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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Dewayne « Lee » Johnson c. Monsanto : le « tentative ruling » de la juge Suzanne R. Bolanos et la décision (provisoirement) finale

24 Octobre 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #Glyphosate (Roundup), #Monsanto

Dewayne « Lee » Johnson c. Monsanto : le « tentative ruling » de la juge Suzanne R. Bolanos et la décision (provisoirement) finale

 

 

Nous avons un personnel politique d'une très grande classe intellectuelle...

 

 

Nous vous avons informés dans un billet précédent, « Monsanto gagne et perd en Californie » que Monsanto et les autres défendeurs avaient fait appel du verdict allouant 289 millions de dollars à M. Dewayne « Lee » Johnson qui avait attribué sa maladie, un mycosis fongoïde, une forme de lymphome non hodgkinien, à l'utilisation qu'il avait faite de glyphosate dans le cadre de son travail.

 

 

La décision provisoire

 

Une première audience a eu lieu le 10 octobre 2018 et la juge Suzanne R. Bolanos a produit un « tentative ruling », un projet de décision ou une décision provisoire, afin de fixer les limites de l'audition et de donner des repères aux parties.

 

Voici le texte de la décision :

 

Décision provisoire sur la motion du défendeur pour un jugement nonobstant le verdict et la motion du défendeur pour un nouveau procès

 

 

La motion du défendeur pour un JNOV [jugement nonobstant le verdict] s'agissant des dommages punitifs est ACCEPTÉE ; à défaut, la motion du défendeur pour un nouveau procès s'agissant des dommages punitifs est ACCEPTÉE. La Cour entendra les arguments sur la motion du défendeur pour un JNOV et un nouveau procès s'agissant de la responsabilité.

 

 

I  Le plaignant n'a présenté aucune preuve claire et convaincante de malice ou d'oppression étayant l'octroi de dommages punitifs

 

Le Code Civil, §3294(a) prévoit que des dommages punitifs peuvent être accordés contre un défendeur qui a été coupable d'« oppression, fraude ou malice ». Malice signifie « conduite conçue par le défendeur pour causer un dommage au plaignant ou conduite odieuse suivie par le défendeur avec une indifférence intentionnelle et délibérée pour les droits et la sécurité de tiers ». Oppression signifie « un comportement odieux qui soumet une personne à des difficultés cruelles et injustifiées avec une indifférence délibérée pour les droits de cette personne ». Les éléments de preuve à l'appui d'une constatation de malice ou d'oppression doivent être clairs et convaincants.

 

Le plaignant ne s'est pas s'est pas acquitté de la charge qui lui incombait de produire des éléments de preuve clairs et convaincants d'une malice ou d'une oppression de Monsanto. Les experts tant du plaignant que du défendeur ont témoigné que le glyphosate a fait l'objet de l'un des ensembles de données scientifiques les plus importants pour une substance dans le monde. Mis à part l'évaluation du CIRC [Centre International de Recherche sur le Cancer], tous les régulateurs du monde continuent à trouver que les herbicides à base de glyphosate (ci-après : « produits GBH ») sont sûrs et non cancérogènes, y compris l'EPA des États-Unis, l'EFSA, l'ECHA, l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le BfR allemand. Le plaignant n'a présenté aucune preuve qu'un quelconque employé de Monsanto pensait à un moment ou un autre que l'exposition aux produits GBH de Monsanto cause le LNH [lymphome non hodgkinien]. Le Dr Farmer et le Dr Goldstein ont tous deux témoigné qu'ils pensaient qu'il n'y avait pas de lien de cause à effet entre les produits GBH de Monsanto et le cancer du plaignant. En outre, la monographie du CIRC sur laquelle se fonde le plaignant n'a été publiée qu'après que le diagnostic de MF [mycosis fongoïde] de M. Johnson a été posé, et n'a donc pu influencer à aucun moment l'état d'esprit de Monsanto. Les efforts constants de Monsanto pour étudier et tester ses produits GBH ne sont pas compatibles avec un constat d'indifférence délibérée. Étant donné l'état des connaissances médicales et scientifiques, il n'y a pas d'élément de preuve clair et convaincant que Monsanto a agi avec malice ou oppression en fabriquant et vendant ses produits GBH.

