Changement climatique : les insectes vont boulotter notre blé !
Mais nous ne les laisserons pas faire... sauf si l'« écologisme » imbécile l'emporte
Science – oups ! La prestigieuse revue Science – a publié – derrière un péage comme il se doit pour une revue prestigieuse – « Insect metabolic and population growth rates predict increasing crop losses in a warming climate » (les taux de croissance métabolique et de croissance des populations d'insectes prédisent une augmentation des pertes de récolte avec le réchauffement climatique) de Curtis A. Deutsch, Joshua J. Tewksbury, Michelle Tigchelaar, David S. Battisti, Scott Merrill, Raymond B. Huey et Rosamond L. Naylor.
En voici le résumé (avertissement : le mot « yield » est un cauchemar pour traducteurs ; il signifie selon le cas « rendement » (par exemple des quintaux par hectare) ou des « récoltes » (sans référence à la surface)).
« Les insectes nuisibles réduisent sensiblement les rendements de trois céréales de base – riz, maïs et blé –, mais les modèles évaluant les effets du réchauffement climatique sur l'agriculture tiennent rarement compte des pertes de récoltes dues aux insectes. Nous utilisons des relations bien établies entre la température et la croissance des populations et les taux métaboliques des insectes pour estimer comment et où le réchauffement climatique augmentera les pertes de riz, de maïs et de blé dues aux insectes. Les pertes de récolte/rendement mondiales [global yield losses] de ces céréales devraient augmenter de 10 à 25 % par degré de réchauffement moyen de la surface de la Terre. Les pertes de récolte [crop losses] seront les plus graves dans les zones où le réchauffement augmente à la fois la croissance de la population et les taux métaboliques des insectes. Ces conditions sont centrées principalement dans les régions tempérées, où la plupart des grains sont produits. »
Il y a une introduction à cette page :
« Réchauffement, cultures et insectes nuisibles
Les réponses des cultures au réchauffement climatique suggèrent que les rendements diminueront à mesure que les températures de la saison de croissance augmentent. Deutsch et al. montrent que cet effet peut être exacerbé par les insectes nuisibles (voir la perspective de Riegler). Les insectes consomment déjà 5 à 20 % des principales cultures céréalières. Les modèles des auteurs montrent que pour les trois principales cultures céréalières – blé, riz et maïs –, le rendement/récolte perdu à cause des insectes [yield lost to insects] augmentera de 10 à 25 % par degré Celsius de réchauffement, l'effet le plus fort se produisant dans la zone tempérée. Ces résultats fournissent une estimation des autres impacts potentiels du climat sur l'approvisionnement alimentaire mondial et une référence pour les futures études spécifiques au niveau des régions et des champs sur les interactions plantes-ravageurs-climat. »
Et voici le résumé de la « perspective de Riegler » – « Insect threats to food security » (menaces des insectes sur la sécurité alimentaire)
« À l'échelle mondiale, une personne sur neuf souffre de faim chronique et la sous-alimentation augmente (1). Les températures moyennes à la surface du globe augmentent également et devraient augmenter de 2 à 5°C au cours du siècle, avec des effets négatifs sur la production agricole. Même aujourd'hui, malgré d'importants efforts de protection des plantes, environ un tiers des cultures est perdu à cause des insectes nuisibles, des agents pathogènes et des mauvaises herbes. Comment le réchauffement climatique affectera-t-il ces pertes de récolte [crop mosses] à l'échelle mondiale ? À la page 916 de ce numéro, Deutsch et al. (2) évaluent l'impact de la hausse des températures de surface moyennes sur les pertes de récoltes dues aux insectes pour le blé, le maïs et le riz, qui constituent des aliments de base pour des milliards de personnes. Les résultats montrent que les insectes provoqueront une perte de grains significative dans de nombreuses régions d'un monde plus chaud. »
À l'évidence, les Philippulus du changement climatique et de la catastrophe agricole et alimentaire s'en sont donnés à cœur joie.
L'impression générale qui se dégage de ces résumés et commentaires est que les auteurs se sont livrés à un exercice de masturbation intellectuelle à coup de méga-fichiers de données, d'hypothèses hasardeuses et de jongleries statistiques. Contribution des sciences agronomiques ? A priori nulle.
Dans « Le changement climatique accélère les pertes de récoltes dues aux insectes », Mme Joan Conrow, de l'Alliance pour la Science Cornell, a largement cité un des auteurs, M. Joshua J. Tewksbury. Celui-ci a une formation d'écologiste, et de biologiste de l'évolution et de la conservation ; son affiliation passée avec le Fonds Mondial pour la Nature (WWF) et présente avec Future Earth semble se refléter dans ses prises de positions dont nous estimons qu'elles sont d'une rare arrogance et, bien sûr, déconnexion de la réalité. Méditez :
« La lutte biologique contre les insectes nuisibles réussit lorsque nous connaissons de manière exceptionnelle l’histoire naturelle de nos plantes cultivées et de leurs espèces apparentées – là où elles croissaient, quels insectes mangeaient les cultures dans leur aire d'origine, ce qui a tué ces insectes. Il y a beaucoup de travail à faire pour développer ces connaissances [...] »
« Origine des plantes cultivées » d'Alphonse de Candolle ne date que de 1883...
