Woessner-Foucart : vite les Casques Bleus !
C'est pas peu dire que Mme Woessner n'a pas apprécié le « rapport » de Générations Futures, « Enquête EXPPERT 10 : des pesticides perturbateurs endocriniens dans l’alimentation des européen.nes ». Pour notre propre décryptage, nous avons choisi d'être direct : « Perturbateurs endocriniens : le dernier attrape-couillons de Générations Futures ».
Mme Woessner a donc pondu un gazouillis rageur, suivi d'un fil d'explications (le tout a aussi été posté sur Facebook) en se référant plus particulièrement à France TV Info :
« Je suis très ennuyée, car je n'aime pas l'idée d'être exposée à des perturbateurs endocriniens. Mais cette étude est FAUSSE. Les données qu'elle produit sont biaisées, et ne permettent pas d'appréhender la réalité. Petit thread didactique d'interrogation de la source. C'est parti »
Ce n'est pas le meilleur Woessner. Comme nous l'avons déjà noté, l'« étude » n'est pas franchement fausse, sauf à y trouver des erreurs de pointage (la non-prise en compte du cuivre… utilisé en quantité en agriculture biologique en est une) ou de calcul. Cela n'en fait pas pour autant une « étude » pertinente, digne d'être prise au sérieux.
Et surtout digne d'être médiatisée à outrance, sans recul ni analyse critique, ni mise en perspective par des gens qui auraient simplement lu et analysé la chose.
Au moins y aura-t-il eu un coup de gueule salutaire dans ce déluge d'articles de presse moutonniers, panurgiques, suivistes, dont l'explosion signe une opération de com' parfaitement organisée.
L'« étude » est datée du 4 septembre 2018, tout comme le communiqué de l'AFP. Ce même jour, mais à 6 heures du matin, FranceTVInfo publie : « Six résidus de pesticides sur dix retrouvés dans notre alimentation suspectés d’être des perturbateurs endocriniens, affirme Générations futures ». Avec en chapô, la revendication de la petite entreprise :
« L'association Générations futures appelle les autorités publiques, après la publication d'un rapport, à prendre des actions pour assurer leur disparition de notre agriculture. »
Question chronologie, il y a mieux : dans le Monde du 3 septembre (date sur la toile) – donc de la veille – M. Stéphane Foucart signe un « Les deux tiers des résidus de pesticides dans l’alimentation sont des perturbateurs endocriniens potentiels ». Le Parisien, c'est aussi le 3 septembre dans la soirée, avec un titre qui marque la première dérive (exit les « suspectés ») : « Alimentation : des pesticides et des perturbateurs endocriniens dans notre assiette ».
Mme Woessner a-t-elle été « ennuyée » par l'« étude » elle-même – qui prend bien soin de préciser qu'elle se rapporte à des perturbateurs endocriniens « suspectés » (le mot apparaît 20 fois dans le texte) – ou par son exploitation médiatique bien moins précautionneuse, comme en témoigne par exemple ce gazouillis de France Info Plus ?
Il y a déjà une dérive incorporée – à dessein – dans le « rapport » : il y est question de perturbateurs endocriniens « suspectés » alors que la liste de TEDX prise pour référence mentionne des perturbateurs endocriniens « potentiels ». La nuance est de taille. Tout comme la différence dans l'effet anxiogène.
La dérive ultime n'a pas tardé : dans ce gazouillis de Générations Futures, il n'est plus question de « suspectés »
« 63 % de résidus de pesticides dans l'alimentation des Européen·ne·s sont des perturbateurs endocriniens. La prochaine stratégie nationale sur les PE doit être à la hauteur. @Veillerette #SNPE #EXPPERT10 »
Nous ne criblerons pas les articles de presse pour en vérifier la fidélité à la réalité du contenu du « rapport » et la modération du propos. Il suffit de constater que bien des médias ont omis le mot « suspectés » dans leurs titres. Et si, dans le Monde, M. Foucart a bien veillé à ne pas franchir la ligne jaune, il n'y a rien sur la signification de la liste TEDX, alors qu'il y a pléthore sur les insuffisances alléguées de la toxicologie moderne.
Il en est un que le fil de Mme Woessner a prodigieusement importuné : M. Foucart. Partant d'un gazouillis accusateur, il propose sa propre analyse.
« @gewoessner formule de graves accusations d'incompétence à l'encontre de ses confrères de @franceinfo @franceinter @LeParisien_75 @LeFigaro_Sante @lemondefr @afpfr @leQdM @usinenouvelle @RFI qui ont couvert l'étude de @genefutures. Ce qu'elle écrit est FAUX. »
C'est vraiment extraordinaire : rien dans le gazouillis recopié, ni dans les suivants, n'étaye une accusation grave « de graves accusations d'incompétence à l'encontre de ses confrères de [...] ». Difficile de produire un homme de paille plus énorme...
