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Agriculture, alimentation, santé publique... soyons rationnels

Pesticides : la gesticulation gouvernementale

25 Août 2018 , Rédigé par Seppi Publié dans #Pesticides, #Politique

Pesticides : la gesticulation gouvernementale

 

 

Quatre mois après, qu'est devenu le « plan d'actions pour réduire la dépendance de l’agriculture aux produits phytopharmaceutiques » (notez le pluriel : « actions ») ?

 

 

Et les pesticides devinrent des ennemis publics…

 

Fin 2007, dans le cadre du Grenelle Environnement, le Président Nicolas Sarkozy avait sacrifié l'agriculture, particulièrement les OGM, à la mouvance « écologiste » pour prix de la tranquillité (qu'il n'a pas eue...) sur le nucléaire. Le deal a été révélé notamment par M. François Fillon dans un entretien accordé aux Échos.

 

Les produits de protection des plantes – les pesticides – étaient quasi officiellement devenus ennemis publics. Le plan Écophyto avait notamment pour objectif de diviser par deux l'usage des pesticides à l'horizon 2018. Le Ministre de l'Agriculture de l'époque, M. Bruno Le Maire, avait réussi à faire ajouter un « si possible » qui n'était pas que de prudence, mais de bon sens.

 

Cette ambition était, manifestement, aussi réaliste que les objectifs des plans quinquennaux soviétiques, mais l'essentiel n'était-il pas que le président et son gouvernement fissent bonne figure ? Pourtant, les agriculteurs et les gestionnaires de l'environnement n'utilisent pas les « médicaments des plantes » d'une manière si follement inconsidérée qu'une réduction de 50 %, même sur dix ans, fût – et soit encore aujourd'hui – réaliste.

 

De fait, en 2015, confronté à une réalité qu'il a décidé d'ignorer en partie, le Ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll a rééchelonné la folie à 2025 avec un objectif intermédiaire de 25 % en 2020. Écophyto 2 devait reposer dans un premier temps « sur la généralisation et l’optimisation des systèmes de production économes et performants actuellement disponibles » et, dans un deuxième, sur « des mutations plus profondes des systèmes de production et des filières ».

 

L'aversion – sinon la haine – des pesticides est maintenant solidement implantée dans l'opinion dite « publique » (car vigoureusement travaillée au corps) et le logiciel politique. Dans son programme électoral, forcément attrape-votes mais à notre sens aussi démonstratif de ses sentiments, préjugés et phobies personnels, M. Emmanuel Macron avait inscrit, outre la séparation des activités de conseil aux agriculteurs et de vente des pesticides :

 

« Dans le cadre des états généraux de l’alimentation, nous définirons également un calendrier prévoyant l’élimination progressive des pesticides en commençant par ceux qui présentent un risque pour la biodiversité ou la santé, et le développement d’alternatives. »

 

Selon notre compréhension de la langue, « élimination » signifie... 100 %. Ce n'est pas un mot dicté par l'obligation de brièveté : « réduction » aurait fait l'affaire.

 

 

Quatre ministre pour un couac

 

C'est dans ce contexte d'émotion, d'irrationalité et de démagogie que quatre ministres – M. Nicolas Hulot, Mme Agnès Buzyn, M. Stéphane Travert et Mme Frédérique Vidal – ont présenté, le 25 avril 2018, un « plan d'actions pour réduire la dépendance de l’agriculture aux produits phytopharmaceutiques ».

 

On peut s'offusquer de l'emploi des mots « dépendance … aux » : non, l'agriculture n'est pas une junkie devant subir une cure de désintoxication. En revanche l'agriculture est dépendante... des (de certains) produits, sauf à être condamnée à la ruine agronomique et économique (et notre sécurité et souveraineté alimentaires avec). L'agriculture dite « biologique » – dont les chantres et idéologues clament les vertus – recourt aussi, par nécessité, à des pesticides. Ils sont, certes, « naturels » ou prétendus tels, mais ils ne sont pas axiomatiquement meilleurs pour la santé et l'environnement. Et il est des cas où il en faut plus, en poids comme en fréquence de traitement !

 

 

De belles phrases

 

Chacun y est allé de sa petite phrase destinée à épater les citoyens d'aujourd'hui et à laisser une trace indélébile pour la postérité.

 

Pour M. Travert, le Gouvernement a la volonté de :

 

« créer une dynamique nouvelle et donner une impulsion décisive vers un modèle agricole alliant performance économique, sociale, environnementale et sanitaire qui saura conforter la confiance des consommateurs dans leur alimentation et dans une agriculture respectueuse de l’environnement ».

