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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

« Souveraineté alimentaire » et « aliments équitables » : les Suisses ont voté NON

25 Septembre 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #Politique, #Alimentation

« Souveraineté alimentaire » et « aliments équitables » : les Suisses ont voté NON

 

 

 

 

Le dimanche 24 septembre 2018 a été un jour de « votations » en Suisse. Trois « initiatives populaires fédérales » ont été soumis au peuple, dont deux liés à l'agriculture.

 

 

« Pour la souveraineté alimentaire »

 

 

 

 

Le syndicat agricole romand Uniterre avait obtenu le nombre minimum de signatures requises (signatures bien sûr vérifiées, pas comme dans les gesticulations des activistes) pour son « Pour la souveraineté alimentaire. L’agriculture nous concerne toutes et tous ». En voici le texte, soumis à la votation :

 

« La Constitution1 est modifiée comme suit:

 

Art. 104c2 Souveraineté alimentaire

 

1 Afin de mettre en œuvre la souveraineté alimentaire, la Confédération favorise une agriculture paysanne indigène rémunératrice et diversifiée, fournissant des denrées alimentaires saines et répondant aux attentes sociales et écologiques de la population.

 

2 Elle veille à ce que l’approvisionnement en denrées alimentaires indigènes et en aliments indigènes pour animaux soit prépondérant et que leur production ménage les ressources naturelles.

 

3 Elle prend des mesures efficaces pour:

 

a. favoriser l’augmentation du nombre d’actifs dans l’agriculture et la diversité des structures;

 

b. préserver les surfaces cultivables, notamment les surfaces d’assolement, tant en quantité qu’en qualité;

 

c. garantir le droit à l’utilisation, à la multiplication, à l’échange et à la commercialisation des semences par les paysans.

 

Quel effet a eu ce genre d'affiche sur la population helvétique ?

 

4 Elle proscrit l’emploi dans l’agriculture des organismes génétiquement modifiés ainsi que des plantes et des animaux issus des nouvelles technologies de modification ou de recombinaison non naturelle du génome.

 

5 Elle assume notamment les tâches suivantes:

 

a. elle soutient la création d’organisations paysannes qui visent à assurer l’adéquation entre l’offre des paysans et les besoins de la population;

 

b. elle garantit la transparence sur le marché et favorise la détermination de prix équitables dans chaque filière;

 

c. elle renforce les échanges commerciaux directs entre paysans et consommateurs ainsi que les structures de transformation, de stockage et de commercialisation régionales.

 

6 Elle porte une attention particulière aux conditions de travail des salariés agricoles et veille à ce qu’elles soient harmonisées au niveau fédéral.

 

7 Pour maintenir et développer la production indigène, elle prélève des droits de douane sur les produits agricoles et les denrées alimentaires importés et en régule les volumes d’importation.

 

8 Pour favoriser une production conforme aux normes sociales et environnementales suisses, elle prélève des droits de douane sur les produits agricoles et les denrées alimentaires importés non conformes à ces normes et peut en interdire l’importation.

 

9 Elle n’accorde aucune subvention à l’exportation de produits agricoles et de denrées alimentaires.

 

10 Elle garantit l’information et la sensibilisation sur les conditions de production et de transformation des denrées alimentaires indigènes et importées. Elle peut fixer des normes de qualité indépendamment des normes internationales.

 

Art. 197, ch. 123

 

12. Disposition transitoire ad art. 104c (Souveraineté alimentaire)

 

Le Conseil fédéral soumet les dispositions légales nécessaires à l’exécution de l’art. 104c à l’Assemblée fédérale au plus tard deux ans après l’acceptation de cet article par le peuple et les cantons.

 

1 RS 101

2 Le numéro définitif du présent article sera fixé par la Chancellerie fédérale après le scrutin.

3 Le numéro définitif de la présente disposition transitoire sera fixé par la Chancellerie fédérale après le scrutin. »

 

 

« Pour des aliments équitables »

 

Le Parti Écologiste Suisse avait quant à lui lancé une initiative intitulée « Pour des denrées alimentaires saines et produites dans des conditions équitables et écologiques (initiative pour des aliments équitables) ». En voici le texte :

 

« La Constitution[1]est modifiée comme suit :

 

Art. 104a Denrées alimentaires

 

1 La Confédération renforce l’offre de denrées alimentaires sûres, de bonne qualité et produites dans le respect de l’environnement, des ressources et des animaux, ainsi que dans des conditions de travail équitables. Elle fixe les exigences applicables à la production et à la transformation.

