Glyphosate au Sri Lanka : mute news et médiamenteurs
Selon les dernières « robinades » – voir « Bientôt dans vos tasses : du thé sri-lankais au glyphosate » – le gouvernement sri-lankais aurait levé partiellement l'interdiction du glyphosate le 11 juillet 2018 pour en autoriser à nouveau l'usage dans les plantations de thé et de caoutchouc. Notons que Mme Marie-Monique Robin a une façon bien à elle – enfin non... c'est la façon des activistes – de présenter l'information : « Le 11 juillet 2018, le gouvernement a finalement cédé au lobbying puissant des producteurs de thé et de … Monsanto. » Ou encore, sur Twitter : « le gvt du Sri Lanka a cédé aux pressions de l'agrobusiness ».
Nous avions annoncé cette levée précédemment, le 2 mars 2018, en nous appuyant sur des sources locales concordantes (voir ici et ici).
D'où cette angoissante question : l'interdiction a-t-elle été partiellement levée en février (et en principe temporairement) ou en juillet ?
Au secours, Google ! Entrons les mots clés « Sri Lanka » et « glyphosate » avec une restriction de date à partir du 1er juillet 2018... et nous obtenons...
Le Monde daté sur la toile du 11 août 2018 est haut perché dans cette liste. Notons d'emblée que, sans le préciser, le Monde a repris, sans mentionner la source..., des choses de l'AFP que nous trouvons aussi, par exemple, sur Actu Orange ou la RTBF.
Que nous dit-on à propos du Sri Lanka dans : « Etats-Unis, Argentine, Sri Lanka… le glyphosate face à la justice internationale » ?
« Au Sri Lanka, une utilisation restreinte aux plantations de thé et de caoutchouc
Le gouvernement sri-lankais a interdit les importations de glyphosate en octobre 2015, à la suite de la campagne menée par un moine bouddhiste. Des organisations agricoles ont critiqué le gouvernement pour ne pas avoir mené d’autres recherches scientifiques, affirmant que l’interdiction leur avait coûté la perte de 10 % des 300 millions de kilos de thé produits annuellement.
En juillet dernier, le gouvernement a réautorisé les importations, mais restreint l’utilisation du glyphosate aux plantations de thé et de caoutchouc. »
Cette prose nous apprend implicitement que le Monde Planète, si affûté sur les heurs et malheurs du glyphosate dans le monde s'était abstenu de rapporter la ré-autorisation en son temps... mute news... Il est vrai qu'il ne s'agissait pas de heurs et malheurs du glyphosate...
Mais descendons dans la liste de résultats, oh juste d'un cran : le Daily Mirror sri-lankais titre : « Glyphosate ban lifted » (interdiction du glyphosate levée). Le même message est donné par Hiru News avec son titre : « Glyphosate ban removed in Sri Lanka » (littéralement : l'interdiction du glyphosate ôtée au Sri Lanka).
Comment, dès lors, l'AFP et à sa suite le Monde et d'autres ont-t-ils pu produire une « information » erronée, une demi-vérité étant en fait aussi un gros mensonge, une fake news ? Mais, comme nous le verrons ci-dessous, il y a des circonstances atténuantes.
Nous avons du mal à croire que les activistes anti-pesticides et anti-Monsanto et chasseurs de conflits d'intérêts du Monde Planète ignoraient la vraie situation.
Notons aussi l'impudence du titre du Monde : non, le glyphosate n'est pas « face à la justice internationale ». Une justice qui, du reste, n'existe pas (il y a certes eu une farce grotesque mettant en scène un tribunal du peuple des activistes pompeusement appelé « Tribunal International Monsanto »).
Évidemment. Mais les choses sont un peu plus compliquées que ne le disent les activistes.
Et, n'en déplaise aux activistes obsédés par Monsanto (ou entretenant un fond de commerce économiquement et médiatiquement profitable grâce à ces obsessions), la firme de Creve-Coeur (bientôt ex) n'y est sans doute pour rien.
