Rabhi-bashing dans le Monde Diplo

Rabhi-bashing dans le Monde Diplo

Le Monde Diplomatique d'août 2018 a mis en première page un « Le système Pierre Rabhi » avec en sur-titre « Frugalité et marketing » (le début est ici ; il y a une sorte de résumé ici).

L'enquête de M. Jean-Baptiste Malet – bien sourcée – occupe au final deux pleines pages.

En introduction :

« La panne des grandes espérances politiques remet au goût du jour une vieille idée : pour changer le monde, il suffirait de se changer soi-même et de renouer avec la nature des liens détruits par la modernité. Portée par des personnalités charismatiques, comme le paysan ardéchois Pierre Rabhi, cette "insurrection des consciences" qui appelle chacun à "faire sa part" connaît un succès grandissant. »

Ceux qui s'intéressent aux impostures philosophiques, ou encore aux escroqueries « agro-écologiques », y trouveront des éléments déjà bien connus. Les « enquêtes » se suivent et se répètent pour l'essentiel.

Mais il est bon de lire un acte d'accusation dans le Monde diplo... en regrettant au final que cela n'entamera pas le crédit dont jouit le bonhomme (on peut s'en moquer comme d'une guigne), ni surtout l'ardeur déployée par des médias complaisants pour lui tendre le micro ou lui offrir leurs colonnes (là, nous avons un problème).

C'est une ardeur souvent mêlée de fascination quasi morbide et maladive pour le discours de la « sobriété » car ces gens des médias vivant dans l'aisance seront les derniers à vouloir s'appliquer les principes prônés par M. Rabhi. Quant à la « sobriété » de M. Rabhi et de son entourage...

Il y a au moins trois passages de cet intéressant article qui doivent retenir l'attention.

Le premier concerne les liens avec le monde politique actuel.

La proximité, pas seulement éditoriale mais aussi spirituelle et économique, entre M. Pierre Rabhi et son éditrice Françoise Nyssen devenue Ministre de la Culture est connue ; c'est l'anthroposophie au gouvernement ! Tout comme sont connus les liens avec M. Nicolas Hulot illustrés par exemple par la co-écriture de « Graines de possibles: regards croisés sur l'écologie » (un Nicolas Hulot qui se dit aussi inspiré par l'escroquerie intellectuelle et morale qu'est Mme Vandana Shiva – livre co-édité par Acte Sud, anciennement de Mme Françoise Nyssen... le monde est petit).

Mais on apprend que le Premier Ministre Édouard Philippe l'a cité quand il a présenté son « plan antigaspillage » le 23 avril 2018. En fait non... l'information avait été donnée en son temps, mais qui y a prêté attention ? D'Europe 1, par exemple :

« Le gouvernement a présenté lundi un "plan de bataille anti gaspillage" pour inciter à "consommer un peu moins" en achetant réparable et recyclable pour lutter contre "l'obsolescence programmée de notre planète". "La première manière de moins jeter, c'est d'acheter robuste, c'est à dire souvent français, voire européen (...) Une autre façon, c'est de consommer un peu moins (...), c'est la sobriété heureuse chère à Pierre Rabhi", a déclaré le chef du gouvernement, en référence au célèbre essayiste écologiste et agriculteur bio. »

(Source)

On apprend aussi que M. Rabhi a déjeuné avec M. Emmanuel Macron durant sa campagne pour l'élection présidentielle.

Faut-il voir dans tout cela une influence sur la politique agricole et alimentaire du gouvernement – l'absence de cohérence et de réelle volonté dans le cas de l'agriculture et la microgestion à tendance orthorexique pour l'alimentation ? Ou tout simplement la confirmation d'une tendance lourde préexistante ?

Le deuxième passage concerne la vision de l'agriculture et les « réalisations » de M. Rabhi en la matière en France. Il y a l'épisode Burkina Faso jusqu'à l'assassinat de Thomas Sankara, et il y a les structures agricoles en France – « Des fermes modèles... en apparence » selon l'intertitre.

