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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

En matière d'information du public, le militantisme journalistique est une posture détestable

30 Octobre 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #critique de l'information, #Activisme, #Article scientifique, #Agriculture biologique, #Pesticides

En matière d'information du public, le militantisme journalistique est une posture détestable

 

À propos d'une chronique de M. Stéphane Foucart dans le Monde

 

 

 

 

Rigueur n'équivaut pas à rigorisme. Ni militantisme à journalisme.

 

 

(Le lien vers l'article de l'AFP)

 

 

Au commencement était « Association of Frequency of Organic Food Consumption With Cancer Risk – Findings From the NutriNet-Santé Prospective Cohort Study » (association de la fréquence de consommation d'aliments biologiques avec le risque de cancer – résultats de l'étude de cohorte prospective NutriNet-Santé) de Baudry et al., publié dans JAMA Internal Medicine, avec un commentaire sollicité par l'éditeur, « Organic Foods for Cancer Prevention—Worth the Investment? » (produits biologiques et prévention du cancer – cela vaut-il l'investissement ?) de Hemler, Chavarro et Hu.

 

 

Science militante instrumentalisée

 

Notons d'emblée que M. Hervé This – peu connu pour des opinions à l'emporte-pièce – a considéré sur son blog que la démarche de l'éditeur était malhonnête :

 

« Une fois de plus, une revue américaine publie un mauvais article et publie simultanément un éditorial qui dit que cet article est mauvais. Drôle de pratique, non ? »

 

Une fois de plus, un travail scientifique discutable par bien des aspects – mais ce n'est pas le propos ici – a fait l'objet d'une sur-interprétation orientée, d'une communication valorisante et d'une instrumentalisation militante indues. À ce jeu se sont particulièrement illustrés les journalistes du Monde Planète Stéphane Foucart et Pascale Santi avec « L’alimentation bio réduit significativement les risques de cancer » publié sur la toile le 22 octobre 2018 (« Manger bio réduit les risques de cancer » dans l'édition papier datée du 24 octobre 2018).

 

Errare humanum est...

 

Pour le dire tout net, les deux auteurs ont été pris les doigts dans le pot de confiture de l'infox, de la fake news.

 

Les critiques ayant plu, M. Stéphane Foucart a éprouvé le besoin d'insister avec « En matière de santé publique, le rigorisme scientifique est une posture dangereuse » (les guillemets font partie du titre).

 

La « chronique » est derrière un péage, mais vous pouvez la lire sur son compte Twitter, l'auteur ayant cru bon de verser dans la forfanterie, sur un ton méprisant (c'est son droit) :

 

« Bon, j'avoue... j'ai "complètement craqué". J'ai commis une chronique obscurantiste, anti-science, horrible, scandaleuse, etc. Pour que chacun puisse en profiter (et exercer son esprit critique), la voici ».

 

 

 

 

Exerçons notre esprit critique !

 

M. Stéphane Foucart ne croyait pas si bien dire !

 

 

Un superbe homme de paille

 

Le chapô est instructif :

 

« Sur certaines questions, la preuve parfaite ne pourra jamais être obtenue, estime Stéphane Foucart, journaliste au « Monde »... »

 

Est ainsi exposé un superbe homme de paille : non, il ne s'agit pas de preuve parfaite, mais d'honnêteté dans l'interprétation de résultats scientifiques et la description d'un travail scientifique pour le grand public.

 

 

« Je maintiendrai » !

 

Et M. Stéphane Foucart insiste dans l'infox, la fake news :

 

« Rarement étude épidémiologique aura reçu une telle attention. Chacun à sa manière, la majorité des grands médias internationaux a rendu compte de ses résultats[...] : les plus grands consommateurs de "bio" (environ 50 % de leur alimentation) ont un risque diminué de 25 % de contracter un cancer, par rapport aux plus petits consommateurs. Avec, comme explication la plus plausible avancée par ses auteurs, la présence, plus fréquente et en plus grande quantité, de résidus de pesticides de synthèse dans l’alimentation conventionnelle. »

 

Aucun bémol, aucune mise en perspective... Même pas de conditionnel journalistique. Au contraire :

 

« Quelques voix, y compris scientifiques, se sont élevées pour relativiser ces conclusions. »

 

Non, ce ne sont pas quelques voix !

 

À commencer par la revue JAMA Internal Medicine, qui a cru bon de solliciter un commentaire critique qui souligne dans une phrase alambiquée que « le lien entre le risque de cancer et la consommation de produits biologiques demeure incertain ».

 

À continuer par l'Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), dont relève l'auteure principale de l'étude Emmanuelle Kesse-Guyot, qui souligne dans une phrase également alambiquée de son communiqué de presse que « le lien de cause à effet ne [peut] être établi sur la base de cette seule étude ».

 

À finir par Mme Emmanuelle Kesse-Guyot elle-même, sur France Culture le 26 octobre 2018 (donc avant la publication de la chronique) :

 

« ...cela été présenté par les médias comme si on avait apporté une preuve. On n’apporte pas une preuve, on apporte des premiers éléments de relation d’association, avec un travail rigoureux en prenant en compte les fameuses caractéristiques des consommateurs et des non-consommateurs. Mais on reste dans une étude d’observation donc pas de lien de cause à effet. »

 

 

Le sophisme de l'appel au ridicule

 

Technique éprouvée :

 

« L’écho donné à ces travaux aurait été excessif : l’échantillon de l’étude serait biaisé, il faudrait attendre d’avoir confirmation du résultat, il ne faut pas affoler les gens, la cigarette et l’alcool sont plus dangereux, une autre étude, britannique celle-ci et publiée en 2014, n’a pas montré de liens entre alimentation bio et cancer en général… »

 

Ouf ! Nous avons échappé à l'amiante...