Tout d'abord, il faut rappeler que l'interdiction a été le fruit de l'activisme anti-glyphosate adossé en particulier aux thèses du Pr Channa Sudath Jayasumana qui attribue au glyphosate un rôle contributeur dans la maladie rénale chronique d'étiologie inconnue ; il persiste malgré les conclusions d'une consultation internationale d'experts organisée par l'OMS Asie-Pacifique du 27 au 29 avril 2016, et une déclaration de l'Académie Nationale des Sciences du Sri Lanka du 8 juin 2015. Voici, de cette dernière :
« Nous n'avons connaissance d'aucune preuve scientifique tirée d'études menées au Sri Lanka ou à l'étranger montrant que le CKDu est causé par le glyphosate. Les informations très limitées disponibles sur le glyphosate au Sri Lanka ne montrent pas que les niveaux de glyphosate dans l'eau potable dans les zones touchées par la CKDu (province du Centre-Nord) dépassent les normes internationales établies pour la sécurité. En outre, la CKDu est rarement signalée chez les agriculteurs des zones voisines telles que Ampare, Puttalam et Jaffna ou même dans la zone humide où le glyphosate est utilisé dans une mesure similaire. Elle n'a pas non plus été signalée dans les zones de culture du thé où le glyphosate est beaucoup plus utilisé. Par conséquent, les données scientifiques manquent pour soutenir l'affirmation selon laquelle le glyphosate est la cause de la CKDu dans la PCN. »
Mais l'activisme ne s'embarrasse pas des faits... M. Jayasumana bénéficie de l'appui de l'activisme international et de la complaisance de certains médias ; il a été un « témoin » lors de la mascarade du « Tribunal International Monsanto ».
De l'autre côté, la filière du thé n'a pas été inactive. La Planters Association of Ceylon (PA) a notamment fait valoir des difficultés de désherbage sans le glyphosate, des problèmes de morsures de serpent et des pertes importantes de rendement se traduisant par des pertes économiques de 80 à 105 millions d'euros pour le pays.
Le 2 juillet 2018, Economy Next avertissait : « Sri Lanka may lose Japan tea market due to continued glyphosate ban » (le Sri Lanka peut perdre le marché japonais du thé à cause du maintien de l'interdiction du glyphosate). Il relayait en fait la Ceylon Tea Traders Association : le problème réside dans le fait que les Japonais ont réduit les limites maximales de résidus pour (corrigé) deux un herbicides de substitution, le MCPA , et l'hexaconazole et l'Europe pour le diuron). Selon le président de l'association, Anselm Perera, « le Japon a déjà menacé d'une suspension totale du Thé de Ceylan si l'interdiction du glyphosate n'est pas levée immédiatement. »
Les culbutos activistes en concluront que le gouvernement japonais a été soudoyé par Monsanto...
Mais l'image qui se dégage des différents articles est celle d'une anarchie, de « désastres diplomatiques et bureaucratiques » selon Economy Next. L'ambassade du Sri Lanka au Japon a ainsi « oublié » de transmettre l'information sur la modification des LMR, pourtant notifiée longtemps à l'avance par les autorités japonaises.
Le Président Maithripala Sirisena avait accepté fin avril 2018 de lever l'interdiction du glyphosate. Rien que pour le thé et le caoutchouc ou pour toutes les espèces (comme une sorte d'extension de la décision de la Commission Économique Nationale de février 2018) ? Pour le thé et le caoutchouc dans un premier temps ? Ce n'est pas clair.
Mais, visiblement, il aura fallu plus de deux mois pour que cela soit suivi d'effet.
Et encore, c'est le règne de la confusion : le Registraire des Pesticides aurait agi à la suite d'un avis du Comité Technique et Consultatif des Pesticides ; mais, a-t-il dit, il faut une nouvelle publication car le Cabinet n'a approuvé l'utilisation du glyphosate que pour le thé et le caoutchouc. Sa communication est pourtant claire : pas de limitation !
Difficile de croire qu'il aurait signé une levée générale de l'interdiction en ne pensant le faire que pour les plantations de thé et d'hévéa.
Il ajoute :
« Nous devons d'abord lever l'interdiction du glyphosate. Mais une autre communication précisant les nouveaux paramètres dans le cadre desquels il peut être utilisé ou non devra être publiée après d'autres discussions. »
Selon Colombo Page, à une date qui n'est pas précisée, un Conseil Économique National mis en place par le Président a « pris une décision de lever l'interdiction du glyphosate au moins pour les plantations de thé en raison des dommages importants subis par les sociétés de plantation, les planteurs et l'économie agricole ». Un groupe de chercheurs et d'universitaires a aussi écrit au Président Sirisena pour lui demander de lever l'interdiction, ou de l'ôter au moins jusqu'à ce qu'une solution de substitution au glyphosate aura été trouvée.
Il y a un constat clair : l'interdiction du glyphosate a été levée dans son intégralité (voir la reproduction de la Gazette ci-dessus. C'est ainsi que le comprend aussi l'activiste Chana Jayasumana.
Il y a un autre constat clair : les choses ne sont pas claires s'agissant des intentions gouvernementales et des actions administrative. Il y a, semble-t-il, des manœuvres pour susciter des incertitudes et la confusion.
Et le monde activiste planifie une action devant la Cour Suprême. Objectif : quelque 530.000 euros par plaignant. M. Jayasumana est péremptoire – en partie au conditionnel :
« Le recherche a prouvé que cet agrochimique a un impact direct sur le rein et pourrait causer des cancers. »
Même dans ses articles scientifiques il en reste aux hypothèses…