 

Le plaignant n'a en outre apporté aucune preuve que Monsanto a agi de manière odieuse. Le plaignant allègue que Monsanto a refusé de mener les études recommandées par le Dr Parry dans les années 1990. Les dossiers montrent que Monsanto a en définitive mené tous les tests sauf un et en a diffusé publiquement les résultats. Le plaignant a aussi suggéré que Monsanto a tenté de « polluer » la littérature scientifique en écrivant anonymement [« ghostwriting »] des articles à l'appui des produits GBH. Le plaignant cite essentiellement Williams (2000) et Kier & Kirkland (2013). Mais les employés de Monsanto sont mentionnés comme contributeurs de ces articles et il n'y a aucune preuve que ces articles contiennent des déclarations matériellement fausses sur le plan scientifique. En outre, le plaignant allègue que le Dr Goldstein a intentionnellement omis de rappeler le plaignant après que le diagnostic du MF de celui-ci a été posé. Même si cette assertion était exacte, ne pas rappeler après un appel téléphonique ne peut atteindre le niveau d'un comportement odieux. En tout cas, le Dr Goldstein a témoigné qu'il ne pensait pas que les produits GBH étaient la cause de la maladie du plaignant et qu'il aurait dit cela au plaignant par téléphone.

 

Enfin, il n'y a aucune preuve que les scientifiques de Monsanto étaient des agents de gestion. Le Code Civil, § 3294 prévoit expressément que s'agissant d'un employé d'une entreprise, la malice ou l'oppression requise pour l'octroi de dommages punitifs doit être le fait d'un responsable, d'un directeur ou d'un agent de gestion de l'entreprise. Le plaignant n'a produit aucun élément de preuve que le Dr Farmer, le Dr Goldstein ou tout autre employé de Monsanto prétendument impliqué dans l'évaluation des produits GBH était un agent de gestion [« managing agent »] de Monsanto.

 

Même si la Cour devait rejeter la motion du défendeur pour un JNOV s'agissant de l'octroi de dommages punitifs, la Cour accorderait un nouveau procès sur la base de l'insuffisance des preuves pour justifier l'octroi de dommages punitifs pour les raisons développées ci-dessus.

 

 

II.  Question à traiter en plaidoiries

 

La Cour demande aux parties de plaider sur les points suivants :

 

1.  La Cour peut-elle exclure le témoignage du Dr Nabham sur la base du fait que son diagnostic ambivalent [« differential »] est juridiquement insuffisant pour établie un lien de cause à effet ? Voir Cooper c. Takeda, 239 Cal. App. 4th 555, 562 (2015).

 

2.  Les deux parties s'accordent à dire que les preuves épidémiologiques sont insuffisantes pour étayer un constat de responsabilité. La Cour peut-elle accorder un nouveau procès sur la base d'un manque de preuves épidémiologiques à l'appui du verdict ? Voir Wendell c. GlaxoSmithKline, 858 F3d 1227 (2017).

 

3.  L'exclusion des rapports de l'EPA est-elle suffisamment préjudiciable pour justifier un nouveau procès ? Si oui, de quelle manière ?

 

4.  Les propos de M. Wisner lors des plaidoiries finales s'agissant de « changer le monde », des comparaisons avec l'industrie du tabac et du champagne dans la salle du conseil de Monsanto étaient-ils suffisamment préjudiciables pour justifier un nouveau procès ?

 

5.  L'octroi de 33 millions de dollars en compensation des dommages non économiques futurs est-il fondé sur l'argument du plaignant pour l'octroi d'un million de dollars pour chaque année perdue d'espérance de vie ? Si oui, cet octroi est-il inapproprié du point de vue du droit ? »

 

Qu'en retenir ? La justice est imprévisible (ce que nous allons voir ci-dessous...), mais la première partie de cette décision laissait entendre que les 250 millions de dommages punitifs infligés à Monsanto (et d'autres) allaient s'évaporer. Il est en effet difficile de croire que l'analyse de Mme Bolanos est tellement viciée qu'il faut revenir au verdict initial.

 

Et la deuxième partie laisse entendre qu'il y a de bonnes chances qu'il en soit de même pour le reste (mais pas tout de suite). La réponse à la question 2 est en effet dans la question.

 

Cette décision provisoire a aussi un autre effet : c'est un démontage en règle d'une bonne partie des théories complotistes extravagantes qui ont fait les choux gras du Monde et de bien d'autres médias sous le vocable « Monsanto Papers ». Les politiciens qui s'échinent contre le glyphosate en grande partie sur la base de la désinformation des « Monsanto Papers » comprendront-ils qu'ils ont été menés en bateau ?