Une réponse est venue le 6 septembre 2018 :
« "Droit de réponse" ? C'est amusant. Car jamais, à aucun moment, contrairement à ce que prétend mon confrère, je ne l'ai cité. Je m'en suis tenue au rapport de GF, dont je maintiens que la présentation et les conclusions sont + que biaisées. Mais nous avons versé ds l'idéologie... »
C'est effectivement amusant... du niveau de la cour de récréation (mais on peut aussi prendre la chose au sérieux et penser aux procès de Moscou...). Comment faut-il entendre la liste des journalistes – référencés par leurs journaux respectifs – prétendument mis en cause ?
Certes, sur Facebook, Mme Woessner avait complété son introduction :
« Petit post didactique d'interrogation de la source, à l'usage amical, mais néanmoins agacé, de mes amis lecteurs et journalistes. »
Sa réponse vient aussi sur Twitter avec une sorte de mea culpa :
Et un début d'échanges :
Il se termine par : « A la fin ce sont les plus intolérants qui gagnent. » C'est pour cela que les tolérants et les rationalistes ne doivent pas lâcher l'affaire !
Mme Woessner a écrit :
« Pour identifier les perturbateurs endocriniens, l'étude utilise la base du site TEDX, qui recense chaque substance ayant fait l’objet d’au moins une étude évaluant le caractère PE des molécules testées. Il s'agit donc de PE "éventuels", pas "avérés". »
Est-ce un constat ou un reproche ? M. Foucart réplique sur trois gazouillis :
« Sur la question perturbateurs endocriniens (PE) suspectés/avérés : nul n'a occulté le fait que les substances pointées étaient "seulement" suspectées d'être PE. Ni @genefutures ni les journalistes qui ont couvert le rapport n'ont parlé de PE avérés. La raison en est simple...
... il n'existe pas de liste réglementaire (=officielle) de PE avérés/probables/suspectés puisque la réglementation est toujours en cours d'écriture (depuis une petite décennie, au passage).
donc reprocher à une ONG/la presse, de se fonder sur une liste de PE suspectés, établie par TEDX, n'a pas de sens. D'autant plus que cette liste de PE potentiels est citée par des autorités sanitaires et dans la littérature scientifique (cf. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed?term=TEDX%20Endocrine …)
Intéressant le lien... Quinze références, dont Mme Theo Colborn, la fondatrice de la liste, un article d'hommage à Mme Colborn, un article d'opinion (lire : activisme anti-glyphosate) et des articles provenant en majorité de la même brochette de chercheurs... Le sophisme de l'argumentum ad verecundiam est un peu short...
Et comme nous l'avons relevé ci-dessus, ce n'est pas une liste de perturbateurs endocriniens « suspectés ».
Mme Woessner :
« Ensuite, il faut se rappeler qu'en matière de toxicité, quoiqu'en dise Générations Futures, la dose importe toujours. »
M. Foucart, sur quatre gazouillis (c'est nous qui graissons) :
« Ensuite, @gewoessner prétend que seule la dose importe. C'est vrai dans le cas général, mais c'est FAUX s'agissant des PE. Cette catégorie de substance peut agir à de très faibles doses d'exposition, lors de certaines périodes critiques (vie foetale, période périnatale, etc.).
Evidemment, je ne suis que journaliste et vous avez raison de ne pas me croire sur parole. Sur le sujet, le document scientifique qui fait référence est le Scientific Statement de l'Endocrine Society (@TheEndoSociety), publié en 2015 dans la revue Endocrine Reviews...
Pour mémoire, @TheEndoSociety est la société savante qui rassemble 18000 chercheurs et cliniciens spécialistes du système hormonal (=endocriniens). Que dit cette société savante dans son Statement ?
qu'il n'est pas possible d'établir de seuil de sécurité pour les PE. voir https://academic.oup.com/edrv/article/36/6/E1/2354691 …, p.11 de la version PDF. Extrait pertinent (in english) ci dessous. »
Non, Mme Woessner n'a pas « prétend[u] que seule la dose importe »... Quant à la deuxième mise en gras, voici le texte cité par M. Foucart :
La partie surlignée n'étaye pas le propos de M. Foucart (et de l'activisme anti-chimie en général). Il n'y est nullement question de « seuil de sécurité ».
Nous avons là une belle illustration d'une méthode éprouvée : torturer les textes pour leur faire dire ce qui convient à l'activisme.
M. Foucart s'épanche aussi sur le rapport de l'IGAS sur la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE), avec deux citations... mais sans relever que cette honorable institution ne préconise nullement les mesures drastiques exigées par Générations Futures (et l'activisme anti-chimie en général), qui gesticule sur les « pesticides PE avérés, probables et suspectés. »
Voici une autre citation de ce rapport d'orientation générale politique :
Mme Woessner n'a pas été très inspirée sur les effets cocktails, ni sur les matières actives autorisées ou interdites, ni sur les additions de LMR. Elle essuie donc un tir de DCA nourri de la part du lauréat de prix de journalisme entachés de conflits d'intérêts.