 

2 Elle fait en sorte que les produits agricoles importés utilisés comme denrées alimentaires répondent en règle générale au moins aux exigences de l’al. 1 ; elle vise à atteindre cet objectif pour les denrées alimentaires ayant un degré de transformation plus élevé, les denrées alimentaires composées et les aliments pour animaux. Elle privilégie les produits importés issus du commerce équitable et d’exploitations paysannes cultivant le sol.

 

3 Elle veille à la réduction des incidences négatives du transport et de l’entreposage des denrées alimentaires et des aliments pour animaux sur l’environnement et le climat.

 

4 Ses compétences et ses tâches sont notamment les suivantes :

 

a. elle légifère sur la mise sur le marché des denrées alimentaires et des aliments pour animaux ainsi que sur la déclaration de leurs modes de production et de transformation ;

 

b. elle peut réglementer l’attribution de contingents tarifaires et moduler les droits à l’importation ;

 

c. elle peut conclure des conventions d’objectifs contraignantes avec le secteur des denrées alimentaires, notamment avec les importateurs et le commerce de détail ;

 

d. elle encourage la transformation et la commercialisation de denrées alimentaires issues de la production régionale et saisonnière ;

 

    e. elle prend des mesures pour endiguer le gaspillage des denrées alimentaires.

     

    5 Le Conseil fédéral fixe des objectifs à moyen et à long termes et rend compte régulièrement de l’état de leur réalisation. Si ces objectifs ne sont pas atteints, il prend des mesures supplémentaires ou renforce celles qui ont été prises.

     

     

    Art. 197, ch. 12[2]

     

    12. Disposition transitoire ad art. 104a (Denrées alimentaires)

     

    Si aucune loi d’application n’entre en vigueur dans les trois ans après l’acceptation de l’art. 104a par le peuple et les cantons, le Conseil fédéral édicte les dispositions d’exécution par voie d’ordonnance.

     

    1 RS 101

    [2] La numérotation définitive de la présente disposition transitoire sera fixée par la Chancellerie fédérale après le scrutin. »

     

     

    Des initiatives balayées

     

    Publié par Uniterre le 17 août 2018. La chute a ensuite été vertigineuse.

     

    Compte tenu du calendrier (de la pause estivale), la campagne a été courte. Les premiers sondages ont montré une très large acceptation des deux textes, caracolant du côté des trois quarts des sondés.

     

    Cette adhésion aux objectifs poursuivis s'est ensuite érodée et finalement effondrée.

     

    La participation au niveau fédéral a atteint 37 %.

     

    L'initiative « Pour la souveraineté alimentaire » a finalement été rejetée par 68 % des votants et « Pour des aliments équitables » à 61 %.

     

    Enquête, ici sur l'initative des Verts, réalisée entre le 30 juillet et le 10 août 2018 auprès de 1.200 titulaires du droit de vote sélectionnés de manière représentative.

     

    Seuls quatre cantons romands ont accepté ces textes –Neuchâtel, Genève, Vaud et le Jura – alors que Fribourg, le Valais, Berne (trois cantons bilingues) et toute la Suisse alémanique ont dit non.

     

    Comme souvent dans ce genre de configuration, les initiants ont invoqué les moyens financiers massifs injectés dans la campagne par les partisans du « non ».

     

    La lecture des propositions fait cependant apparaître des ambitions auxquelles une majorité de Suisses, surtout alémaniques, sont réfractaires – la police de l'assiette, l'hyper-réglementation de l'activité économique (y compris la nécessité de contrôler ce qui se passe dans les pays exportateurs)... L'argument du renchérissement de l'alimentation (chiffré à 20 milliards de francs par Avenir Suisse) a sans nul doute porté. Mais aussi le fait que la Suisse, grand pays exportateur de biens (y compris agricoles comme les fromages) et services ne peut pas se fermer aux échanges agricoles.

     

     

    Les opposants n'ont pas pris de gants. Notez que l'UDC (très à droite) et le PLR (droite) ont utilisé la même assiette.