 

Tous les buzzwords – les mots à la mode incontournables sur une fiche d'éléments de langage – y sont. On dirait du Le Foll... mais sans la référence à une « agroécologie » dont on attend toujours une définition. Au moins s'agit-il ici de « conforter la confiance », ce qui implique l'existence d'une confiance.

 

Selon M. Hulot,

 

« [le] Gouvernement [a pu] mettre aujourd’hui sur la table un plan d’action sans précédent. Tout le monde est dans une démarche de progrès, ces mesures seront très rapidement mises en œuvre et nous permettront à la fois d’atteindre nos objectifs de réduction des phytosanitaires et de construire les alternatives notamment à l’utilisation du glyphosate. »

 

 

Un plan d'actions... « sans précédent »

 

« ...sans précédent... » ? Pour employer une métaphore rugbystique, ce plan d'actions – notez le pluriel... – concourt sans nul doute pour la cuiller de bois tant il est vide de sens pratique et déconnecté des réalités. Il s’articule, est-il dit, autour de quatre priorités :

 

  • Priorité n° 1 : diminuer rapidement l’utilisation des substances les plus préoccupantes pour la santé et l’environnement, dans le prolongement des recommandations du rapport inter-inspection de fin 2017 ;

     

  • Priorité n° 2 : mieux connaître les impacts pour mieux informer et protéger la population et les professionnels et préserver l’environnement ;

     

  • Priorité n° 3 : amplifier la recherche-développement d’alternatives et la mise en œuvre de ces solutions par les agriculteurs ;

     

  • Priorité n° 4 : renforcer le plan Ecophyto 2, améliorer sa gouvernance et son fonctionnement.

 

Mais dès qu'on entre dans les détails, on tombe sur :

 

  • Des phrases creuses et des évidences (par exemple, priorité 1, point 1, action 1 : « Appuyer la mise en place d'un mécanisme et d’un financement européens permettant aux agences d'évaluation nationales et européennes de conduire des études indépendantes d’évaluation des risques pour les substances les plus controversées. ») ;

     

  • De la microgestion (par exemple, priorité 1, point 2, action 2 : « Demander à l’Anses d’engager dès 2018 une revue scientifique des substances les plus préoccupantes pour la santé et pour l’environnement [...] ») ;

     

  • De la gesticulation (par exemple, priorité 1, point 2, action 3 : « Faire évoluer le droit européen pour permettre à chaque État membre, pour les usages concernés, de substituer les substances préoccupantes par des alternatives plus sûres, lorsqu’elles sont accessibles par les utilisateurs [...] », les États ayant déjà cette capacité du fait de leur contrôle sur les autorisations des produits formulés) ;

     

  • Du rêve éveillé (par exemple priorité 1, point 3, action 2 : « Préciser les objectifs et le contenu du conseil annuel individualisé afin qu'il contribue efficacement à la réduction des usages, des risques et des impacts des produits phytopharmaceutiques. [...] » – ce sera soit un ramassis d'évidences, soit un compendium monumental d'instructions) ;

     

  • Des études (par exemple, priorité 1, point 2, action 6 : « Mener une expertise collective sur les risques pour la santé du glyphosate (Inserm) et élaborer un cahier des charges en vue de lancer une nouvelle étude expérimentale sur la cancérogénicité du glyphosate (Anses). Ces travaux seront conclus au plus tard en 2020. »

 

En résumé, très résumé, les administrations centrales ont de quoi s'occuper et justifier leur existence (et sans nul doute leur renforcement) ; et les institutions de recherche se voient attribuer de nouvelles missions d'études, mais essentiellement pour enrichir le savoir, beaucoup moins pour orienter le faire).

 

 

Le pragmatisme aux abonnés absents

 

Une des voies efficaces pour la réduction de l'emploi des pesticides est l'amélioration des matériels. Elle est abordée ! Mais dans la priorité 2 (voir ci-dessus), sous le point 2 (« Prévenir les expositions aux produits phytopharmaceutiques et informer les populations, ainsi que former et informer les professionnels de santé »). Et que dit-on ?

 

« Améliorer l’efficience de la pulvérisation et réduire fortement les risques de dérive des produits phytopharmaceutiques lors de leur application en encourageant le recours à des matériels plus performants, en renforçant les référentiels de certification, en formant les utilisateurs et en renforçant les contrôles de ces matériels. »

 

Comment va-t-on « encourage[r] » ? Mystère... Mais pour la bureaucratie on a des certitudes.