Mais revenons aux chiffres.
Selon le résumé de l'étude,
« Les pertes de récolte/rendement mondiales [global yield losses] de ces céréales devraient augmenter de 10 à 25 % par degré de réchauffement moyen de la surface de la Terre. »
Comme ils ont tablé sur 2°C, cela fait de 20 à 50 %... une extraordinaire précision.
Mais cette affirmation est aussi très vague. Qu'est-ce qui est perdu ? L'introduction de Science vient à notre secours :
« Les insectes consomment déjà 5 à 20 % des principales cultures céréalières. Les modèles des auteurs montrent que pour les trois principales cultures céréalières – blé, riz et maïs –, le rendement/récolte perdu à cause des insectes [yield lost to insects] augmentera de 10 à 25 % par degré Celsius de réchauffement [...] »
Les pourcentages du résumé ne se rapportent pas au rendement ou à la récolte, mais à la partie perdue ! Prenons les cas extrêmes, pour 1°C : les pertes, rapportées à la récolte seraient augmentées de 0,5 % de la récolte totale, ou de 5 %.
Est-ce grave, docteur ? En admettant que la prédiction la plus calamiteuse se matérialise, il faudrait compenser, notamment par la génétique et l'amélioration des pratiques culturales, une perte qui, pour 2°C, atteindrait dans le pire cas 10 % dans quelque 30 ans. Un colossal effort (ironie) !
Comme il se doit, Future Earth – M. Tewsbury est le directeur du centre du Colorado – a publié un communiqué, « Crop losses due to insects could nearly double in Europe’s bread basket due to climate » (les pertes de récoltes dues aux insectes pourraient presque doubler dans la corbeille à pain de l'Europe à cause du climat). Pourquoi ce titre, qui porte sur un aspect spécifique, le plus « sexy » ? Sensationalarmisme...
Le communiqué précise (enfin...) :
« ...l'impact des bioagresseurs [pest impacts] sur le blé européen pourrait créer un total annuel de pertes de récoltes dues aux bioagresseurs [pest-induced yield losses] qui pourrait dépasser 16 millions de tonnes. »
C'est en gros 10 % de la récolte annuelle de l'Union Européenne à 28. Mais que signifie précisément cette phrase ? « Bioagresseurs » n'est pas limité aux insectes, objets de l'article…
Prévision des volumes de blé produites dans l'Union Européenne (UE 28) de 2015 à 2026 (x 1000 tonnes) (Source)
Ce qu'il y a de remarquable, c'est que ces chiffres n'ont pas été mis en perspective. Le site Statista prévoit une légère augmentation de la production européenne ; il n'a probablement pas tenu compte des changements climatiques (du reste bien plus compliqués que les éternelles références à une températire moyenne). Cette augmentation serait-elle compromise par l'appétit croissant des insectes – dont on nous rabâche par ailleurs qu'ils sont en voie de disparition ?
Le Monde Planète s'est évidemment emparé du sujet avec gourmandise... encore une mauvaise nouvelle pour la planète (et accessoirement l'humanité) qui est une bonne nouvelle pour la ligne militante de la rubrique. Selon « Le réchauffement favorise le ravage des récoltes par les insectes nuisibles »,
« Les chercheurs ont examiné comment les insectes nuisibles réagiraient dans le cadre de divers scénarios climatiques. Selon eux, les pertes de cultures pourraient augmenter de 10 % à 25 % par degré de réchauffement. Une hausse de la température moyenne mondiale de deux degrés entraînerait des pertes de 31 % pour le maïs, 19 % pour le riz et 46 % pour le blé. Dans ces conditions, les pertes annuelles totales de cultures atteindraient respectivement 62, 92 et 59 millions de tonnes. Cette projection constitue "le scénario le moins alarmiste, précise Curtis Deutsch, chercheur à l’université de Washington et auteur principal de l’étude. Les températures pourraient augmenter de 2 à 5 °C d’ici à la fin du siècle". »
Curieux ! Dans le cas du blé, ces chiffres supposent une production mondiale, avant pertes dues aux insectes, de quelque 128 millions de tonnes. Nous en sommes à quelque 730 millions selon FAOSTAT.
Le Guardian semble avoir mieux compris l'article.
Quoi qu'il en soit, cette merveilleuse étude ne semble pas tenir compte de l'ingéniosité humaine, que ce soit celle des chercheurs et des innovateurs technologiques ou des agriculteurs (qui sont aussi des innovateurs...). Selon le Monde,
« Les agriculteurs et les gouvernements pourraient essayer de réduire l’impact de la prolifération des insectes en utilisant la rotation des cultures ou en essayant de produire des céréales résistantes aux nuisibles, estiment les auteurs de l’étude. Mais ces modifications risquent de prendre du temps et ne sont pas accessibles à tous les pays. »
Les agriculteurs feront certainement mieux qu'« essayer ».
Quant aux gouvernements, s'agissant de l'Union Européenne, sauf sursaut salvateur, ils feront aussi mieux qu'« essayer »... mais de contrecarrer la marche du progrès génétique et agrochimique, y compris du progrès qui a précisément pour but de répondre aux défis issus du changement climatique annoncé.