     

     

     

     

    Une tendance lourde

     

    Mais ce n'est pas la fin de l'histoire. Ces sujets reviendront sans nul doute sur le tapis lorsque la poussière sera retombée, sous une forme ou une autre.

     

    L'agriculture suisse risque de devenir la victime de l'opposition à une agriculture « productiviste » étrangère qui pourrait être en quelque sorte promue par des concessions faites dans le cadre d'accords de libre-échange. La Suisse (comme la France pour ses Rafales) veut-elle vendre à l'Indonésie et la Malaisie, par exemple ? Il faudra accepter l'huile de palme... Comment la refuser ? En imposant des conditions à l'agriculture suisse que l'on pourra – dans l'esprit des initiants – imposer aussi aux pays exportateurs.

     

    Le syndicat Uniterre a écrit :

     

    « Nous regrettons que la campagne des opposants ait été menée presque exclusivement sur la peur, la peur de payer plus cher, la peur de manquer, la peur de voir sa liberté restreinte, sans essayer de comprendre que notre projet se veut, dans son essence même, un antidote à la peur, une ouverture vers un nouveau paradigme, une libération de nos productions alimentaires, loin du joug néo-libéral.

     

    […]

     

    Confronté à l’échec dans les urnes, Uniterre et l’Alliance pour la souveraineté alimentaire vont néanmoins continuer leur combat pour une agriculture solidaire et durable. Même sans le poids d’un article constitutionnel, les buts restent et les ambitions gardent toute leur légitimité.

     

    On notera au passage l'orientation philosophique et politique d'Uniterre (dont l'initiative aura bénéficié du soutien de M. Olivier De Schutter (vous savez, ce professeur qui fait virer un autre professeur aux opinions différents...).

     

    L'Union Suisse des Paysans – l'organisation faîtière de l'agriculture suisse – n'a pas soutenu les deux initiatives. Elle écrit :

     

    « Un an après le plébiscite en faveur de l’inscription de la sécurité alimentaire dans la Constitution, le peuple était appelé à voter sur deux autres initiatives concernant l’agriculture ainsi que la provenance et la qualité des denrées alimentaires. La majorité n’a pas voulu introduire à cet effet un article supplémentaire dans la Constitution fédérale, car l'art. 104a sur la sécurité alimentaire couvre déjà les principales revendications des deux initiatives. Les pourcentages élevés de oui montrent que la population accorde une grande importance à l’agriculture de type familial, à la juste répartition de la valeur ajoutée, au bien-être animal, à la protection des forêts tropicales, aux conditions de travail et aux droits de l’homme. D’autres votations sur l’agriculture et l’alimentation suivront prochainement, car ces sujets suscitent toujours autant d’intérêt. Un secteur agricole et alimentaire au service d'une production durable reste au cœur des débats. Le Conseil fédéral doit tenir compte de cette revendication, tant en concevant la nouvelle politique agricole qu’en signant des accords commerciaux. »

     

    Rappel : voici les deux articles de la Constitution sur l'agriculture (voir aussi, sur ce site, ici) :

     

    « Art. 104 Agriculture

     

    1 La Confédération veille à ce que l'agriculture, par une production répondant à la fois aux exigences du développement durable et à celles du marché, contribue substantiellement:

     

    a. à la sécurité de l'approvisionnement de la population;

     

    b. à la conservation des ressources naturelles et à l'entretien du paysage rural;

     

    c. à l'occupation décentralisée du territoire.

     

    2 En complément des mesures d'entraide que l'on peut raisonnablement exiger de l'agriculture et en dérogeant, au besoin, au principe de la liberté économique, la Confédération encourage les exploitations paysannes cultivant le sol.

     

    3 Elle conçoit les mesures de sorte que l'agriculture réponde à ses multiples fonctions. Ses compétences et ses tâches sont notamment les suivantes:

     

    a. elle complète le revenu paysan par des paiements directs aux fins de rémunérer équitablement les prestations fournies, à condition que l'exploitant apporte la preuve qu'il satisfait à des exigences de caractère écologique;

     

    b. elle encourage, au moyen de mesures incitatives présentant un intérêt économique, les formes d'exploitation particulièrement en accord avec la nature et respectueuses de l'environnement et des animaux;

     

    c. elle légifère sur la déclaration de la provenance, de la qualité, des méthodes de production et des procédés de transformation des denrées alimentaires;

     

    d. elle protège l'environnement contre les atteintes liées à l'utilisation abusive d'engrais, de produits chimiques et d'autres matières auxiliaires;

     

    e. elle peut encourager la recherche, la vulgarisation et la formation agricoles et octroyer des aides à l'investissement;

     

    f. elle peut légiférer sur la consolidation de la propriété foncière rurale.

