit les risques de cancer de 25 %.
Réduisez la part des aliments « ultratransformés » de x pour cent, et vous réduisez à peu près d'autant le risque de cancer tous types confondus et de cancer du sein... Oui, oui... du communiqué de presse de l'INSERM :
« Une augmentation de 10% de la proportion d’aliments ultra-transformés dans le régime alimentaire s’est révélée être associée à une augmentation de plus de 10% des risques de développer un cancer au global et un cancer du sein en particulier. »
A contrario donc éliminer ces aliments diminue – oups ! Est associé à une diminution des risques (voir aussi deux critiques ici).
Dans la série des remèdes miracles contre le cancer (au conditionnel toutefois), le Point vient de publier « Santé : se lever tôt diminue-t-il les risques de cancer du sein ? ». En chapô :
« Une étude britannique, relayée par la BBC, explique que l'horloge biologique pourrait avoir une influence sur les risques de cancer. »
Ce n'est pas franchement nouveau. Le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a classé le travail posté de nuit en « probablement cancérogène » (dans le cadre d'une évaluation plus sérieuse que pour le glyphosate).
Selon le texte,
« ...les lève-tôt (ou alouettes) auraient effectivement légèrement moins de chances que les lève-tard (ou chouettes). Les premières se réveillent plus tôt et ont tendance à être fatiguées plus tôt dans la soirée, les secondes ont plus de mal à se réveiller et se fatiguent plus tard. »
« ...légèrement » ?
« Selon les résultats, le risque de cancer du sein était 40 à 48 % moins élevé chez les alouettes que chez les chouettes. L'étude a également mis en évidence un risque supplémentaire de cancer du sein chez les femmes qui dormaient plus longtemps que la durée recommandée de sept à huit heures par nuit, précise USA Today. »
Notons au passage le problème déontologique : on se copie...
Sauf erreur, il n'y a pas encore d'« étude britannique », mais une communication à la Conférence de l'Institut National de la Recherche contre le Cancer (NCRI) – programme ici, mais nous n'avons pas trouvé la communication.
Mais tout de même, concluons sur une note sarcastique : plutôt que de dépenser vos sous pour du bio, mesdames, levez-vous tôt…