 

Le sophisme du hareng rouge ou de la fausse piste

 

Cela débouche sur une péroraison qui fait un amalgame entre « exigence de rigueur » et « rigorisme » et dont la conclusion s'exprime dans le titre de la chronique. Nouveau sophisme !

 

Non, il ne s'agit pas d'obtenir la « preuve parfaite » – un argument parfaitement ridicule quand on voit l'usage fait du « principe de précaution » –, mais de la rigueur que l'on est en droit d'exiger dans la conception, l'exécution, la présentation des résultats et l'interprétation d'une étude scientifique ; et surtout, en l'occurrence, dans l'information qui est diffusée à son sujet.

 

M. Stéphane Foucart fait cependant une concession :

 

« Un biais ignoré pourrait-il être cause ? C’est possible. »

 

Picorage (cherry picking)

 

Mais c'est pour se lancer dans un extraordinaire exercice de marketing de la peur fondé sur le picorage – le cherry picking du seul cas favorable à ses thèses issu de la comparaison entre l'étude de Baudry et al. et celle de Bradbury et al. qui a exploité les données de la Million Women Study britannique : le lymphome non hodgkinien.

 

Mis à part une incidente qui paraît bien désinvolte (« ...si elle n’a pas montré de liens significatifs entre alimentation bio et cancer en général), le fait que les deux études ne sont pas concordantes est passé sous silence... En avant donc pour la réduction, suggérée en filigrane, de l'incidence des lymphomes non hodgkiniens grâce au bio... mais avec un nouvel argument fallacieux.

 

Les chiffres donnés pour différents pays et pour la France sont censés nous affoler, par exemple + 292 % pour la Norvège depuis... 1954. Et :

 

« En France, les quatre registres les plus anciens (Doubs, Isère, Bas-Rhin et Calvados) ne remontent que jusqu’à la fin des années 1970. Depuis cette période, ils indiquent une augmentation d’incidence des LNH comprise entre 115 % et 135 %. »

 

Mais le facteur clé est l'incidence – ou serait si on prenait au sérieux les résultats de l'étude de Baudry et al. (celle de Bradbury et al. est à la limite du seuil de signification pour une population neuf fois supérieure). Les LNH représentent un peu plus de 3 % de l’ensemble des cancers incidents, et se situent, par leur fréquence, au 7e rang chez l’homme et au 5e chez la femme. En 2005, l’incidence standardisée à l’âge de la population mondiale était de 12,1 pour 100.000 personnes-années chez l’homme et de 8,2 pour 100.000 personnes-années chez la femme (à comparer à quelque 350/100.000 et 280/100.000 pour l'ensemble des cancers). L’âge moyen au moment du diagnostic se situe autour de 65 ans.

 

 

 

 

Du reste, M. Stéphane Foucart concède :

 

« Jusqu’à présent, cette tendance générale à la hausse, sur des territoires et au sein de populations si différents, est inexpliquée. »

 

Une hausse qui, du reste, semble se stabiliser ces dernières années (voir par exemple ici). Mais est-ce à dire qu'il est aussi concédé que la piste des pesticides – dans l'alimentation – n'est pas avérée ? Certainement pas.

 

 

Les « les grands scandales sanitaires ou environnementaux » appelés à la rescousse

 

Le militantisme est en effet imperméable à la rationalité.

 

En témoigne cette grandiose conclusion :

 

« A regarder rétrospectivement les grands scandales sanitaires ou environnementaux, on observe que, presque toujours, signaux d’alerte et éléments de preuve étaient disponibles de longue date, mais qu’ils sont demeurés ignorés sous le confortable prétexte de l’exigence de rigueur, toujours libellée sous ce slogan : "Il faut faire plus de recherches." La probabilité est forte que ce soit ici, à nouveau, le cas. »

 

«  Il faut faire plus de recherches » ? C'est pourtant un des points clés de l'étude de Baudry et al. (avec un « si » et un « pourrait ») :

 

« ...si les résultats sont confirmés » – ce qui implique nécessairement pour un esprit rationnel qu'il faut confirmer ces résultats... par plus de recherches –, promouvoir la consommation d'aliments biologiques auprès de la population générale pourrait constituer une stratégie préventive prometteuse contre le cancer. »

 

C'est aussi leur (presque) mot de la fin :

 

« D'autres études prospectives utilisant des données d'exposition précises sont nécessaires pour confirmer ces résultats et devraient intégrer un grand nombre d'individus. Bien que nos conclusions doivent être confirmées, promouvoir la consommation de produits biologiques auprès de la population en général pourrait être une stratégie préventive prometteuse contre le cancer. »

 

Le mot de la fin étant l'expression d'un militantisme qui ne se marie pas avec le rigorisme l'exigence de rigueur.

 

 

(Source) Expliquez-nous à partir de ce graphique comment l'alimentation bio réduit le risque de cancer de 25 % dans la population générale (dans une cohorte de volontaires soucieux de leur alimentation, c'est possible)...

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