Pesticides : l'agriculture biologique est-elle vraiment vertueuse ?
Grâce à la Confédération Paysanne et d'autres, c'est devenu une publicité mensongère !
Un commentaire dans le Monde, nous a mis sur la piste de « Life cycle analysis reveals higher agroecological benefits of organic and low-input apple production » (une analyse du cycle de vie révèle des avantages agro-écologiques plus importants de la production de pommes biologiques ou à faibles intrants) d'Aude Alaphilippe, Sylvaine Simon, Laurent Brun (de l'INRA), Frank Hayer et Gérard Gaillard (d'Agroscope Reckenholz Tanikon).
En voici le résumé (nous découpons en paragraphes) :
« Les systèmes agricoles conventionnels dépendent d'apports élevés d’engrais et de pesticides toxiques qui constituent une menace pour la santé humaine et l’environnement. De tels problèmes modifient rapidement l’agriculture en Europe. En conséquence, des systèmes de production durables sont actuellement développés en tant qu'alternatives plus sûres, par exemple des systèmes biologiques et à faible consommation d'intrants utilisant des méthodes mécaniques et biologiques par rapport aux substances toxiques.
Cependant, il y a un manque de connaissances sur l’impact global de ces systèmes alternatifs sur la toxicité, la consommation d’énergie et le réchauffement de la planète, notamment pour les cultures pérennes telles que les vergers de pommiers, qui nécessitent une lutte contre de nombreux organismes nuisibles.
Nous présentons ici la première analyse des impacts environnementaux de neuf systèmes de vergers de pommiers utilisant l'analyse du cycle de vie. Nous avons utilisé des données provenant d'une enquête sur les systèmes de vergers de pommiers situés dans le sud de la France, couvrant la période 2006-2009. Des vergers conventionnels, à faible consommation d'intrants et biologiques ont été plantés avec trois cultivars de pommier différents en termes de sensibilité aux maladies, ce qui a permis de concevoir neuf systèmes de pommes, le système conventionnel avec Golden Delicious étant considéré comme la référence.
Nos résultats montrent que les systèmes à faibles intrants plantés avec le cultivar Melrose peu sensible aux maladies ont diminué les impacts environnementaux de 6 à 99 %. Les systèmes biologiques ont eu l’un des impacts les plus élevés par unité de masse en raison des faibles rendements, mais ont montré de faibles impacts par unité de surface plantée de cultivars de faible sensibilité en général. La toxicité potentielle a été réduite de 2 à 40 % pour l’homme, de 71 à 82 % pour la vie aquatique et de 97 à 99 % pour la vie terrestre grâce à un contrôle mécanique au lieu de pesticides toxiques pour lutter contre les mauvaises herbes et les maladies. »
Nous n'analyserons pas en détail – ni même en gros – cette étude d'une grande complexité réalisée avec – nécessairement – beaucoup d'acrobaties pour évaluer et comparer des choses difficilement évaluables et comparables.
Le résumé est parlant :
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les pesticides sont nécessairement « toxiques ».
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Ils constituent « une menace pour la santé humaine et l’environnement ».
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L'agriculture conventionnelle dépend « d'apports élevés d’engrais et de pesticides ».
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Les systèmes biologiques sont par définition « durables », et des « alternatives plus sûres ».
Il est difficile d'annoncer avec plus de vigueur l'existence d'un énorme conflit d'intérêts intellectuel prenant la forme de préjugés idéologiques, sans fondements scientifiques.
Peut-être que non ! Le titre – tout au moins à notre humble avis – dit le contraire de ce que les chercheurs ont trouvé, s'agissant du mode de production biologique (pour le mode de production bas intrants, une diminution de l'impact environnemental est, bien évidemment, attendue).
Il est difficile de jouer avec les chiffres bruts. L'article comporte un tableau très instructif :
Décryptage :
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Les intitulés « conventionnel », « bas-intrants » et « biologique » désignent des itinéraires techniques dont les éléments ont été librement choisis par les expérimentateurs dans les boîtes à outils à leur disposition. Le mode « biologique » est, lui, contraint par un cahier des charges défini en fonction d'options idéologiques, non techniques et non scientifiques.