 

Une autre voie est celle de la génétique, qu'elle soit « classique » ou qu'elle utilise des outils modernes comme l'édition des gènes (CRISPR...), la cisgénèse ou la transgénèse. Absente du plan d'actions ! Le sujet fait certes l'objet de controverses méticuleusement alimentées par certains milieux, mais le Gouvernement n'a même pas osé le petit pas de pédagogie susceptible de contribuer à un début d'assainissement du débat.

 

 

Ah, le glyphosate !

 

Ce mot épouvantail figure dans cinq actions !

 

Le summum de l'incohérence – et de la démagogie – nous semble être l'« expertise collective sur les risques pour la santé du glyphosate ». Quel intérêt ? Le Macron jupitérien n'a-t-il pas décrété que la France allait « sortir » du glyphosate d'ici fin 2020 ? Et qu'apportera cette expertise de plus ? L'analyse de la recherche existante a déjà été faite par de nombreuses instances nationales et internationales.

 

Il faut aussi :

 

« Mobiliser la recherche sur les solutions alternatives aux produits phytopharmaceutiques (en particulier aux herbicides, dont le glyphosate et aux néonicotinoïdes), notamment pour les impasses techniques identifiées en privilégiant une approche système et en prenant en compte les spécificités des cultures tropicales. »

 

Bien sûr, cela ne vaut pas reconnaissance de l'existence d'impasses pour un glyphosate et des néonicotinoïdes dont l'interdiction a déjà été actée...

 

Il faut aussi « [c]ibler l’accompagnement des agriculteurs vers la sortie du glyphosate et la réduction des produits phytopharmaceutiques herbicides en 3 ans »... mais c'est « dans les objectifs des appels à projet du CASDAR et d'Ecophyto pour les financements des organismes de développement agricole dans le cadre du CASDAR et d'Ecophyto. »

 

Et, bien sûr :

 

« Capitaliser et diffuser les réussites des initiatives d’agriculteurs relatives aux changements de pratiques pour réduire l'usage des produits phytopharmaceutiques, en particulier d'herbicides dont le glyphosate. »

 

 

Une bien-pensance préoccupante

 

Dans le même temps, le Gouvernement fait ses dévotions au biocontrôle (l'emploi, par exemple, d'insectes prédateurs d'insectes nuisibles) ainsi qu'aux « préparations naturelles peu préoccupantes » (par exemple les purins d'ortie et d'autres plantes).

 

C'est dans l'air du temps... donc c'est politiquement désirable.

 

Mais on peut légitimement s'inquiéter de cet engouement qui propose rien moins que de brûler les étapes dans l'étude des performances réelles et dans les procédures d'autorisation. Il y a certes un caveat (« tout en garantissant le même niveau de protection de la santé et de l’environnement »), mais il n'est que de façade.

 

Il y a lieu de rappeler ici que l'on vient de découvrir que des huiles essentielles largement utilisées (en application sur l'humain, mais le problème est le même) sont des perturbateurs endocriniens. Pour être clair : les substances en question ne sont pas toutes « peu préoccupantes ».

 

 

Peut-être faut-il s'en réjouir...

 

Au final, c'est un catalogue à la Prévert.

 

Mais peut-être faut-il voir le voir avec un peu plus de bienveillance : pendant qu'on planifie, organise, réorganise, aménage, réaménage, installe un pilotage stratégique, renforce un pilotage interministériel, se consacre à « compléter et actualiser le plan Ecophyto 2 en intégrant les actions de la présente feuille de route, publier un plan Ecophyto 2 + et actualiser les feuilles de route régionales en conséquence », notre société et notre économie auront quelque espoir qu'on ne se lancera pas dans des mesures inconsidérées, et même qu'on finira par prendre des mesures rationnelles.

 

Le réduction du recours aux produits de protection des plantes (et aux produits utilisés pour le confort des humains et la prévention des maladies, tels les insecticides anti-moustiques), ainsi que la transition vers des méthodes et des produits de protection plus aimables pour la santé et l'environnement, sont un objectif louable, hautement désirable à bien des points de vue. La filière agricole et agroalimentaire s'y emploie. Un véritable plan d'action, digne de ce nom, fournirait un véritable accompagnement et, surtout, des moyens.

 

Et le premier moyen est... des prix à la production rémunérateurs aptes à soutenir la modernisation et les changements. Il ne semble pas, à la lecture des réactions du monde agricole, que le compte y soit dans le projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable.

 

 

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