     

    4 Elle engage à ces fins des crédits agricoles à affectation spéciale ainsi que des ressources générales de la Confédération.

     

    Art. 104a1  Sécurité alimentaire

     

    En vue d'assurer l'approvisionnement de la population en denrées alimentaires, la Confédération crée des conditions pour:

     

    a. la préservation des bases de la production agricole, notamment des terres agricoles;

     

    b. une production de denrées alimentaires adaptée aux conditions locales et utilisant les ressources de manière efficiente;

     

    c. une agriculture et un secteur agroalimentaire répondant aux exigences du marché;

     

    d. des relations commerciales transfrontalières qui contribuent au développement durable de l'agriculture et du secteur agroalimentaire;

     

    e. une utilisation des denrées alimentaires qui préserve les ressources. »

     

     

    Des initiatives dans le pipeline

     

    Les deux initiatives ont été balayées avec, comme souvent une divergence entre régions linguistiques – ce que les Suisses appellent le Röstigraben. Mais ce n'est pas fini.

     

    Le 25 novembre prochain, les Suisses voteront sur l'initiative « Pour la dignité des animaux de rente agricoles (Initiative pour les vaches à cornes) ». En bref, il est demandé que la Confédération soutienne financièrement les éleveurs de vaches et de chèvres qui n'écornent pas leurs bêtes.

     

    On notera que l'initiative a été lancée par un éleveur.

     

    L'initiative « Stopper le mitage – pour un développement durable du milieu bâti (initiative contre le mitage) » exige en bref que toute « création de nouvelles zones à bâtir n’est admise que si une autre surface non imperméabilisée d’une taille au moins équivalente et d’une valeur de rendement agricole potentielle comparable a été déclassée de la zone à bâtir. »

     

    Il y a deux initiatives anti-pesticides : « Pour une eau potable propre et une alimentation saine – Pas de subventions pour l'utilisation de pesticides et l'utilisation d'antibiotiques à titre prophylactique » et « Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse ». Elles sont entre les mains du Conseil Fédéral. Objectif de la deuxième :

     

    « L’utilisation de tout pesticide de synthèse dans la production agricole, la transformation des produits agricoles et l’entretien du territoire est interdite. L’importation à des fins commerciales de denrées alimentaires contenant des pesticides de synthèse ou pour la production desquelles des pesticides de synthèse ont été utilisés est interdite. »

     

     

    Astucieuse la différence entre les deux pommes… avec feuille et plus rouge pour la "ans pesticides" (qui n'est pas sans pesticides…)

     

     

    Des signatures sont récoltées pour « Non à l’élevage intensif en Suisse (initiative sur l’élevage intensif) ». Que veut-elle ?

     

    « Art. 80a Garde d’animaux à des fins agricoles

     

    1 La Confédération protège la dignité de l’animal dans le domaine de la garde d’animaux à des fins agricoles. La dignité de l’animal comprend le droit de ne pas faire l’objet d’un élevage intensif.

     

    2 L’élevage intensif désigne l’élevage industriel visant à rendre la production de produits d’origine animale la plus efficace possible et portant systématiquement atteinte au bien-être des animaux.

     

    3 La Confédération fixe les critères relatifs notamment à un hébergement et à des soins respectueux des animaux, à l’accès à l’extérieur, à l’abattage et à la taille maximale des groupes par étable.

     

    4 Elle édicte des dispositions sur l’importation d’animaux et de produits d’origine animale à des fins alimentaires qui tiennent compte du présent article. »

     

    Enfin, l'association Slow Food vient de lancer une initiative qui veut que la Confédération et les cantons encouragent la formation à l'alimentation, en particulier des enfants.

     

    À supposer que les initiatives précédentes aboutissent, celle-ci sera peut-être mûre pour une votation lorsqu'il n'y aura plus rien dans les assiettes des Suisses…

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    F
    "La Confédération protège la dignité de l’animal". La dignité de l'animal, voilà un concept que je ne connaissait pas...
    Répondre