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La première ligne (le nombre de substances phytosanitaires non microbiologiques appliquées) dépend des stratégies de protection et de la disponibilité des produits. Que l'agriculture biologique en utilise moins résulte essentiellement du deuxième facteur (contraintes du cahier des charges).
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On notera qu'utiliser par exemple une vingtaine de produits en conventionnel n'implique pas nécessairement un bilan plus défavorable que le bas-intrant : varier les matières actives est une stratégie recommandée pour éviter les pertes d'efficacité des produits.
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Le poids total par hectare est une donnée intéressante dans le contexte de l'hystérie anti-pesticides qui sévit dans les milieux politiques, les médias et les réseaux sociaux.
Le tableau montre que la production biologique utilise plus de matières que la production conventionnelle : d'un facteur 3,37 pour la Golden, 2,22 pour la Melrose et 2,04 l'Ariane. La différence est encore plus grande avec le bas-intrants (4,13 ; 3,60 et 3,11, respectivement).
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Quel est le but de la production de pommes ? Occuper des terrains ou produire des pommes pour satisfaire le marché (et l'appétit et la gourmandise des consommateurs) ? Voici les productions rapportées au système bas-intrants, a priori préférable au conventionnel :
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Lecture : un hectare de Melrose bio produit 20 % de moins qu'un hectare en bas-intrants (c'est le cas le plus favorable au bio). Ou encore : il faut 2,17 hectares de pommiers Golden bio pour produire autant de pommes qu'en bas-intrants.
Cela se traduit évidemment sur la quantité de pesticides utilisés par unité de produits (en kilogrammes de matières actives par tonne de pommes ou, au niveau du consommateur, en grammes/kilogramme – mais notez bien que l'on ne trouvera rien dans les pommes achetées ou des résidus exprimés généralement en milligrammes/kilogramme). Voici ce que cela donne :
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On peut aussi exprimer cela par un rapport avec le bas-intrant. La deuxième ligne ci-dessus montre ainsi que pour la Golden, il faut 9 fois plus de matières actives par unité de produit en bio par rapport au bas-intrants.
Il y a des choses (relativement) simples comme l'utilisation d'énergie. Les graphiques suivants montrent que l'itinéraire biologique est plus économe par hectare, mais plus dispendieux par unité produite.
Mettons cela dans le contexte de l'activisme qui veut imposer une part obligatoire de bio dans les cantines et une augmentation de la part du bio dans les surfaces totales : on promeut une augmentation de l'utilisation de produits pétroliers... et de la pollution atmosphérique par les gaz d'échappement et les microparticules ! Sans compter les particules fines de terre du fait du désherbage mécanique.
Pour les émissions d'équivalents CO2, les trois scénarios sont relativement similaires en termes d'hectares et, évidemment, moins favorables en bio en termes d'unités de produits, du fait des rendements plus faibles.
Le tableau suivant donne les résultats en termes d'écotoxicité et de toxicité potentielles. Bien malin qui, en dehors du monde des spécialistes, comprend la signification absolue de ces chiffres. Mais les comparaisons sont instructives : par unité de produit, l'itinéraire biologique est plus défavorable – et de loin – que les itinéraires bas-intrants et conventionnel.
Le résultat serait-il meilleur par hectare dans quelques configurations ? Il y a une donnée incontournable : il faut plus d'hectares pour produire autant en bio... donc plus de toxicité potentielle au final.
L'objectif d'Écophyto 2 est une réduction de 50 % de l'usage des produits de protection des plantes à l'horizon 2025, avec un palier de -20 25% en 2020. Wishful thinking... douces illusions... Les agriculteurs n'utilisent pas ces produits pour le plaisir.
Ces objectifs ont été exprimés en NODU, nombre de doses unitaires, plutôt qu'en poids. Le passage au bio, que d'aucuns appellent de leurs vœux, se traduit dans le cas du pommier par une augmentation importante des masses épandues.
Et, bien sûr, quand il s'agit pour les activistes, les médias, les politiques et les réseaux sociaux de faire de l'agri-bashing, le coupable sera invariablement l'agriculture conventionnelle (non biologique).
Une hirondelle ne fait pas le printemps... une étude ne fournit pas une conclusion générale.