Et le troisième passage concerne le recours massif au travail gratuit :

« Entre 2004 et 2016 s'y sont succédé [au Mas de Beaulieu à Lablachère en Ardèche, une parcelle d'un hectare cultivé en biodynamie] 2350 bénévoles, les "volontaires", qui travaillent plusieurs semaines en échange de repas et d'un hébergement sous la tente. »

Cet article du Monde Diplo s'inscrit dans la ligne d'articles précédents. La série d'articles de M. Yann Kindo sur le blog de Mediapart est incontournable – et nous pensons que M. Malet s'en est largement inspiré. Tout aussi incontournable est son compte rendu de la visite de l'AFIS-Ardèche au Mas de Beaulieu.

Nous avons aussi trouvé dans nos pérégrinations « Pour en finir avec la supercherie Rabhi: l'écogourou sur le chemin de Compostage » sur Facebook, avec tout une série de liens.

Post scriptum

M. Yann Kindo avait reproduit un texte de M. René Dumont sur le désastre créé au Burkina Faso par celui qui « est aujourd'hui reconnu expert international pour la sécurité alimentaire et [qui] a participé à l’élaboration de la Convention des Nations Unies pour la lutte contre la désertification » :

« D’autres part, certains puristes de l’agriculture biologique s’insurgent sans nuances contre les engrais chimiques etc. de la "révolution verte", sans comprendre qu’elle permet de nourrir en Asie des dizaines de millions d’habitants en plus ! La meilleure solution est celle des Chinois, qui utilisent toujours, associés aux engrais – dont la consommation chez eux augmente rapidement – toutes les fumures organiques possibles.

En fin d’année 1986, l’entreprise de transport charter Le Point de Mulhouse nous a demandé d’étudier les réalisations du centre d’Agro-écologie qu’elle avait installé à Gorom-Gorom, à l’extrême nord semi-aride du Burkina Faso. La direction en avait été confiée à Pierre Rabhi, qui avait déjà appris à quelques centres de formation des jeunes agriculteurs de ce pays à faire fermenter les débris végétaux pour les convertir en compost : source fort appréciable d’humus, dont la carence freine les possibilités de l’agriculture africaine. Ce travail, fort utile, méritait d’être généralisé. Mais, mis à la tête du centre d’Agro-écologie et chargé de former des vulgarisateurs agricole burkinabé, Pierre Rabhi a présenté le compost comme une sorte de "potion magique" et jeté l’anathème sur les engrais chimiques, et même sur les fumiers et purins. Il enseignait encore que les vibrations des astres et les phases de la lune jouaient un rôle essentiel en agriculture et propageait les thèses antiscientifiques de Steiner, tout en condamnant Pasteur. Malgré sa bonne volonté, il manquait de connaissances économiques et agronomiques, notamment sur l’utilisation optimale des composts. Selon lui, leur coût de production était nul ; il sous-estimait le travail nécessaire, et même les problèmes de transport, essentiels en la matière. Comme de surcroît il avait adopté une attitude discutable à l’égard des Africains, nous avons été amené à dire ce que nous en pensions, tant à la direction du Point Mulhouse qu’aux autorités du Burkina Faso. L’écologie est une discipline scientifique : nous n’allons pas la discréditer, lui enlever sa valeur, sa rigueur, en conseillant des techniques qui n’auraient pas été mises au point dans les conditions locales. Toutes les expériences faites en milieu tempéré ne valent à peu près rien en climat tropical. Pourtant, ce problème de l’humus reste, nous y reviendrons, un facteur essentiel de maintien, et de la fertilité des sols et de la réussite d’une agriculture qui pourrait prospérer entre les mains de paysans moins méprisés, mieux rémunérés et mieux instruits. »

Voilà un texte d'une réelle actualité. À mettre sous le nez de tous ces « conseilleurs » qui vilipendent la Révolution Verte, les engrais de synthèse, les pesticides, la génétique et l'amélioration des plantes... qui nous serinent que l'agriculture biologique (ou l'agro-écologie peut nourrir le monde...par exemple ce professeur de l'Université de Louvain qui fait éjecter un professeur auxiliaire de l'Université Saint-Louis de Bruxelles…