 

 

La décision (provisoirement) finale

 

« Au procès Monsanto, verdict confirmé mais enveloppe diminuée », c'est le titre du Monde, avec AFP, AP et Reuters. D'autres médias ont rapporté ce fait ; comme la condamnation de Monsanto est maintenue pour l'essentiel, ils n'allaient pas se priver d'annoncer la nouvelle...

 

La juge Bolanos a rendu sa décision le 22 octobre 2018. En conclusion :

 

« Par ces motifs, la motion de Monsanto pour un jugement nonobstant le verdict est rejetée. Si le plaignant consent à la réduction des dommages punitifs à un montant égal au montant des dommages compensatoires alloués, la motion de Monsanto pour un nouveau procès sera rejetée. Conformément au Code de Procédure Civile § 662.5(a)(2), le plaignant doit indiquer s'il accepte la réduction le 7 décembre 2018 au plus tard, faute de quoi elle sera considérée comme rejetée et la motion de Monsanto pour un nouveau procès sera acceptée s'agissant des seuls dommages punitifs. »

 

La lecture de l'arrêt révèle que le juge de première instance statuant après le verdict du jury est extraordinairement contraint dans son analyse et sa décision :

 

« En se prononçant sur une motion pour un JNOV, le tribunal de première instance ne peut pas soupeser les preuves ni établir sa propre détermination de leur crédibilité. King v. State of California (2015) 242, Cal., P. 265, 287. Par respect pour notre ferme conviction en faveur du droit constitutionnel à un procès devant un jury et à une politique d'économie judiciaire s'opposant au mépris pour le verdict du jury, la loi relative aux motions pour un JNOV est très stricte. "Les conflits s'agissant des preuves sont résolus contre le défendeur auteur de la motion et en faveur du plaignant ; toutes les déductions raisonnables à tirer des preuves sont tirées contre le défendeur auteur de la motion et en faveur du plaignant." Fountain Valley Chateau Blanc Homeowner's Assn. v. Department of Veterans Affaires (1998) 67 Cal.App.4th 743, 750. En outre, lorsqu’il statue sur une motion pour un JNOV, un tribunal ne peut pas modifier une décision antérieure concernant l’admissibilité des preuves. "Nous devons prendre le compte rendu tel que nous le trouvons. Nous ne pouvons pas supprimer ou ignorer un élément de preuve favorable à la partie gagnante simplement parce qu'il a été admis à tort." Waller c. Southern California Gas Co. (1959) 170 Cal.App.2d 747 757; Estate of Callahan (1967) 67 Cal.2d 609,617. »

 

Exit, donc, notamment, les interrogations sur la validité du témoignage du Dr Nabham.

 

De manière un peu similaire, la juge Bolanos a été contrainte par la jurisprudence s'agissant des dommages punitifs. Elle écrit :

 

« Dans l'application des limites de la procédure régulière, le tribunal ne siège pas pour remplacer le jury, mais uniquement pour contrôler les sentences arbitraires. »

 

Elle n'a donc fait que réduire les dommages punitifs pour les amener au même montant que les dommages compensatoires (39.253.209,35 dollars). La facture pour Bayer s'établit donc pour le moment à 78,5 millions de dollars.

 

 

À suivre...

 

Cet arrêt est très en retrait – pour des raisons juridiques – par rapport à la décision provisoire. Pourquoi la juge Bolanos a-t-elle alors produit celle-ci ? Il est difficile de croire qu'elle ignorait les limites de son pouvoir d'appréciation. Et on peut penser qu'elle a – élégamment – couché sur papier son point de vue sur ce qui est manifestement un fiasco judiciaire.

 

Selon Challenges (AFP) :

 

« "Même si nous pensons qu'une baisse des dommages punitifs était injustifiée", les avocats du plaignant, père de deux enfants, se sont réjouis de voir maintenu le verdict sur le fond.

 

Ils ont ajouté dans un communiqué "réfléchir à leurs options" pour déterminer s'ils acceptaient la décision du juge ou préféraient un nouveau procès. L'allemand Bayer, qui vient de racheter Monsanto, a indiqué pour sa part toujours prévoir de faire appel du verdict sur le fond. »

 

Suite en décembre...

 

 

Un homme politique respectable et responsable, conscient de ses obligations en tant que président d'une commission parlementaire commentait-il une décision judiciaire, de plus étrangère, en lien avec ladite commission ? Il est vrai que quand on se fait le porte-voix de Robert F. Kennedy Jr, antivax, anti-pesticides, anti-OGM, avocat prédateur...

 

 

 

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