La pomme n'est pas représentative de l'ensemble de la production agricole. Mais c'est une production qui nécessite une bonne protection phytosanitaire, à l'instar d'une autre production grosse « consommatrice » de pesticides, la vigne.
Mais elle illustre bien une tendance générale : s'il y a des facteurs pour lesquels l'agriculture biologique peut revendiquer un avantage par hectare, le rapport s'inverse quand on raisonne par unité de produit. Or – parce qu'il faut bien nourrir la population (et contribuer à la balance commerciale) – c'est le deuxième mode de calcul qui est le plus pertinent.
Cela mène à une conclusion qui apparaîtra contre-intuitive à d'aucuns : augmenter la part du bio dans l'agriculture (les productions végétales), c'est augmenter l'impact environnemental de l'agriculture.
Pour l'impact sanitaire, il faut probablement être plus nuancé : pour le consommateur, il n'y a aucun gain en termes de résidus de pesticides (car nous assurons par nos normes une alimentation de qualité, n'en déplaise aux activistes et aux hypocondriaques). Et nous prenons plus de risques en bio s'agissant des mycotoxines, des graines toxiques, des bactéries pathogènes, etc. (mais les risques, ça se gère).
Cette étude a aussi le mérite de soulever une problématique très actuelle : les résultats de la pomme Golden ne sont pas épatants dans cette étude à cause de sa grande sensibilité à la tavelure. La pomme Ariane tire les siens de sa bonne résistance à cette maladie. Elle est issue, indirectement, d'un croisement réalisé en 1943 à l'Université de l'Illinois – mais « qui ne s'effectue pas naturellement » – avec Malus floribunda, une espèce voisine du pommier cultivé. C'est, ou cela devrait être, selon les conceptions des activistes et le récent arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne... un OGM.
Quoi qu'il en soit, l'Europe se prive des filières modernes de l'amélioration des plantes – la transgénèse et les nouvelles techniques comme la mutagenèse dirigée – qui permettent de produire des variétés résistantes à des maladies, des variétés qui réduiraient l'impact environnemental de la production. Elles permettraient aussi de « convertir » des variétés existantes, leur conférer une résistance à une maladie.
Connaissez-vous « Der Hans im Schnokeloch », une comptine alsacienne qui n'est pas un monument de littérature ?
« Der Hans im Schnokeloch, hett alles was er will
Un was er hett des well er nitt,
Un was er will des hett er nitt,
Der Hans im Schnokeloch, hett alles was er will. »
« Jean du trou à moustiques a tout ce qu'il veut,,
Et ce qu'il a, il n'en veut pas
Et ce qu'il veut, il ne l'a pas,
Jean du trou à moustiques a tout ce qu'il veut. »
C'est une belle description de la situation française et européenne.
Si les idéologues voulaient bien revoir leurs positions, ces techniques et leurs produits faciliteraient grandement la production selon le mode biologique. Il faut écouter M. Urs Niggli (voir ici et ici)
Et pas l'INRA (canal démagogique et populiste). Voici ce que nous avons trouvé à propos de l'étude des cycles de vie :
« Sans grande surprise, l’agriculture conventionnelle présente des résultats médiocres. En cause, l’utilisation de traitements chimiques pour le désherbage ou la lutte contre les maladies et les ravageurs. Cependant, la pomme bio pourrait faire mieux. Le nombre de traitements et de passages dans les vergers augmente les pollutions liées à la mécanisation : les émissions en énergie non renouvelables sont quasiment deux fois plus importantes en AB qu'en agriculture conventionnelle si l'on se rapporte au kilogramme de fruits produits.
Ceci s’explique par l’écart de rendement entre les deux modes de production : faible pour le bio, élevé pour l’agriculture intensive (en 2009, le rendement des pommes Golden atteint 41,7 tonnes par hectare en agriculture conventionnelle et seulement 18,3 en agriculture biologique). »
Que penser de « Cependant, la pomme bio pourrait faire mieux » ? Passons sur le conditionnel. Est-ce une description objective des résultats d'Alaphilippe et al. ?
La production de pommes biologiques utilise aussi des pesticides, certains fort nocifs, et pas qu'un peu.