M. Foucart jubile donc :
« ensuite, @GeWoessner se dit rassurée du fait que la grande majorité des résidus de pesticides se situent en deçà des limites légales. OK. Mais on a vu plus haut que la réglementation n'est PAS la science. En tout cas quand la science avance plus vite que le régulateur. »
Effectivement, la réglementation n'est pas la science. Elle est fondée sur la science et avance avec elle... enfin quand la politique politicienne, la démagogie et l'activisme n'ont pas pris le dessus.
Et, sur un autre fil qui mérite d'être lu, Mme Nathalie Jas – well-behaved unruly historian, une historienne indisciplinée bien élevée – explique en bref, en revendiquant une parcelle d'autorité en la matière, que les phénomènes censés mettre à bas le système actuel de sécurité sanitaire sont connus depuis longtemps.
Ni les gesticulations activistes, ni le recours à la « science » militante ne suffisent à invalider une réglementation qui se fonde sur de très importantes marges de sécurité.
Conclusion de Mme Woessner :
« Que conclure de tout cela ? Qu'il serait (peut-être) temps de remettre un peu de raison dans ce genre de débats. Oui, les PE sont un problème majeur, à la fois actuel, et pour l'avenir. On en trouve énormément dans les médicaments, les contenants, les produits de beauté...
... Dans l'industrie agro-alimentaire, dans l'environnement de travail (préoccupation MAJEURE de l'INRS). Quelle est la principale source d'exposition ? On L'IGNORE. C'est pour cela qu'on cherche. Quels sont les effets de doses infinitésimales sur l'homme ? ON L'IGNORE...
... C'est aussi pour cela qu'on cherche. Et qu'on réglemente. Y a-t-il lieu de paniquer la population au sujet des fruits et légumes qui seraient infestés de PE ? Non. En fait, c'est déraisonnable. Et risque de détourner l'attention d'autres sources, tout aussi préoccupantes...
#MaisCeQueJenDis... (PS : Si j'ai commis une erreur, ce qui est fort possible, merci aux experts de me le signifier !)
Source base de l'étude de Générations Futures : https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2903/j.efsa.2018.5348 …
Ne pas paniquer la population ? Ne pas risquer de détourner l'attention d'autres sources, tout aussi préoccupantes (en fait beaucoup plus) ? Ben voyons...
« pour finir, @gewoessner demande : "Y a-t-il lieu de paniquer la population au sujet des fruits et légumes qui seraient infestés de PE ?" et répond: "Non. En fait, c'est déraisonnable. Et risque de détourner l'attention d'autres sources, tout aussi préoccupantes..."
peut-être. Mais les PE sont soupçonnés d'une variété de troubles et de pathologies qui sont en augmentation. Ces troubles et ces pathologies sont multifactoriels, mais pour certains (par ex. l'infertilité masculine) la cause majeure la plus plausible est l'exposition à des Pes.
Voici la courbe d'évolution de la concentration de spermatozoides dans le sperme des Français en âge de procréer (Rolland et al., 2012, in Reproductive Epidemiology)
« je pense que devant un tel phénomène, qui touche l'ensemble de la population occidentale (https://academic.oup.com/humupd/article-abstract/23/6/646/4035689?redirectedFrom=fulltext …), il serait irresponsable de ne rien faire et surtout irresponsable de continuer à jouer les marchands de doute.
Ne sont-ce pas Générations Futures et ses compères des médias qui produit, pour l'un, et véhiculent, pour les autres, un discours anxiogène sur des résidus de pesticides qui seraient – le conditionnel est mis ici à dessein – des perturbateurs endocriniens « suspectés » ?
Le doute n'est-il pas une composante indissociable de la suspicion ?
M. Foucart franchit un pas supplémentaire avec des troubles dont « la cause majeure la plus plausible » serait les perturbateurs endocriniens. Cela vient évidemment sans démonstration, ni sur le plan général, ni sur le plan particulier du lien entre ces troubles et le « rapport » de Générations Futures, c'est-à-dire les pesticides (...de synthèse car Générations Futures « roule » pour le biobusiness – n'a-t-il pas produit un « Manger bio sans augmenter son budget : le nouveau dossier de Générations Futures » peu de temps avant son « rapport » ?).
M. Foucart nous bombarde aussi d'une référence bibliographique. Mais si elle concerne bien la fertilité masculine, le résumé ne dit rien – absolument rien – sur les causes et, donc, sur l'incidence des résidus de pesticides qui seraient des perturbateurs endocriniens... suspectés.
« H. Reeves : La réalité n’est jamais simple. Les pesticides nous ont sauvé de la famine. L’attitude ne doit pas être le rejet mais le cas par cas. Une bonne écologie regarde les animaux, la nature et les humains. La radicalisation attire la radicalisation »